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"Je ne suis pas celle-là". Regarde-moi, je te dirai qui je suis

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 Le Festival Européen de Cinéma de Séville, qui s'est tenu du 4 au 12 novembre, a misé cette année sur le cinéma sur les femmes fait par les femmes. Face à l'image déformée de nous-mêmes que donne souvent le cinéma, ce Festival a eu la bonne idée de  de apostar por visibilizar y dar voz a grandes directoras de cine con otra mirada, mucho más profunda y real, sobre lo que significa ser mujer. 

L'art est un voyage aller-retour qui nous montre comment nous sommes et se nourrit de notre façon de vivre. Après s'être approché d'une oeuvre d'art, quelqu'en soit la nature, on en sait plus sur nous-mêmes qu'avant d'en avoir joui. Cela vaut pour la poésie, les romans, les chansons, les tableaux, les sculptures et bien entendu, le cinéma. Mais que se passe-t-il si ce que nous voyons est une image plutôt déformée de nous-mêmes ?

La plupart des personnes qui lisent ces lignes ne savent pas ce qu'est le test de Bedchel. Pourtant, c'est la clé pour comprendre pourquoi, bien souvent, nous les femmes ne nous sentons pas représentées dans les films que nous regardons. Alison Bedchel est une dessinatrice américaine de bande dessinée qui a publié en 1985 Dykes to Watch Out For. Dans cette bande dessinée, dans une histoire intitulée "The rule", apparaissait ce simple test qui mesure la présence des femmes dans l'art. Le test est composé de trois questions : la première est de savoir si plus de deux femmes qui ont des noms apparaissent ; la deuxième est de savoir si elles parlent entre elles et la troisième si elles parlent entre elles de quelque chose d'autre que d'un homme. Ce test sert à mesurer la présence des femmes ; il ne nous dit pas si un film est bon ou mauvais, il n'évalue pas non plus si un film est féministe ou pas. Il évalue simplement si nous apparaissons, si nous avons un nom et si nous parlons d'autre chose que d'amour romantique !

A première vue, le test peut même paraître un peu absurde, mais à mesure que l'on y réfléchit, on découvre que la majorité des films ne le passe pas. Des films connus de tous comme Batman, District 9, Slumdog Millionaire, Terminator, Shrek, Watchmen, toute la saga Bourne, Transformers, Brüno, Hackers, The Big Lebowski, WALL·E, Wanted, Ocean's Twelve, Clerks, Pirates des Caraïbes, Austin Powers, Men in Black, Fight Club, Le Cinquième Elément, Hellboy, Milk, Reservoir Dogs, James Bond, Indiana Jones, Alien, Le Seigneur des Anneaux, Princess Bride, The Truman Show, Une Nuit en Enfer, Trainspotting, Mission Impossible, Braveheart, Toy story, Gladiator, X-Men, Quand Harry rencontre Sally, Retour vers le Futur, Pulp Fiction, Entretien avec un Vampire, Seven, Maman, j'ai raté l'avion, ou Là-Haut, pour ne citer que quelques exemples parmi les millions qui existent. C'est clair : l'industrie du cinéma est faite pour tourner des films sur les hommes. 

Conscient de cette réalité qui n'est autre qu'une forme de violence symbolique, rappelons-le puisque nous sommes en novembre, le mois de la lutte contre les violences machistes, le Festival de Cinéma de Séville de cette année, qui s'est tenu du 4 au 12 novembre, a programmé un beau cycle intitulé "Je ne suis pas celle-là" consacré au regard des femmes cinéastes sur les femmes.

Beaucoup d'entre nous qui avons assisté à ce cycle, avons grandi en écoutant les grandes coplas des maîtres Quintero, León y Quiroga : A la lima y el limón, Tatuaje, La Lirio, Francisco Alegre, La niña de fuego, Ay pena, penita, pena, Y sin embargo te quiero, No me quieras tanto, Romance de valentía, La zarzamora, Romance de la Reina Mercedes, Limosna de amores, Capote de grana y oro, La Salvaora, Ojos Verdes, Amante de abril y mayo et tant d'autres. Beaucoup d'entre nous avons écouté ces chansons interprétées par la grande Lola Flores, Juanita Reina, Marifé de Triana, Rocío Jurado ou Isabel Pantoja et nous apprécions toujours ces paroles qui font déjà partie de l'imaginaire collectif avec d'immenses chanteurs comme Miguel Poveda.

Nous avons tiré de ces chansons des grandes leçons de vie que nous avons ensuite dû déconstruire sur le chemin qui conduit à nous aimer nous-mêmes. Une de ces choses que nous avons dû désapprendre est la peur que notre vie sexuelle nous réduise à une personne anonyme : "Je suis...cette.../ Cet obscur petit oeillet / Qui va d'un coin à l'autre / Restant dans la tête./ Ils peuvent m'appeler Carmen,/ Lolilla ou Pilar;/ Je devrai me conformer / Au nom qu'ils voudront me donner./ Je suis celle qui n'a pas de nom,/ Celle qui n'intéresse personne,/ La perte des hommes,/ Celle qui ment quand elle embrasse./ Vous le savez...déjà... Je suis...cette..."

Au long de cette déconstruction, bien sûr nous n'étions pas seules. Mari Trini, par exemple, nous a appris à être rebelles avec ces paroles-là : "Je ne suis pas celle/ Que tu t'imagines/ Une demoiselle tranquille et simple/ Qu'un jour tu abandonnes/ Et qui pardonne toujours/ Cette fille oui...non.../ Celle-là ce n'est pas moi / Je ne suis pas celle / Que toi tu croyais / La colombe blanche / Qui adule / Qui rie pour rien / Disant oui à tout / Cette fille oui...non../ Celle-là ce n'est pas moi"

Le cycle "Je ne suis pas celle-là" était composé de 12 films faits par 12 femmes qui nous présentent d'autres femmes dotées d'une grande capacité créative, qui interrogent leurs rôles de genre, qui vivent leur sexualité ou qui en sont frustrées ou qui sont mères à la manière du sphinx de Thèbes. Des femmes qui osent transgresser et qui refusent les corsets étroits que la société leur impose.

Près de soixante ans de cinéma ont été explorés lors du cycle qui se divisait en huit sessions thématiques - Parlons de Sexe, Riot Grrrls, Elle était Heureuse en Mariage, Une Mère il n'y en a qu'Une, Plus Mauvaise qu'une Douleur, Question de Genre, Girl-Friends ou Qu'ils ne nous Représentent pas.

Sedmikrásky (1966) - Věra Chytilová 

Ce film (en français, Les Petites Marguerites) est considéré comme l'un des plus importants de la Nouvelle Vague Tchécoslovaque et pourtant, il fut censuré pendant longtemps. Sedmikrásky est construit avec des fragments d'histoires dans lesquelles deux filles défient le système et exhibent leur laxisme moral dans un monde corrompu. Malgré le succès du film, la censure tchécoslovaque a contraint sa réalisatrice, Věra Chytilová, à présenter une partie de ses productions suivantes sous le nom de son mari. Son rôle dans le renouveau du cinéma européen est indiscutable, bien que les circonstances politiques qui entourent son oeuvre la ternissent. Sedmikrásky est un continuel défi au spectateur, un questionnement moral et une réflexion continuels sur ce qu'on attend et sur ce que sont ces deux filles qui aiment la vie et le plaisir par-dessus tout. 

Riddles of the Sphinx (1977) – Laura Mulvey 

Celui-ci est un film-manifeste dans lequel Laura Mulvey a voulu montrer ses idées à propos du cinéma. Avec une structure en miroir et le recours au plan panoramique circulaire, Mulvey nous parle de ce qui, pour elle, signifie être mère dans une métaphore constante avec le sphinx de Thèbes comme véhicule. Sans doute, un des films féministes fondateurs qui ne pouvait pas être absent d'un tel cycle de cinéma.

À ma soeur (2001) – Catherine Breillat 

Un film qui nous fait réfléchir sur la sexualité et qui raconte le drame des femmes (surtout adolescentes) qui n'ont pas un corps conforme aux canons normatifs de la beauté. Bien que l'oeuvre frôle la sordidité, surtout avec cette fin par trop tragique, c'est une proposition intéressante sur un thème qui est rarement traité au cinéma. C'est ce qui fait son originalité : le choix du thème et du point de vue qui, d'ailleurs, est présent dans toute l'oeuvre cinématographique ou littéraire de sa réalisatrice, Catherine Breillat.

Grandma Lo-fi: The Basement Tapes of Sigrídur Níelsdóttir (2012) 

Ce documentaire est une magnifique ode à la création, à l'imagination et au droit à faire ce qu'on aime quelque soit son âge. Avec une belle proposition visuelle qui mélange cinéma, musique et collages, ce film choral nous raconte les dernières années de Sigrídur Níelsdóttir qui, à 70 ans, s'est mise à jouer de la musique de manière presque artisanale et a enregistré plus de 600 chansons dans lesquelles elle a intégré les bruits de ses animaux et tout ce qu'elle trouvait dans la cuisine qui pouvait lui être utile comme le bruit de l'eau qui tombe dans des pots ou le bruit que fait le papier d'aluminium quand on le froisse. Sans doute une des propositions les plus attendrissantes de ce cycle.

En plus du cycle de cinéma, "Je ne suis pas celle-là" est un fanzine qui rassemble des illustrations, des histoires et des bandes dessinées dans l'esprit de rendre visibles les réalités des femmes qui n'apparaissent jamais, ou très peu, dans l'art. Des artistes comme María Cañas, Elisa Victoria, Joaquín León, Elena Orellana (Madre Imperfecta), Marta Caballero, Gloria Romero (Rapariga Amarguinha), Ana Jiménez (La Topa Tabernaria), Marta Altieri, Nieves González (N.G. Snowjane, de Las Janes), Gloria Vilches, Xiana Gómez Díaz, Helena Exquis, Andrea Galaxina et Mari Marín (lamarimorena) y ont collaboré.

Il reste encore un long chemin à parcourir. Beaucoup de chansons à déconstruire. Beaucoup d'éléments de langage à s'approprier. Beaucoup de films à faire qui passeraient, au moins, le test de Bedchel. Beaucoup à revendiquer et beaucoup à dire. Mais, assurément, le fait qu'un festival comme le Festival de Cinéma Européen nous mette sous les projecteurs, ce que nous voulons être et ce que nous avons à dire, c'est un petit grand pas. Et surtout le faire avec cette perspective historique qui montre que, malgré tout, les femmes ont toujours, toujours, toujours contribué au développement de l'art.

Félicitations au Festival pour ce pari !

Translated from "Yo no soy ésa". Mírame, te cuento cómo soy