Jeune de Transnistrie, qui es-tu ?
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Comment vit-on dans un pays non-reconnu comme la Transnistrie, région sécessionniste de la Moldavie ? Malgré le conflit gelé avec leurs « voisins » et la faible économie, les jeunes Transnistréens expriment leur amour pour leur pays et leur confiance dans l’avenir.
« La Transnistrie? Je n’en ai jamais entendu parler », voilà la réponse classique en Europe, surtout en Europe de l’Ouest. Cette petite république autoproclamée et financièrement soutenue par la Russie, n’est reconnue par aucun autre pays au monde. Pourtant, comme tous les cinq ans, les Transnistréens se sont rendus aux urnes en décembre afin d’élire le président de leur pays, la Pridnestrovskaia Moldovskaia Respublica. Igor Smirnov, le fondateur du pays, a perdu face à Evgueny Chevtchouk, un avocat de 43 ans et chef du parti d’opposition « Renaissance ».
Pour le reste du monde, la Transnistrie fait partie de la Moldavie. Mais les Transnistréens ne l’entendent pas de cette oreille. Depuis que Smirnov a proclamé l’indépendance en 1991 lors de l’éclatement de l’URSS, la Transnistrie détient toutes les caractéristiques d'une nation : un chef d’État, un Parlement (appelé « le Soviet Suprême »), une monnaie (le rouble transnistréen), un drapeau (avec faucille et marteau) et un hymne national.
« Notre plus gros problème est la corruption »
Comment vivent les jeunes dans cette région aux confins de l’Europe ? Ont-ils confiance dans leur avenir ? Eugen Abramov, 19 ans et étudiant en journalisme, nous confie dans le centre-ville de Bender, la deuxième ville de la Transnistrie, avoir voté Chevchoukdans l’espoir de changement. « Notre plus gros problème est la corruption, et la liberté de la presse n’existe pas. » Ce jeune russophone a subi la censure lui-même lors d’un stage au sein d’une chaîne de télévision locale. On lui avait fait comprendre qu’il « valait mieux ne pas trop critiquer le président. » Pour lui, cette première expérience professionnelle a donné le ton. Pas étonnant que Abramov s’est inscrit à l’Université de Saint-Pétersbourg. Le diplôme russe lui permettra de trouver plus facilement un emploi de journaliste à l’étranger : en Ukraine, en Géorgie, ou en Russie, même si le climat n’y sera pas tellement plus avantageux.
Double language
Katia Marakunia, lycéenne de 16 ans, est une des rares jeunes à soutenir le pouvoir en place. Elle soutient Smirnov, car pour elle « Smirnov maintient la stabilité dans le pays. » Son point de vue est fortement inspiré par ses parents dont certains ont des liens personnels avec les autorités, et elle ne s’en cache pas. « J’adore Bender (sa ville natale). Même si un jour je la quitte, j’y reviendrai », me dit cette jeune lycéenne dont le cadre de référence ne dépasse pas Bender et Tiraspol, les deux plus grandes villes de Transnistrie. Pourtant elle compte faire ses études de médecine à Odessa (Ukraine). Ce double langage - 'j’aime mon pays mais je préfère faire mes études à l’étranger’- semble être répandu parmi les jeunes Transnistréens. Selon Marina Alexandrovna, journaliste pour l’édition transnistréenne du journal russe Komsomolskaya Pravda, 70% des jeunes font des études supérieures mais 40% d’entre eux les font à l’étranger.
Ceux qui restent en Transnistrie se disent pourtant « heureux d’y vivre », comme Artem Knysh, qu’on rencontre à Tiraspol.Cet étudiant en sociologie est fier de sa « rodina » (patrie), qu’il préfère aux pays voisins qu’il a pu visiter : la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine. Il a voté Chevchouk parce qu’il estime que la Transnistrie a « besoin d’un renouveau économique. » Jusqu’en 1990, la région était très industrialisée et représentait 40% du PIB de la Moldavie. Aujourd’hui il n’en reste pas grand-chose, sauf quelques entreprises dans les secteurs de l’acier, de l’électricité, du textile et de la distillerie de cognac et de vins. Mais surtout, le monopole est détenu par la société Sheriff, dirigée entre autres par le fils du président Smirnov. Les supermarchés, les stations-service, le club de foot, la téléphonie mobile... tous portent l’enseigne de Sheriff. Les nombreux jeunes qui ne peuvent pas se permettre de poursuivre leurs études, sont souvent condamnés au chômage ou à un emploi mal payé...chez Sheriff.
Où sont les trentenaires ?
Autre tranche d'âge. Même combat. En déambulant dans les rues transnistréennes, on est frappé par la multitude de bébés, promenés en poussette par leurs grands-parents. Où sont leurs parents ? Alexandre Cliuicov, d’Imedia, une agence de presse moldave spécialisée dans l'analyse et le commentaire, nous explique que les trentenaires sont nombreux à travailler à l’étranger, mais qu’il n’existe pas de chiffres officiels. Nombreux sont ceux qui confient l’éducation de leurs enfants à leurs parents. Rien d’étonnant dans un pays où le salaire moyen ne dépasse pas les 115 euros par mois, selon les estimations de Cliuicov.
Alors que faire dans cette galère ? Evgueny Chevtchouk, le candidat favori à la présidentielle, nous dit qu’ « environ 20% des jeunes entre 18-25 ans sont au chômage. » Un chiffre qui semble optimiste, car « depuis peu, on est considéré chômeur seulement au bout de deux ans d’inactivité. » Une façon d’enjoliver les chiffres? « Non », nous répond-il. « Plutôt une manière pour réduire les dépenses de l’État », qui paie donc moins d’allocations. Une aberration à laquelle il entend s’attaquer.
Photo : Une (cc) Guttorm Flatabø/flickr ; Texte : © Judith Sinnige