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Isolement, le prix de l’asile allemand
Published on February 6, 2013
Société
Ils ont rejoint l'Allemagne pour fuir la guerre, la dictature ou la misère. Arrivés à destination, ils ont demandé l’asile politique. En attendant une éventuelle régularisation, ils sont prisonniers d’un système administratif qui les maintient dans l'isolement et la précarité. Parqués dans des camps à la périphérie des villes, les demandeurs d'asile n’ont pas le droit de circuler librement et guère celui de travailler. Pour survivre, ils doivent se contenter de maigres aides étatiques. Une vie de « citoyens de seconde zone » que certains subissent pendant des années. Il y a tout juste un an, dans un camp de réfugiés en Bavière, Mohamed Rahsepar, demandeur d’asile iranien, s'est pendu dans sa chambre. Son geste a déclenché un grand mouvement de protestation des prétendants à l’asile politique en Allemagne. Au cours de l’année 2012, manifestations et grèves de la faim se sont multipliées. Certains sont même allés jusqu’à se coudre les lèvres en signe de protestation. Aujourd'hui, le combat continue, mais sans grand succès pour l’instant : arguant d’un nécessaire contrôle des flux migratoires, les principaux partis politiques refusent de répondre à leurs revendications.
Reportage réalisé en juillet et août 2012 dans les Länder de Bavière, Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Bade-Wurtemberg . Texte : Clair Rivière. Photos : © Alexis Huguet
Le camp de réfugiés de Würzburg , en Bavière , est une ancienne caserne
militaire américaine, entourée de barbelés et de caméras de
vidéo-surveillance. On y vit à plusieurs par chambre, dans la
promiscuité, sans intimité. Les occupants des lieux parlent de
récurrents problèmes « d’alcool, de bagarres, de bruit et de nervosité
». D’avis médical, ce cadre de vie provoque ou accentue des troubles
psychologiques, chez des personnes parfois traumatisées par les horreurs
qui les ont poussées à quitter leur pays.
Photo : © Alexis Huguet
Ajin Assadi , iranien, est légalement contraint de vivre dans le camp de Würzburg . En tant que demandeur d'asile, il est soumis à une « obligation de résidenc e » (Residenzpflicht ) – qui lui interdit de quitter sa circonscription administrative d’attache, sous peine d’amende ou de prison ferme. La taille de cette circonscription n’est pas la même dans chacun des 16 Länder (États-Régions) d’Allemagne . Dans la très conservatrice Bavière, la limite est celle du Regierungsbezirk – une entité territoriale équivalente à un département français.
Photo : © Alexis Huguet
Contrairement à ce qui se passe par exemple en France , les migrants ayant déposé une demande d'asile en Allemagne sont tous nourris et hébergés. Mais ce relatif confort matériel se paye par d'importantes restrictions de leur liberté. Sans compter que les camps qui les accueillent sont parfois en piteux état. C’est dans celui de Würzburg, dans la nuit du 28 au 29 janvier 2012 , que Mohamed Rahsepar a mis fin à ses jours. Son geste désespéré a révolté ses camarades iraniens , qui ont organisé plusieurs manifestations et grèves de la faim. Leur mouvement a ensuite essaimé l’été dernier dans d’autres villes et régions d’Allemagne, jusqu'à la « Grande marche » des réfugiés vers Berlin , qui a eu lieu cet automne.
Photo : © Alexis Huguet
Au camp de Würzburg , beaucoup de résidents sont kurdes. En 2011 , les
demandeurs d'asile en Allemagne venaient principalement d'Afghanistan ,
d'Irak , de Serbie , d'Iran et de Syrie . La même année, le Bureau fédéral
pour les migrations et les réfugiés (BAMF ) a statué sur 43362 demandes
d’asile. Seuls 9676 requérants (22,3 % ) ont été admis au séjour. Parmi
les autres, certains ont été expulsés, tandis que d’autres ont fui et
sont devenus sans-papiers.
Photo : © Alexis Huguet
Fin juillet, à l'aéroport de Düsseldorf, des centaines de personnes manifestent contre les expulsions d'étrangers non régularisés. Les demandeurs d'asile mènent également la lutte sur le plan judiciaire. Le 18 juillet , ils ont remporté une victoire auprès de la Cour constitutionnelle fédérale (plus haute juridiction d’Allemagne ). Les Sages ont ordonné que soit revalorisé le montant de l’argent de poche qui leur est versé. D’une quarantaine d’euros, la somme est passée à quelque 130 euros par mois.
Photo : © Alexis Huguet
A Böbrach , dans les montagnes bavaroises, tout près de la République
tchèque , le camp de réfugiés est un ancien centre de vacances. Isolé au
milieu des bois, à plusieurs kilomètres du bourg, le lieu n’est pas
clôturé. Mais il n’offre aucune autre perspective que celles de manger,
dormir et contempler la forêt : le blues assuré. « Ne rien faire, ne
voir personne, ce n'est pas l'intégration. C'est comme si tu étais en
prison », dit Michel Obango , un réfugié congolais.
Photo : © Alexis Huguet
A Böbrach , les réfugiés ne reçoivent pas d'argent pour acheter de la
nourriture, mais des colis alimentaires. Ils font leur choix dans la
liste, restreinte, de produits, affichée sur le mur. Le premier
supermarché est à près de 5 kilomètres. Quand le dernier bus est passé,
ou qu’ils n’ont plus assez d’argent pour se payer le ticket, les
réfugiés les parcourent à pied. Ils doivent faire le même parcours pour
atteindre un cybercafé où déchiffrer, logiciel de traduction à l’appui,
les lettres envoyées par l’administration.
Photo : © Alexis Huguet
Au bout de neuf mois en Allemagne , les demandeurs d’asile
obtiennent en théorie la possibilité de travailler. Mais les
restrictions sont telles que peu y parviennent. Jackie (à droite) a
décroché un « travail communautaire » : pendant plusieurs mois, elle a
fait le ménage à l'hôpital local pour « un euro de l'heure ». Les
demandeurs d’asile peuvent aussi chercher un emploi « normal ». Mais une
fois le job décroché, le « Pôle emploi » local cherche à caser à leur
place un chômeur allemand, ressortissant de l’Union européenne ou
étranger extra-communautaire titulaire d’une carte de séjour. Ce n’est
que s’il ne trouve personne que le réfugié décroche l’autorisation
finale de travailler.
Photo : © Alexis Huguet
Leonard est né en Allemagne . Magdalena , sa mère nigériane, ne sait
toujours pas si elle sera reconnue comme réfugiée. Depuis trois ans,
elle se morfond en attendant que l’administration donne une réponse à se
demande d’asile. « Ça rend fou, dit-elle. Tu cogites en permanence. »
Selon les chiffres officiels, la majorité des demandes d’asile sont
traitées en moins d’une année. Mais certains demandeurs patientent plus
de dix ans avant d’obtenir une réponse définitive.
Photo : © Alexis Huguet
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