Italie : ma lettre à la vieille Constitution
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Cécile VergnatPerdu au sein d'un débat bien trop technique sur la réforme consitutionnelle de son pays, un jeune Italien a pris le temps de feuilleter la Constitution. À quelques heures du référendum qui décidera du futur de l'Italie, il a pris sa plus belle plume pour s'adresser à celle dont il est tombé, un instant, sous le charme. Belles feuilles.
Chère Constitution de la République,
J’ai décidé de t’écrire parce que ces derniers jours on parle énormément de toi. Ça ne doit pas être chose facile pour une vieille dame de 68 ans d’être sous les feux des projecteurs.
Je crois justement que les années se font sentir... Le bruit circule que tu vacilles : que tu réagis un peu tard dans un monde trop rapide, fragile, ou peut-être malade. Malade dans à un moment historique où la force des décisions est nécessaire, voire vitale.
Alors oui, change un peu ! En plus d’être vieille tu t’es dégradée, murmurent les chirurgiens qui voudraient mettre la main sur toi, tu ne parviens plus à garantir la stabilité, et au bout du compte c’est entièrement ta faute, et de ceux qui se sont laissés embobiner par ton projet politique.
Mais je me demande comment t’est venu à l’esprit l'idée de crier sur tous les toits que tu voulais carrément construire une société juste, participative, caractérisée par le « pouvoir du peuple sur le peuple »? Une société qui indique une méthode de décision partagée, qui laisse même la possibilité aux minorités de s’exprimer pour faire connaître les raisons de leur désaccord… Mais arrête !
Mais pourquoi perdre du temps à mettre en œuvre ce projet ? Trop de temps, trop d’énergies dépensées qui n’ont fait que creuser ton visage, te remplir de rides et de douleur à chaque fois qu’un coup opposé à ce que tu voulais nous dire a été porté ?
Mais pourquoi donc s’obstiner ? Fais-toi un beau lifting, mets une belle robe et arrête avec les « si » et avec les « mais ». D’ailleurs l’histoire ne se fait pas avec des « si », donc stop avec les ambitions et les promesses. D’ailleurs comment faire pour tout mettre en place, sans la « révolution promise » dont parlait Piero Calamandrei (écrivain, juriste et homme politique italien, ndlr) ? Lui qui était tombé amoureux de toi. Il t’aimait tellement, au point de dire qu’ « en matière de pouvoir constituant le gouvernement ne peut pas avoir d’initiative, même préparatoire »
Mais le passé, c’est le passé pas vrai ? Après Calamandrei, tu as eu énormément d’amants, tu parles qu’il te manque encore aujourd’hui. Andreotti (à plusieurs reprises président du Conseil des ministres, ndlr) t’a aimée, il ne voulait pas t’appliquer, Cossiga (président de la République italienne de 1985 à 1992, ndlr) t’a aimée, il t’a giflée. À présent Renzi t’aime, il voudrait que tu restes enfermée à la maison pour t’occuper des tâches ménagères : si tu voudrais simplement lever la tête tu ne pourrais pas, tu n’en aurais plu la force.
Tu dois changer, le moment est venu ! Pourquoi ? Pourquoi c’est nécessaire de changer : toutes ces choses écrites concernant l’existence libre et digne, la santé, l’instruction, l’environnement, sans compter le passage sur la prise en charge des indigents et des personnes âgées, sur la répudiation de la guerre… Avouons-le, ce sont des choses qu’on aime dire, mais quand donc y sommes-nous parvenus ?
Toi qui connaissais bien tous les chefs d'État qui se sont succédé tu sauras sûrement qu’eux aussi auraient été d’accord avec la réforme qu'on essaie de te faire avaler. Beaucoup d’entre eux l'auraient souhaité, les yeux fermés. Voilà pourquoi ils disent que nous ne devons pas avoir peur, et qu'il faut te changer. Il serait aussi temps que l'on te trouve un conjoint, qui pourrait jouer le rôle de tuteur. L'Europe, sa logique libérale, son marché tous azimuts et sa concurrence libre et non-faussée va te faire danser. Oublie un peu tes vieux principes économique aux fins sociales, fonce avec l'Europe sur la voie du libéralisme. Tu verras, ça va vite, ça rajeunit, ça fait du bien.
Tu sais, avec la réforme, ils veulent juste t’aider. Ferme les yeux et pense que cette cure de jouvence, après tout, elle est bien chouette. Imagine, tu vas enfin donner au président du Conseil les pouvoirs puissants qu'il mérite. Ragaillardi, vigoureux, droit dans sa Botte, il ira négocier férocement les intérêts de son pays avec les hommes forts de la planète.
Alors es-tu prête ? Il reste très peu de temps, le référendum a lieu le 4 décembre. Dans quelques jours, tu auras peut-être changé pour toujours. C'est aussi pour ça que je t'écris. Pour te dire qu'il y aussi des Italiens plus jeunes que toi qui ont pris la peine de te connaître. Et qui l'espace d'un instant, ils ont même été séduits.
Translated from Lettera a una Costituzione mai applicata