JO : l’Europe s’enflamme pour le Tibet
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Formidable élan populaire pour les uns, énorme gâchis pour les autres. C’est la première fois que la flamme olympique est éteinte sous la pression populaire. L’Europe cherche sa voix.
Les officiels chinois attendaient pourtant un vrai rassemblement autour de ce symbole, première étape du lancement des Jeux Olympiques, la seule manifestation mondiale réunissant plus de 200 pays. A Paris, le 7 avril, ce fut un énorme fiasco. A tel point que la cérémonie officielle prévue sur la place de l’Hôtel de Ville, ainsi que les dernières étapes de la tournée de la flamme à Paris, ont été annulées. Les militants de la cause du Tibet ont gagné : à aucun moment la question tibétaine n’a pu être éludée durant cette journée.
Drapeau tibétain brandi à Paris, lundi dernier (Prakhar/flickr)
Déploiement sur la tour Eiffel et sur la façade de l’Eglise Notre-Dame de drapeaux représentant les anneaux olympiques en forme de menottes, mise en place de cortèges de manifestants extrêmement vindicatifs. Une hystérie générale a progressivement gagné la foule et les policiers, et a entraîné de nombreux débordements. Tandis que certains manifestants se sont allongés sur la route pour empêcher le passage de la flamme, d’autres ont carrément tenté de l’éteindre en s’attaquant aux sportifs qui la portaient.
Retour sur les manifs parisiennes
Les 3000 policiers, débordés, n’ont que très difficilement contenu les assauts de la foule sur le cortège olympique, au prix parfois de brutales interventions. « Au lieu d’exporter la démocratie, on importe les méthodes de la plus grande dictature du monde », déclare un manifestant menotté sans ménagement par les forces de l’ordre. Excédés, les dignitaires chinois écourtent le parcours de la flamme, et finissent par l’éteindre.
Le président du CIO Jacques Rogge a immédiatement déploré les débordements survenus à Londres, puis Paris. Il dénonce l’amalgame fait entre ce symbole de paix universelle qu’est la flamme olympique et la situation au Tibet. Le CIO, qui avait accordé il y a sept ans les jeux olympiques à la Chine sous réserve d’une amélioration de la situation des droits de l’Homme, est aujourd’hui extrêmement critiqué pour sa passivité et son hypocrisie.
« Jacques Rogge avait promis que chaque fois qu’il y aurait un problème avec les droits de l’Homme en Chine, il serait là pour défendre les victimes. Il ne l’a jamais fait », a dénoncé Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans Frontières, et principal instigateur des manifestations de protestation survenues durant toute la journée. Des débordements que n’ont pas pu voir les téléspectateurs Chinois, les images ayant été censurées. Si le régime de Pékin admet l’existence de quelques troubles, leur ampleur est totalement dissimulée.
Manifestations à Paris (Prakhar/flickr)
Sarkozy engage l’Europe
Les manifestations de Londres et Paris illustrent le décalage existant entre la timidité des propos des dirigeants européens qui jusqu’ici hésitent sur l’attitude à adopter quant à cette question, et la colère de la population qui s’est rassemblée en masse pour protester. Amenée à prendre la Présidence de l’Union européenne de juillet à décembre 2008, la voix de la France aura une importance déterminante. Mais c’est pour l’instant l’absence de clarté qui caractérise la position diplomatique française.
Tout d’abord opposé à toute forme de boycott, Nicolas Sarkozy a ensuite déclaré : « Toutes les options sont ouvertes ». Le 6 avril, Rama Yade, secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, avait annoncé que le Président se rendrait à la cérémonie d’ouverture des JO sous trois conditions : la fin des violences contre la population et la libération des prisonniers politiques, la lumière sur les événements tibétains et l'ouverture du dialogue avec le dalaï-lama. Des propos qui ont d’abord été démentis par l’Elysée, avant d’être confirmés le lendemain des évènements de Paris. Bref, le Président et son Ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, devront clarifier leur position d’ici quelques mois car la parole de la France engagera toute l’Union européenne.
Bain de sang au Tibet
Quoiqu’il en soit, c’est bel et bien un mouvement de protestation internationale qui s’est mis en place. En témoigne l’escalade du Golden Gate de San Francisco par des militants de la cause tibétaine. La ville est censée accueillir la flamme le mercredi 9, et là aussi de fortes manifestations sont à prévoir. Un chaos général qui pourrait pousser le CIO à carrément annuler la tournée mondiale de la flamme Olympique. « Nous devons revoir l’ensemble de la question », affirme aujourd’hui la vice-présidente du CIO, Gunilla Lindberg.
Un mouvement international, qui pourrait avoir de très graves répercussions, notamment sur la population tibétaine. Le soutien de l’opinion publique internationale pourrait aujourd’hui encourager les indépendantistes à durcir leur mouvement de protestations depuis Lhassa. Jusqu’où les dirigeants Chinois laisseront-ils ces évènements saper leur autorité sur place ? Quelle serait alors l’ampleur de la riposte sur le peuple tibétain de la part de Pékin ? En voulant aider la cause tibétaine, l’opinion publique internationale risque paradoxalement de provoquer sur place un vrai bain de sang.
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(Photos : en Une, richdrogpa/flickr; dans le texte, prakhar/flickr)