Jamais (de travail) le dimanche
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Ce petit jeu de mots en forme d’allusion au célèbre film de Jules Dassin n’est, je l’avoue, pas de moi, mais je l’emprunte à l’un des articles parus en Grèce pendant les fêtes.
Ce que certains ne veulent jamais faire le dimanche, en l’occurrence, c’est travailler dans un magasin, et cette information m’a paru intéressante au regard de débats français portant sur le même sujet – mais dans un contexte et une perspective radicalement différents.
En Grèce, (comme on nous le rappelle dans To Vima) le dimanche est un jour chômé comme dans une grande partie de l’Europe, mais une disposition de 1971 autorise les commerces à ouvrir un dimanche par an entre le 18 et 24 décembre, et même deux dimanche au cas où le dernier jour de l’année tombe justement un dimanche. Mais cette année, la situation était compliquée par les destructions massives de magasins au cours des épisodes violents qu’a connu le pays en décembre, en particulier à Athènes. C’est pourquoi le ministère du Développement a autorisé, le 23 décembre, l’ouverture des commerces le dimanche 28 décembre, dans la préfecture d’Athènes uniquement. Le problème est que, porté par son élan, le ministre concerné a par la suite formulé la possibilité pour cette mesure d’être étendue à tout le pays, ce que les syndicats ont refusé en bloc, y voyant le début d’une légalisation du travail généralisé le dimanche pour les employés de magasin. S’en sont suivies des réactions en chaîne (à lire dans Ta Nea), nombreuses et variées.
Refus massif du parti communiste KKE et de la gauche radicale (SYRIZA) qui accusent cette mesure d’avantager les grandes chaînes commerciales et les grands magasins, et de préparer le terrain à une législation autorisant le travail le dimanche. Le parti socialiste PaSok et le parti LAOS se sont montrés de leur côté plutôt favorables à cette mesure d’exception, même si le premier a exprimé le regret que “le gouvernement se montre incapable d’appliquer une politique claire pour que le commerce fonctionne le dernier dimanche de l’année, comme les conditions économiques, les consommateurs et la logique de l’évolution de la société l’exigent”. En effet, cette autorisation d’ouverture n’a valu que pour Athènes, alors que les dégâts qui justifient cette ouverture ont également touché d’autres grandes villes du pays (Thessalonique, notamment). Le LAOS a répondu aux arguments de la gauche radicale en parlant de “survie des magasins”. “”Quand on réfléchit au fait qu’Athènes a brûlé pendant 15 jours sous le coup de l’action des cagoulés et que les magasins ont dû rester fermés pendant tout ce temps, fermer les magasins le dimanche 28 signifie davantage de faillites de magasins, et qui dit faillite dit aussi retour du spectre du chômage”.
A Thessalonique, le préfet (de couleur politique Nouvelle Démocratie) s’est engouffré dans la brèche en proposant que les soldes commencent dans sa région le premier dimanche de l’année 2009 (un dimanche contre un autre, somme toute), jetant ainsi “de l’huile sur le feu” selon le journal Eleftherotypia.
Du côté des travailleurs, deux camps se sont formés également: l’Union des commerçants d’Athènes, à l’origine de la demande, s’est bien sûr réjoui de la réponse finalement positive accordée par le ministère à sa requête, suscitant du même coup le mécontentement de ses collègues des autres régions. Lesquels ont été arrêtés dans leur volonté d’ouvrir malgré tout leurs enseignes le 28 décembre (à lire dans Ta Nea) par la menace de lourdes amendes imposées à tout commerçant qui ouvrirait son magasin ce jour-là ailleurs qu’à Athènes. En face, les syndicats des employés de magasin, hostiles à cette mesure, ont été rejoints par des organisations comme le Forum social grec, le Front uni des travailleurs et des membres du parti SYRIZA (à lire dans To Vima).
Le résultat de toute cette affaire fut un immense chaos, selon l’écho qu’en ont donné les journalistes: “Rue Ermou, nous rapporte-t-on dans Ethnos, des manifestants ont bloqué l’entrée de nombreux magasins et en ont interdit l’entrée aux consommateurs. Dès 9h30 le matin, des employés de commerce et des syndicalistes ont bloqué les entrées de grands magasins au centre d’Athènes pour montrer que, selon eux, l’ouverture exceptionnelle des magasin ce jour est un prétexte à la remise en cause de la fermeture des magasins le dimanche.” Des manifestations ont également jalonné la journée de ce dimanche un peu particulier. Du coup, par crainte de reprise des hostilités, certains ont rapidement baissé leur rideau ! Une chaude ambiance pour des courses de Noël, qui par ailleurs, ne semblent pas avoir contribué à renflouer beaucoup les caisses des commerces…
Après coup, le journal Eleftehrotypia (dont le coeur balance plutôt à gauche) a publié quelques observations de dysfonctionnements graves: les employés qui ont travaillé ce dimanche, au départ sur la base du volontariat, auraient été victimes de pressions psychologiques lourdes les obligeant à accepter cet horaire de travail. Les heures supplémentaires et les augmentations de salaire annoncées n’auraient pas toujours été comptabilisées… De quoi alimenter les craintes exprimées auparavant et faire exiger que le jour du Seigneur reste chômé. Dans Ta Nea, Stephanos Tzanakis ironise: "Les cagoules ont fait du bon boulot. Maintenant, pour les employés de ces magasins, c'est la question du travail en général qui se pose, tandis que des commerçants qui n'ont subi aucun dommage profitent de la situation troublée...".