Juncker : Jean-Claude dure (2ème partie)
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Jean-Claude Juncker a été élu au Parlement européen avec une majorité sans confort, obte-nue sans enthousiasme particulier ni tumulte. Les eurodéputés ayant conscience de voter plus pour entériner la démocratisation des institutions européennes que pour l’homme. Parfait inconnu pour la plupart des citoyens, à l’instar de ses prédécesseurs, le Luxembourgeois mérite un portrait à grands traits.
Le flipper serait l’un de ses passe-temps favoris, une occupation qui pourrait sembler populaire aux yeux des nantis et intellectuels de ce monde, tout comme son lieu de résidence qu’il partage avec sa femme, Christiane Frising, qui, selon la presse britannique, se situerait dans un modeste quartier luxembourgeois. Un mode de vie que le Luxembourgeois aime à mettre en perspective avec ses origines sociales, parfois abusivement, comme lui a rappelé sèchement la gauche radicale européenne lors de son audition pour le poste de la Commission européenne au Parlement européen.
Sur les terres rouges du Grand-Duché
Né en 1954 au domicile d’une sage-femme à Redange, petit village de l’ouest du Luxembourg, Jean-Claude Juncker passa la plus grande partie de son enfance à Belvaux, dans les « Terres rouges » du Grand- Duché, terres de l’industrie métallurgique et sidérurgique, situées au carrefour du Luxembourg, de la France et de la Belgique. Les deux premières années de sa vie, il les vécut avec sa famille chez sa grand-mère, le temps pour eux de mettre suffisamment d’argent de côté pour pouvoir se loger dans un immeuble à deux pas du centre sidérurgique.
Enfant, il aidait à faire le plein des voitures dans une station-service près de chez lui. « J'étais un tout petit pompiste qui aimait les voitures. Cet amour, je ne l'ai pas gardé par la suite, d'ailleurs : les voitures, je m'en fous éperdument, cela ne m'intéresse pas », précise néanmoins l’ancien Premier ministre luxembourgeois lors d’un entretien à la presse luxembourgeoise. Il se remémore alors, non sans un certain lyrisme, ses premières années : « Je garderai toute ma vie le souvenir des hauts fourneaux, le souvenir du rythme de l’usine. Je vivais avec les sirènes qui annonçaient la fin des postes. J’étais assis sur les escaliers de la maison et je regardais les ouvriers qui sortaient et ceux qui rentraient, tous en costume bleu et à vélo. »
Toute son enfance s'est passée dans les quartiers ouvriers, à brasser les nationalités européennes, en premier lieu des Allemands, des Belges et encore des Français, l’autorisant à revendiquer sa culture composite : « je parle allemand avec un accent français, et français avec un accent allemand, résultat, personne ne me comprend », se moque-t-il de lui-même.
Son père, Joseph, ouvrier dans la sidérurgie et syndicaliste, faisait les trois huit dans le bassin minier de Belvaux - l’un des rares bastions socialistes du Grand-Duché. Peu disert sur ce père qui, lors de la Seconde Guerre mondiale, a été enrôlé de force par la Wehrmacht lors de l’occupation allemande, M. Juncker confiait au quotidien britannique le Guardian que l’un de ses plus beaux souvenirs remonte à 1997 lors d’une croisière sur le fleuve Dniepr durant le premier sommet européen entre l’UE et l’Ukraine : « je demandais aux collègues ukrainiens combien durait [la traversée] jusqu’à Odessa. Ils ont alors demandé pourquoi. Mon père avait été à l’époque embrigadé par force par les Allemands et avait été blessé à Odessa, ai-je répondu. L’un des Ukrainiens m’a alors demandé quand cela avait eu lieu…Puis nous avons pleuré ensemble, car son père avait été également blessé le même jour sur le front russe ».
Jean-Claude Juncker poursuivit sa scolarité en Belgique puis étudia en Alsace, où il obtint un Master en droit en 1979 en même temps qu’il rencontra sa future femme. Il s’inscrivit au barreau du Luxembourg en 1980. Lors de son éviction en 2013, il avait d’ailleurs affirmé que son vrai métier n’était pas celui de « politicien » mais d’avocat, quand bien même aucun de ses confrères n’a le souvenir de l’un de ses plaidoyers, mais plutôt de lui aux commandes gouvernementales.
Une vie peu ménagée
En 1989, alors que le mur de Berlin tombait, et que le monde bipolaire s’effondrait, Jean-Claude Juncker était plongé dans le coma, à la suite d’un grave accident de voiture, dont les circonstances n’ont jamais été éclaircies. À son réveil, tout comme la mère dans le film Good Bye, Lenin !, il crut tout d'abord qu’il s’agissait d’une farce. Il perdit lors de l’accident une partie de la motricité de sa jambe gauche, le forçant à arrêter ses activités sportives, qui lui permettaient de compenser un tant soit peu son existence effrénée.
Car la vie de Jean-Claude Juncker n’est pas de tout repos et l’homme politique ne paraît pas ménager sa santé. La cigarette et l’alcool sembleraient, selon des bruits de couloir et les relais de la presse, l’avoir suivi tout au long de son parcours politique, des longues négociations dans les coursives de l’Union et de son existence noctambule. « Ma vie que je m’impose n’est pas bonne pour mon organisme », aurait-il déclaré à ce sujet, selon le quotidien Le Monde. Un rythme de vie qui expliquerait son air fatigué, voire parfois absent, avec ce visage en « papier mâché ». « J’ai toujours fait plus vieux que mon âge » répond-il avec dérision.
L’humour et le cynisme du politicien
L’un des traits saillants les plus rapportés dans la presse serait l’humour du politicien luxembourgeois, qui permet à ses collaborateurs de le qualifier volontiers de personne sympathique, capable d’empathie. Ainsi, lors d’une photo de groupe, il aurait lancé au président chinois, Xi Jinping : « rendez-vous compte, à nous deux, on représente le quart de l’humanité ! ». Cependant, ses jeux d’esprit peuvent parfois friser le cynisme. Ainsi, en 2005, lors de la tenue du référendum sur le projet de constitution européenne, il aurait lâché : « si c’est un oui qui l’emporte, nous n’aurons plus qu’à avancer et dans le cas contraire nous continuerons ». Plus tard, lors d’une conférence filmée sur les politiques économiques de la zone euro, le Luxembourgeois déclara, pince-sans-rire, au sujet de certaines réunions cachées de l’Eurogroupe au plus fort de la crise : « je suis un chrétien-démocrate, je suis catholique, mais je devais mentir » pour éviter des spéculations contre la zone. Propos qui pourraient sembler pour certains d’une franchise salutaire, pour d’autres d’un cynisme dangereux.
Un cynisme qui serait à articuler avec un grand sens du pragmatisme, peu enclin au grand chamboulement et aux grandes réformes, au grand dam des eurosceptiques, en premier lieu David Cameron, ou des européistes. Ainsi, comme le rappelle la Tribune, interrogé sur les réformes proposées par les groupes Eiffel Europe ou Glienicke, le Luxembourgeois aurait répondu : « le programme de travail de la Commission se distingue des séminaires académiques par une dose supplémentaire de réalisme. Il n'est pas envisageable d'apporter des changements de taille aux traités et surtout pas en matière d'union économique et monétaire ». Adieu aux grandes réformes donc.
Pragmatisme, humour teinté de cynisme et affabilité alliés à une longue expérience politique et du terrain européen, sont autant de caractéristiques qui semblent finalement convenir au vieux paquebot qu’est l’Union européenne. C’est certain, l’homme n’est pas Neelie Kroes, commissaire au numérique et septuagénaire, qui rêve d’Europe connectée et de Commission digitalisée. Il est d’ailleurs régulièrement dit que l’homme verse peu dans la technologie, n’utilisant que rarement l'ordinateur, Internet et la téléphonie mobile. Travers dont il se joue d’ailleurs dans un récent clip de la Commission qui laisse entendre que son passéisme servira l’Union. Un conservateur en somme qui rassure un tant soit peu les classes politiques, échaudées par sept années de crise et des Européennes marquées par une forte poussée des forces eurosceptiques d’extrême droite. A défaut d'avoir été audacieux, le choix Juncker se révélera-t-il judicieux ?
Le clip de la Commission européenne sur la fibre économique de Juncker : « vous n'avez pas besoin d'être un expert pour croire en la technologie ».