Iran : la musique underground continue de percer
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En prêtant oreille à la production artistique clandestine foisonnante en Iran, c'est la voix de révolte de la jeunesse que nous entendons. Le premier anniversaire de la mort d'un chanteur adulé permet de faire le point sur les rapports entre le régime perse et sa culture underground.
Il y a un an, la mort d'un jeune chanteur pop décédé d'un cancer à Téhéran avait bouleversé des millions d'Iraniens. Récemment, ses admirateurs ont rendu hommage à celui qu'on appelait le « roi de la pop iranienne » et à qui on vouait une grande admiration.
Lors de son décès, la société iranienne a fait l'expérience d'un phénomène inédit : les parcs et les places publiques étaient envahis par d'immenses rassemblements de jeunes pour rendre hommage et murmurer les chansons d'un chanteur courageux décédé d'un cancer à Téhéran. Morteza Pacha'i, 30 ans, était une star de la musique pop en Iran, qui se pratique généralement dans la clandestinité.
Tant son très jeune âge, que son talent, sa candeur et son combat courageux contre le cancer, ont contribué à l'attachement du public à son égard. La maladie n'empêchait pas Pacha'i de monter sur scène entre deux séances de chimiothérapies. Mais il y avait aussi une autre raison, plus importante : la population a voulu, en célébrant un artiste qui allait à contre-courant du système religieux, faire acte d'indépendance et manifester son insoumission.
Saisissant l'ampleur et la signification de l'événement, les médias officiels n'ont pas manqué de lancer l'alerte : « Persister à construire des barrières sur le chemin de la jeunesse ne peut mener qu'à la tempête », a déclaré un responsable du régime.
Les manifestations populaires qui ont suivi le décès du jeune artiste ont mis en évidence deux réalités : la vie musicale souterraine a une place importante en Iran et la société est propice à se révolter, comme elle l'a fait en 2009.
Anesthésier la société
En prêtant oreille à la production artistique clandestine foisonnante en Iran, c'est la voix de révolte de la jeunesse que nous entendons. Le régime des mollahs considère que toute forme de musique rythmée et joyeuse est foncièrement « haram » (interdit par la religion, ndlr), tout comme jouer un instrument de musique en publique ou entendre la voix d'une femme chanter. Ainsi, on ne risque jamais de voir un concert de musique sur les chaînes iraniennes ou une femme faire valoir son talent en publique. Seule la forme traditionnelle, glauque et morose, est autorisée par les mollahs qui cherchent à anesthésier la société.
Depuis les années 1990, de jeunes artistes, à contre-courant du système, ont développé la musique pop en Iran, mais également le rock, le métal, le rap ainsi que le hip-hop persan. Bravant les interdits imposés par les autorités, une vie musicale souterraine vivace a pris forme dans le pays. Les compositions sont enregistrées dans des conditions difficiles, dans des studios de fortune installés dans les sous-sols, et les musiciens risquent de tomber dans les coups de filets menés régulièrement par la « police des moeurs ». Ils sont alors accusés de « collusion avec les groupes sataniques », « d'immoralité » et d'être des « instruments au service de l'offensive culturelle de l'Occident ».
Dans leurs efforts permanents pour briser l'ordre établi, les jeunes artistes sont amenés à explorer de nouvelles avenues dans la création artistique. S'ils s'inspirent du rap et du hip-hop occidental, ils développent toutefois leur propre originalité persane. Les sujets les plus en vogue dans le rap iranien sont les maux de société comme l'addiction, la prostitution, l'injustice, les crises économiques et politiques, les relations amoureuses et d'autres réalités de la culture citadine des jeunes iraniens.
Le rap iranien est un grand pied de nez au régime en place. Sans se positionner contre la religion, il rejette la culture de la dictature religieuse et ridiculise un système basé sur l'argent et la corruption. Il compte sur ses propres atouts et entrevoit l'avenir à travers la contestation collective. En Iran, faire du rap c'est s'insurger contre l'ordre inique des mollahs.
Les militants des droits de l'homme insistent que pour la culture il est l'heure de l'ouverture. Mais le président Hassan Rohani n'a apporté aucun changement concernant les libertés fondamentaux et les artistes restent muselés dans le cadre islamiste qu'ont imposé des tenants du pouvoir.