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Istanbul oscultée : forte présence d'Europe dans l'ADN

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CulturePolitique

Hittites, Assyriens, Grecs, Romains, tous ont laissé leurs traces dans l’histoire d’Anatolie. Les derniers arrivés, depuis l’Asie Centrale, ce sont les Turcs, qui font aujourd’hui lentement chemin vers l’Union européenne. Mais se pourrait-il que leur territoire faisait déjà partie d’une autre Union européenne, ancienne et déjà presque oubliée ?

Coup d’œil dans les livres et dans les rues d’Istanbul pour passer en revue un héritage musclé.

Quand on arrive à Istanbul, on s’attend à y trouver des bazars bruyants, des mosquées, et des étoffes de soie traversées par les rayons du soleil. On se fumerait bien un narguilé en écoutant de vieux barbus nous conter des histoires d’antan. Mais la première impression est différente. Ici aussi on se dépêche pour se rendre au travail. Ici aussi on trouve d’énormes magasins, des voitures hors de prix, et des dizaines de milliers de visiteurs de ton espèce. Alors, comment retrouver la saveur ottomane parmi les files de touristes ?

Sous la saveur ottomane, la saveur européenne

« Une élite très éduquée qui copiait et commentait les vieux ouvrages grecs, les préservant pour le monde moderne »

L’empire romain n’a pas chuté au Ve siècle, il a seulement perdu sa moitié occidentale. L’autre partie est restée sur pied et suffisamment en forme pour durer mille autres années autour de la capitale, Constantinople, la ville la plus riche et la plus peuplée du Moyen-Âge. Elle était, et est toujours aujourd’hui, l’unique ville du monde située entre deux continents : l’Europe et l’Asie. Fondée des siècles auparavant par des marins grecs, la métropole byzantine traînait une tradition gréco-romaine très forte impulsée par le christianisme orthodoxe. L’historienne britannique Judith Herrin, professeur émérite du King’s College de Londres et auteur de Byzance, The Empire That Made Possible Modern Europe (Byzance : l’empire qui rendit l’Europe moderne possible), résume pour cafebabel.com les atouts de celle qu’on appelle également la Nouvelle Rome : « Une diplomatie qui cherchait à éviter la guerre ; un empire international, cosmopolite et multiculturel, relativement tolérant envers les autres langues et les autres religions, ainsi qu’une élite très éduquée qui copiait et commentait les vieux ouvrages grecs, les préservant pour le monde moderne ».

Construite au VIè siècle sous le mandat de l'Empereur Justinien, reconvertie en mosquée par les turcs aux XVè siècle... puis en musée par Atatürk au XXè

Aujourd’hui, toute cette richesse est oubliée dans des manuels spécialisés poussiéreux : les étudiants turcs étudient plutôt l’histoire ottomane, celle qui commence avec la chute de Constantinople en 1453 et qui n’échappe pas non plus à la politique : des restaurateurs consultés (qui désirent garder l’anonymat) affirment que le gouvernement actuel, islamiste modéré, néglige les études byzantines, les considérant comme l’écho d’une vieille inimitié (Byzance bloqua pendant quelques siècles l’avancée musulmane vers l’Europe).

Hammam, huile d'olive et intrigues de pouvoir

...est en réalité un héritage byzantinMis à part les coupoles vertigineuses, les églises reconverties et les mosaïques, reste-il des traces de cet héritage aujourd’hui ?

Un automne particulièrement froid enveloppe Istanbul. Les Stambouliotes endossent les gros pulls et les manteaux et se rendent plus souvent au hammam pour se relaxer et éliminer les toxines. Voilà un héritage direct : « Les Byzantins avaient des bains publics pour hommes et femmes qu’ils utilisaient également à des fins philanthropiques, pour laver les lépreux par exemple. Les Ottomans ont beaucoup hérité des Byzantins, en particulier des institutions caritatives telles que les orphelinats ou les maisons des pauvres, même si toutes ne survivent pas dans la Turquie actuelle », nous confirme Judith Herrin.

À la sortie du bain, on a envie d’un thé bien chaud et d’un bon petit plat. « La cuisine est un autre domaine où la tradition perdure, poursuit Judith Herrin. Nous ne savons pas exactement comment cuisinaient les Byzantins, mais il est clair qu’ils utilisaient beaucoup d’huile d’olive, d’oignons et de légumes, et cela constitue encore aujourd’hui la base de la cuisine turque ». De tels détails se sont propagés dans l’Europe entière : nous devons à l’Occident cet objet si populaire qu’est la fourchette, même si ce sont les esclaves, soumis à une forte influence, qui ont reçu le plus de choses : la religion orthodoxe, l’alphabet cyrillique que les Russes, les Bulgares et les Serbes entre autres utilisent de nos jours, la coutume de concentrer le pouvoir dans une forteresse (en russe : kreml’), et la passion pour les intrigues policières. Car sur 107 empereurs byzantins, à peine 34 sont décédés de mort naturelle et 6 à la guerre.

Intégration dans l'UE : boucler la boucle ?

La féroce période médiévale occidentale, celle du féodalisme et des croisades, nous a légué le terme « byzantin » comme synonyme de sophistication accessoire, de lâcheté, de complots par peur de dégainer l’épée… Mais il s’agit seulement d’un autre écho de rivalité (ou peut-être de jalousie), car Constantinople était si importante que tout le monde se référait à elle comme à « La Ville ». Lorsque quelqu’un cherchait la renommée, la fortune ou le refuge, il se rendait « à La Ville », qui en grec antique se dit « eis tin poli », c’est-à-dire Istanbul.

Il se peut que d’ici cinq ans, la Turquie entre dans l’Union européenne. Les négociations sont longes et délicates, la résistance de la part de la France et de l’Allemagne est forte, et puis il y a aussi les sceptiques. Cependant, selon de nombreux analystes, c’est inévitable. Il semblerait que l’Union européenne et la Turquie s’uniront sans problème pour recommencer un projet qui existait déjà il y a deux mille ans, avec deux nouveautés : l’héritage islamique non négligeable, et surtout la forme : aujourd’hui le voisin veut être annexé.

Photos: Une : (cc) Collin Key; Sainte Sophie : (cc) Christopher Chanc; Erdogan: (cc) World Economic Forum; Kebab (cc) Alex Kehr. Courtoisie de flickr

Translated from "A la Ciudad": Pistas para encontrar a Europa en Estambul