Julien Campredon, con
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Du pays des Lumières, émergent parfois ces zones d’ombres que seul certains auteurs se proposent d’éclairer. Julien Campredon est de ceux-là. En se réclamant « écrivain du sud », le Toulousain ranime la Province d’un coup de plume que certains trouvent génial, d’autres effrayant. Rencontre chez lui, à Rabastens, en plein Languedoc. Au centre du monde.
Autant le dire tout de suite. Quiconque a déjà eu dans les mains un livre de Julien Campredon a forcément expérimenté un voyage sensoriel aussi défrisant qu’une poussée d’hormones stéroïdes. Auteur de 3 recueils et d’une nouvelle, gageons que le Toulousain ne lésine pas avec les sens. De L’attaque des Dauphins Tueurs à Brûlons tous ces punks pour l’amour des Elfes, les histoires contées renvoient volontiers l'image d'un écrivain sous acide, noircissant des Moleskines avec la frénésie d’un névropathe. Il le dit lui-même : « on me prend pour un cocaïnomane compulsif ». Le terme vient de certains critiques qui n’ont pas saisi, qu’au-delà des titres, se tenait là en creux « une étude sur la folie de notre temps ».
Chevalier des êtres
Pourtant, Julien Campredon n’est pas vraiment le Docteur Foldingue. Juste un gars du sud pantelant de bonhomie, qui prend l’exercice de l’interview très au sérieux, vous vouvoie poliment, et profère parfois « faut que j’arrête de dire voilà » quand il dit trop le mot « voilà ». « Moi je suis un provincial », affirme-t-il, en Francis (Cabrel) dans le texte. Nous sommes à Rabastens, commune du Tarn, à 40km de Toulouse où selon la légende « Catherine Deneuve allait chercher ses gâteaux ». Julien reçoit dans 220m2 habitable, fractionnés sur trois étages. Comme souvent dans le sud, notre homme choisira la cuisine pour s’exprimer. Derrière lui, au-delà des vitres, un potager. Derrière nous, une superbe horloge ancienne dont le cadran est frappé du nom de Gaillac, la cité millénaire de la région.
Campredon est un écrivain du sud. Une particularité qu’il entretient comme son jardin puisque dans ses nouvelles l’espace - parfois le temps - ont toujours pour point d’ancrage le Languedoc. Sa maxime ? « Ne pas être étranger chez soi ». Autrement dit, « faire souche ». Et pour Julien, connaitre ses racines, c’est apprendre l’Occitan, la langue du tiers-sud de la France encore parlée, paraît-il, par 10 000 âmes. « L’Occitan c’est un symbole. Un facteur d’assimilation énorme, explique-t-il, en se tortillant sur sa chaise d’excitation. Je pense même que c’est une intelligence. Car la culture c’est ce qu’il y a entre le sol et le ciel. » Entre les lignes en tout cas, le monde de l’écrivain s’apprécie avec de l’aligot, des pointes de gras, des troubadours et une sacrée allergie à tout ce qui se trouve au-dessus de Bordeaux.
« Je n'ai jamais compris ce qu’on me demandait »
Julien ne s’est pas toujours intérrogé sur le droit du sol. A 17 ans, son délire existentiel, c’était les filles. Sujet d’une première histoire publiée dans une revue, la grande question de l’écrivain naissant était : « mais pourquoi les femmes sont-elles toujours inaccessibles ? ». A l’époque, le jeune Campredon est en première L dans un établissement qui a la prétention d’instruire l’élite de la Nation : Fermat. Bien évidemment, Julien est un garçon pas comme les autres. Dans les années 90, quand la mode est aux chemises vichy et autres coupes poussins, le petit canard s’habille comme un punk. « Je m’habillais comme les Clash, je me coupais les cheveux aux ciseaux et je mettais des pantalons déchirés », confesse-t-il désormais vêtu d’un t-shirt à l’effigie des Requins Marteaux. L’élève tourmentée passe de justesse et…fait son droit. Sa mère est prof. Lui, ne sait pas quoi faire. Et passe donc au travers de 5 années de galère dont « une en dépression » jusqu’à « la révélation » : son mémoire consacré à la notion de tolérance dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alambert. Mais, de sa maitrise, Julien en fait une boulette et la jette à la poubelle. « Je n’ai jamais compris ce qu’on me demandait », lâche-t-il, un peu bougon.
Comme Tolkien
Du punk, Campredon garde l’indépendance - « Do it Yourself ! Do it Yourself ! », répète-t-il en tapant dans les mains quand on lui demande d’expliquer sa démarche - mais surtout, le goût de l’aventure. Quand il est reparti de zéro, l’écrivain a écumé « les boulots de merde » : veilleur de nuit, représentant en système d’alarme, médiateur culturel… Autant de métiers qui serviront sa cause littéraire. Les punks, ce sont les gens qui dégradaient le musée sur lequel il veillait, « ceux qui attaquent l’institution ». Les elfes, ce sont les artistes qu’il faut protéger, « le Beau esthétique ». Coincé entre les deux, Julien transpire le cassoulet. Mais en 2004, l’auteur qui gribouillait ses histoires dans les chiottes des centres d’art contemporain, rencontre Dominique Bordes de la maison d’édition Monsieur Toussaint-L’ouverture, « un mec qui m’a de suite compris ». Aujourd’hui, il sourit. Tout juste père à 35 ans, il enchaine les jobs alimentaires de plus en plus proches de ses passions. « Des traductions et même une série, en Occitan », précise-t-il, fier comme un bar-tabac du Gers. Bien sûr, en bonhomme de l’être, Campredon râle encore un peu. Précisément, sur la jeunesse. Lui, l’écrivain cavalier, se demande où est passé la cavalerie. « Où sont-les jeunes ? Où est le rock’n’roll ? Je ne les entends pas. Et je n’ai aucune raison d’aller les chercher. »
Ne vous fâchez pas. Lisez plutôt « Avant Cuba », la nouvelle qui fera peur à vos parents et dans laquelle un jeune s’endort devant un conseiller Pôle Emploi qui n’a qu’une hâte : partir en vacances. De toute façon, il l’avoue, Julien se sent un peu « justicier ». C’est un peu pour ça qu’il travaille à son premier roman…de chevalerie. Pourquoi ? « Parce que ça autorise tout. » Comme, par exemple, situer l’action dans le Languedoc. « Tolkien a créé un monde fantastique avec ses Hobbits. Mais moi je n’ai pas besoin parce qu’il est là, sous mes pieds. »
Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes sortira en édition Pocket, le 5 septembre prochain.