"Investissons tous dans l'agriculture"
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C’est perché à 1 000 m d’altitude sur les orgues basaltiques du Cantal dans la petite ville de St Flour, que s’est tenu cette année le 43ème Congrès National des Jeunes Agriculteurs.
Choisir le Cantal pour réunir des agriculteurs de toutes les régions de France fut un choix très approprié, non seulement du fait de sa localisation centrale, mais surtout car c’est un département très concerné par les problématiques agricoles (15 % des actifs cantaliens travaillent dans l'agriculture, ce qui est bien au-dessus de la moyenne nationale, de 6 %). Le contexte est idéal et le congrès des JA est très bien accueilli.
Les JA veulent investir dans l’agriculture…
« Il transmet, je m’installe : investissons tous dans l’agriculture » : le thème de cette année définit bien les priorités du syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA). Selon eux, il faut aider les novices à se lancer dans leur métier grâce au savoir-faire des anciens, et leur assurer un soutien économique pour se stabiliser les premières années. Il faut également proposer une aide à l’installation pour inciter les jeunes à se tourner vers l’agriculture, métier noble et d’avenir trop souvent mal considéré, afin d’éviter l’agrandissement des exploitations agricoles déjà existantes et la diminution du nombre d’agriculteurs. Ces questions sont capitales, car comme le disait le président national des JA William Villeneuve, « supprimer une génération de génisses, c’est dangereux pour tout le troupeau ». En effet, c’est de cela dont il s’agit, et dont il a été question à ce congrès : comment guider le monde agricole, pour défendre l’avenir de l’agriculture française et même de l’agriculture européenne.
C’est un agriculteur impliqué dans les questions agricoles qui nous a éclairées : Julien Valentin. Il est vice-président du CEJA (Conseil Européen des Jeunes Agriculteurs), une organisation qui regroupe les institutions de jeunes agriculteurs de 21 pays européens et qui défend une politique rurale bien précise : aider les jeunes et l’agriculture en Europe grâce à la Politique Agricole Commune (PAC). Ce dernier point est un combat acharné puisque la PAC est remise en cause aujourd’hui.
… Pourtant l’Europe se désengage de l’agriculture
La PAC voudrait faire disparaître les aides à la production à partir de 2013. Cela fait plusieurs années qu’il en est question, à la demande des pays nordiques et de l’Angleterre. A l'époque, le président français Jacques Chirac, formellement opposé à leur suppression, avait réussi à les maintenir jusqu’à cette date. Les opposants de la PAC critiquent son budget colossal (40 milliards d’euros environ) qui constitue 40 % du budget européen. Pourtant d’après Julien Valentin, cette politique coûte moins que la défense et la recherche, et qui plus est, il est normal que la PAC constitue la part principale du budget européen puisque qu’elle est la seule politique réellement en place et à l’origine de la construction européenne. La France défend aussi l’importance de garder les aides PAC. Ces aides agricoles permettent d’investir dans le pays à long terme, ce qui rapporte en échange beaucoup de richesses. Un investissement économique dans quelque chose de durable et à forte valeur ajoutée est toujours très positif pour un pays. Julien Valentin ajoute : « Nous ne pouvons pas reprocher à un agriculteur d’investir, il est entrepreneur, et mettre de l’argent dans un projet, c’est la définition même de l’entreprise ». Surtout qu’en agriculture, un emploi direct (agriculteur) donne une multitude d’emplois indirects (conseiller agricole, chercheur qualité et développement, contrôleur qualité, transformateur, distributeur, assureur...). Pour les JA, la suppression des aides est symbolique d’un désintérêt de l’Europe envers l’agriculture. « L’Union européenne se désengage de la question agricole qui n’est plus prioritaire, et s’oriente désormais vers d’autres domaines stratégiques comme celui de l’énergie ». Il semble que la PAC se « détricote », et nous ramène 40 ans en arrière.
La disparition des aides montre le désengagement de l’Europe vis-à-vis de son agriculture. Elle fait le choix de ne plus protéger les agriculteurs et les met alors en concurrence totale sur le même marché.
La crise du lait actuelle illustre bien cette nouvelle tendance. Les quotas laitiers ont été mis en place en 1984, suite à une production excessive de lait, car le stockage et l’exportation des excédents coûtaient trop chers à l’Europe. Chaque pays européen s’est alors vu attribuer une quantité maximale de lait à produire. Aujourd’hui la Commission voudrait supprimer ces quotas pour laisser une concurrence totale entre les pays européens, diminuer ainsi le prix du lait sur le marché et surtout permettre aux pays d’augmenter leurs exportations d’un pays à l’autre. Cependant Julien Valentin, comme beaucoup, condamne cette politique. Il y a toujours des pays plus compétitifs que d’autres et il craint que la suppression des quotas conduise à la spécialisation des Etats membres. Cela menace certains éleveurs laitiers qui se verront obligés d’abandonner leur production face à la concurrence, mais une telle division de l’agriculture mettrait en danger les terroirs et serait une catastrophe pour l’environnement et pour l’indépendance alimentaire des pays.
Pour une Europe plus juste et plus cohérente…
Il apparaît ainsi fondamental de protéger la diversité des agricultures européennes et même la protection de l’agriculture européenne en général. Julien Valentin explique cependant qu’il a du mal à faire porter la voix de la France au CEJA. Beaucoup de pays sont prêts à se lancer dans l’ultralibéralisme et la concurrence la plus totale et voient la France comme un pays souvent trop conservateur qui a peur de s’investir.
Selon les JA, la France agricole n’a du sens que dans une Europe agricole. Il ne faut pas renoncer à la PAC, mais la réformer pour la rendre encore plus forte. Ce qu’ils condamnent c’est le manque de cohérence de l’Union. Par exemple, il est possible d’importer des OGM en France venus d’autres pays, même si c’est interdit d’en produire pour la consommation sur le territoire français. « C’est de l’hypocrisie que d’accepter de polluer à l’étranger », voilà ce que pense William Villeneuve, président national des JA. Il faut aussi trouver des homologations européennes sur les produits phytosanitaires. Il est incompréhensible qu’il soit autorisé de mettre sur le marché commun, des fraises espagnoles cultivées avec des produits chimiques interdits dans tous les autres pays européens. Les charges salariales -qui varient d'un pays à l'autre- constituent un autre problème. En Alsace, on préfère acheter de l’autre côté de la frontière, où le prix de la main d’oeuvre est plus bas, ce qui se répercute sur le prix des produits finis.
Si l’on veut réformer la PAC, il faut surtout et avant tout une politique avec un tronçon réglementaire commun pour les 27 pays, afin d’éviter les distorsions de concurrence et développer ainsi un marché libre, cohérent et juste. Nous devons « partager plus que des marchés », voilà l’idée que défend Julien Valentin au niveau européen.
Pour une Europe qui écoute ses agriculteurs
Comment construire une politique agricole européenne juste et cohérente alors que les agriculteurs se sentent déconsidérés ? La nouvelle réforme sur la transparence des aides a ainsi largement été critiquée pendant le congrès. Elle permet de trouver sur internet le montant des aides que touche chaque agriculteur. Beaucoup d’entre eux se sentent humiliés et montrés du doigt, et n’admettent pas le fait d’être les seuls à devoir rendre des comptes. « Les Français nous voient comme des assistés », disent-ils, et la plupart pense que c’est une honte de donner ces chiffres sans explications. Ces derniers sont une part du chiffre d’affaire et ne représentent en rien le revenu des agriculteurs. Pourquoi est-ce que l’Europe ne divulgue pas les aides données aux autres secteurs ? « Nous sommes d’accord pour une transparence, mais une transparence pour tous ! ». C’est ce que les agriculteurs regrettent en général, d’être mis de côté. Alors, lorsqu’un congrès comme celui-ci a lieu, ils sont ravis car ils reprennent conscience qu’ils ne sont pas seuls. Ils rentrent chez eux motivés et soulagés qu’on les ait entendus.
C’est pourquoi, lorsque Michel Barnier est entré en scène pour faire son dernier discours en tant que ministre de l’Agriculture, certains jeunes agriculteurs ne se sont pas gênés pour marquer leur mécontentement. Heureusement le débat continue, les questions restent ouvertes et le prochain congrès se prépare déjà…