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Islam-démocratie : je t'aime, moi non plus ?

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Après Staline le bolchevik, c’est Ben Laden l’islamiste qui a le couteau entre les dents. Il est temps de tordre le cou aux peurs les plus irrationnelles.

Nombreux sont les Européens qui brandissent le spectre de l’islamisme pour crier leur rejet d’une civilisation qu’ils jugent étrangère aux valeurs de l’Occident. Au rang des préjugés fréquemment attribués au monde musulman, on compte ceux de l’incompatibilité de l’Islam avec le pluralisme politique, de son rejet de la séparation du religieux et du politique ou encore celui de son inaptitude la plus totale à la démocratie. Dès lors que l’on aborde les questions des valeurs et des croyances, les réactions frisent souvent l’irrationnel. Comme si l’on voyait s’ériger une barrière sans cesse plus étanche entre une Europe garante des droits de l’homme et de la démocratie, et un monde arabo-musulman condamné soit à la dictature laïque, soit à la démocratie islamique. Dans la lignée culturaliste ouverte par Samuel Huntington et son choc des civilisations, l’Islam serait incompatible avec la démocratie.

« La démocratie c’est l’Islam »

Les premiers arguments sur l’incompatibilité de l’Islam et de la démocratie reposent sur l’idée que l’Islam ne reconnaîtrait pas le pluralisme. En effet on compte parmi les penseurs Islamistes, un groupe anti-démocrate qui rejette le pluralisme comme opposé à l’unité structurelle de la communauté musulmane (ouma), cette unité étant objectivé par le consensus de ses Oulémas (les docteurs de l’Islam) et la supériorité de la Loi divine. Mais un autre groupe affirme au contraire qu’il existe une distinction fondamentale entre les sphères du politique et du religieux. C’est le cas des Frères Musulmans par exemple dont Rachet Ghanouchi écrivit : « Cessez de dire que la démocratie est étrangère à notre culture. Vous avez tort, la démocratie c’est l’Islam. Les libertés ne pourraient pas être un danger pour l’Islam, puisqu’elles en sont son essence. » Les versets suivant du Coran sont souvent cités à l’appui de ce point de vue : « Hé toi, l’être humain. Nous t’avons créé à partir d’un homme et d’une femme. Nous t’avons constitué en groupes et tribus pour que vous vous connaissiez les uns les autres. » Ces versets montrent que le Dieu musulman reconnaît bien le pluralisme et insiste sur la nécessité du dialogue entre les peuples. Le droit à « l’opposition objective » est également reconnu par la Chari’a, c’est à dire par le corpus des règles religieuses de l’Islam. C’est ainsi que le calife Abou Bakr a demandé à être aidé quand il était dans le droit chemin et à être corrigé quand il était sur le mauvais. Il est donc faux de dire que l’Islam est incompatible avec le pluralisme. L’unité structurelle de la communauté musulmane est d’ailleurs une vue de l’esprit puisque les sociétés arabes sont basées sur les Asabyats, qui sont chacune de très petites communautés.

Chari’a contre vox populi

La relation de l’Islam au sécularisme pose également problème. L’Islam étant basé sur la Loi divine peut-il reconnaître les groupes qui ne la respectent pas ? Ainsi le leader du Front Islamique du Salut (FIS), Abbassi Madani a-t-il déclaré qu’il ne reconnaîtrait les décisions de la majorité que si elles étaient conformes à la Chari’a. « Celui qui est l’ennemi de l’Islam est l’ennemi du peuple. » Pourtant si l’expérience a montré que les mouvements politiques Islamiques étaient très intolérants envers les groupes non-religieux, les pays musulmans n’ont jamais été sous le contrôle direct d’un pouvoir religieux. Un fâqîh (les spécialistes de la Loi) n’a jamais été au pouvoir, et les califes Omeyyades et abbasides, les manlûks (chef de guère), pas plus que les sultans ottomans n’ont été des fâqîhs. Les démocraties occidentales ne sont pas exemptes par ailleurs de références religieuses. Ainsi les constitutions allemande, britannique et américaine (« In God, we trust ») font, elles, références au christianisme. Et que dire des constitutions suisse et norvégienne qui interdisent à ceux qui ne sont pas chrétiens de travailler dans la magistrature suprême ? Toutes les démocraties reconnaissent certains principes comme intangibles, même la France si laïque. Et la constitution allemande de dire qu’aucun droit ne sera garanti au citoyen qui ne reconnaît pas explicitement ses principes…

Quand l’Occident se joue de la démocratie

Il faut par ailleurs tenir compte de la psychologie de la majorité des pays arabes qui disent rejeter la démocratie comme l’imposition de valeurs impérialistes issues de l’Occident. La relation de l’Islam à l’Occident est largement imprégnée de conflits identitaires. Les pays musulmans associent en effet les valeurs démocratiques avec les puissances dominantes qui les ont importé tout en établissant leur domination sur leur pays. L’usage restrictif de la démocratie dans ces pays a également contribué à la discréditer. Un grand nombre de leaders de l’Islam a souffert de la répression des démocraties qui affirmaient pourtant reconnaître la liberté de pensée. La France a par exemple continuellement soutenu et qualifié des gouvernements de démocratiques, alors que ces derniers étaient totalitaires et oppressaient les mouvements religieux. Et la défense des valeurs démocratiques a toujours été utilisée par les puissances dominantes pour intervenir dans les pays du Proche-Orient pour de tout autres motifs. Ainsi George Bush père intervenait déjà en Irak en 1991 pour « rétablir la démocratie »… Peut-être une nouvelle diplomatie moins schizophrène pourrait réduire ce choc des cultures tant redouté…

Les liens ambigus entre les Islamistes progressistes et révolutionnaires font douter, il est vrai, de la volonté véritable des démocrates islamistes de respecter les valeurs démocratiques une fois élus. Des analystes estiment que l’engagement des Islamistes modérés dans le jeu démocratique ne relève que d’une stratégie de conquête de pouvoir – une conquête qui serait moins coûteuse que l’option militaire – et non pas d’une adhésion profonde à ses valeurs. Le grand penseur Sayyid Qutba a ainsi soutenu que des liens existaient entre certains groupes islamistes modérés et d’autres groupes clandestins révolutionnaires, les deuxièmes groupes préparant une révolution armée si le premier venait à échouer. Les Frères Musulmans ont effectivement collaboré avec l’organisation secrète al-jihaz al-khass et on relève le même type de relations en Tunisie dans les années quatre-vingts et quatre-vingt dix. Si ce danger existe il ne suffit pas cependant pour conclure à l’incompatibilité de l’Islam et de la démocratie.