Jeunes cinéastes à cran en Pologne
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isabelle FoucrierA l’école supérieure de cinéma de Lodz, les étudiants explorent la ville à la recherche de décors pas ordinaires, caméra 35mm à l’épaule. Un apprentissage de la vie, à travers l’objectif.
Dara est fatiguée. Elle a passé toute sa journée à dégoter un lieu de tournage approprié pour son film semestriel. Elle a fini par trouver un appartement avec une grande salle de bain où sera interprétée l’histoire d’un amour adolescent. Alors que le tournage doit commencer dans un mois, le scénario demande encore à être peaufiné. Il y a trois ans, cette jeune fille de 21 ans, à la voix étonnement rauque, est venue de New-York à Lodz pour étudier la mise-en-scène.
Ce n’est pas sur cette école supérieure du cinéma, la Panstwowa Wyzsza Szkola Filmowa, Telewizyjna i Teatralna que les étudiants se ruent en premier lieu. Même si Lodz est la seconde ville de Pologne, elle semble être restée intacte depuis la chute du mur. Des maisons effondrées, des rues crevassées, des usines abandonnées, derniers signes tangibles d’une ville anciennement dédiée à l’industrie textile. Le spectacle est désolant. Pourtant, c’est à cette ville que le cinéma polonais doit son développement. La ville attire les personnalités les plus créatives du cinéma.
Dès 1954, on pouvait voir Roman Polanski assis sur les grands escaliers de la salle de représentation. C’est aussi à Lodz que Krzysztof Kieslowski, réalisateur de la trilogie Trois couleurs a fait ses études dans les années 60. Mais ce sont également les cadreurs, qui, ici, sont couronnés de succès. À des noms généralement vite oubliés, on octroie ici une large consécration : sur le trottoir de la seule rue rénovée de la ville, la Piotrkowska, trois cameramen ont leurs noms gravés dans une étoile : Piotr Sobocinski, pour Trois couleurs : rouge, Pawel Edelman nominé aux Oscars pour Le Pianiste et Slawomir Idziak lui aussi nominé aux Oscars pour Black Hawk Down.
Stress et esprit de compét’
Dara ne se souvient plus très bien comment elle a surmonté l’examen d’entrée tant redouté. « J’ai dû tirer d’un chapeau un papier sur lequel figurait le mot « insane ». Et à partir de ce mot, j’ai dû proposer une idée de scénario. Le tout, sous l’œil examinateur des professeurs fumant comme des pompiers. » Et pourtant, ce n’est qu’à l’issue de cette épreuve que le concours d’entrée semble réellement commencer !
Tous les étudiants étrangers doivent suivre un cours de polonais pendant un an. Jan Wagner, un jeune diplômé allemand, est noyé dans le stress des premières années. « On ne doit pas seulement apprendre une langue incroyablement compliquée, on doit aussi suivre des cours dans toutes les matières possibles et imaginables, tout en tournant des films. Chaque étudiant est passible de renvoi si jamais il réalise un mauvais film. » Et cette peur inhérente se lit sur son visage. « L’esprit de compétition qui s’installe peut rendre certains étudiants très productifs, poursuit Jan, mais pour d’autres, la pression est insurmontable. Personnellement, je suis quelqu’un qui doute en permanence. Mais un tel rythme ne laisse que très peu de temps à la remise en question. »
L’école de la vie
Le petit campus, sa salle d’archives poussiéreuse où les bobines de films s’entassent jusqu’au plafond…Tout semble d’un autre âge. Même le personnel n’est pas bavard. En réalité, c’est le capital humain qui fait la richesse de l’école comme ces étudiants étrangers venus du Japon, de New-York ou de Suède, simplement pour apprendre. Leszek Dawid, ancien élève en réalisation, et enseignant actuellement à l’école, explique que l’école regorge d’atouts.
« Chaque étudiant est passible de renvoi si jamais il réalise un mauvais film »
Ici, on veille à ce que le matériel et la fabrication soient d’une qualité optimum : pour encourager les étudiants à soigner la précision de leurs films, tous les exercices de caméra doivent être réalisés en 35 mm. Par ailleurs, chaque étudiant jouit d’un encadrement individuel. Selon Leszek Dawid, c’est le moyen de faire émerger l’histoire individuelle de chacun. À la question de savoir s’il se considère comme une sorte de psychothérapeute, Leszek Dawid nie en riant. « Non, je ne cherche pas à soigner les étudiants. Je me contente de leur transmettre un savoir-faire technique pour qu’ils puissent exprimer leur propre histoire. »
Une ville, ou un entrepôt de décors ?
Avec son charme morbide et vieillot, où les traces du communisme sont toujours très visibles, la ville cache de nombreux décors inhabituels…mis en permanence au service de films tournés sur place. Dans des barres d’immeubles à l’imparable géométrie, dans des anciennes usines désertées, sont racontés pêle-mêle premières amours, chômage des jeunes, et destins d’objecteurs de conscience allemands.
Kazimierz Karabasz, documentariste et professeur à l’école supérieure, apprend à ses étudiants comment prêter attention à son environnement direct et à ses habitants. Sous l’objectif d’une caméra bienveillante, le réel même permet un discours clair et l’évolution de personnages capables de témoigner de l’humanité en général. À Lodz, on entend ce genre d’existences bourdonner par milliers.
Dara reprend un verre de vin. Malgré le stress, la fatigue et les tournages qui arrivent, elle tente de garder son calme. « Je me suis construit une carapace…j’ai appris à m’adapter, à côtoyer les gens. Faire ses études à Lodz, c’est aussi se donner les moyens d’affronter la vie. »
Translated from Keine Zeit für Selbstzweifel