InternsGoPro : « Le stage est devenu une question de société »
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De plus en plus de jeunes passent par un stage pour valider leur formation ou accéder à une première expérience professionnelle. Les offres ne proposant ni rémunération ni contenu d’apprentissage semblent aussi se multiplier. Promouvoir des stages de qualité capables d’augmenter réellement l’employabilité des jeunes européens : voilà l’objectif d’InternsGoPro.
La situation est préoccupante : d’après une enquête Eurobaromètre publiée fin 2013, 59 % des stagiaires en Europe ne sont pas rémunérés et 40 % travaillent sans convention ni contrat. En septembre 2013, le Parlement européen a adopté deux résolutions : la première vise à réduire les obstacles aux stages transfrontaliers, la seconde appelle à la création d’un cadre européen pour la qualité des stages. Une recommandation prévoyant justement ce cadre a été adoptée par le Conseil en mars 2014, mais certains points pourtant essentiels, comme la rémunération ou l’accès à une protection sociale, ne sont pas du tout abordés. Rappelons aussi que tous ces actes juridiques ne sont pas contraignants.
Face aux difficultés de mettre en œuvre des mesures concrètes à l’échelle européenne, la société civile s’organise. InternsGoPro a été fondé en 2013 par Régis Pradal, Pierre-Julien Bosser et Nicholas Wenzel, tous trois soucieux de promouvoir des stages de qualité et de défendre les droits des jeunes à la recherche d’un emploi. InternsGoPro a ainsi lancé le label européen pour les stages de qualité.
L’organisation propose aux internautes de noter leur stage et d’avoir accès aux appréciations concernant près de 200 employeurs. InternsGoPro était également l’organisateur principal du « European Intern’s Day » qui s’est déroulé le 18 juillet dernier et qui a rassemblé devant le Parlement européen plus de 200 jeunes venus faire entendre leurs voix contre des conditions de stage de plus en plus précaires.
Pierre-Julien Bosser, l’un des fondateurs d'InternsGoPro, a accepté de répondre à nos questions.
Cafébabel : Quel était l’objectif du « European Intern’s Day » ? Y-a-t-il eu des conséquences politiques suite à cet événement ?
Pierre-Julien Bosser : L’objectif était de sensibiliser l’opinion publique aux conditions précaires des stagiaires en Europe, de lancer un appel à de nouvelles solutions – stimuler l'emploi des jeunes à travers des stages donnant accès à une juste rémunération et une formation de qualité – et de lancer et de promouvoir le premier label européen pour les stages de qualité.
Nous n’avons pas encore vu de conséquences politiques concrètes. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’une recommandation au Conseil sur la qualité des stages a été émise mais n’est pas contraignante. Les instances européennes estiment avoir fait leur job. La nouvelle Commission ne voit donc pas l’utilité de lancer de nouvelles initiatives et les États membres ne sont pas contraints de faire des changements, ce qui demande un travail de plaidoyer plus long pour avoir des résultats.
Néanmoins, cet événement et le label ont été soutenus par deux commissaires, sept députés européens et par une vingtaine d’organisations jeunesses de huit pays différents. Cela nous donne bon espoir de pouvoir mobiliser davantage la classe politique, cette fois au niveau national où les changements doivent s’opérer.
Cafébabel : Que fait InternsGoPro pour tenter de réduire le fossé qui existe entre le monde universitaire et celui du travail ?
Pierre-Julien Bosser : Les stages sont devenus une exigence pour obtenir un premier emploi car ils comblent le fossé des compétences entre le monde de l'éducation et celui du travail. Mais étonnamment, la majorité d'entre eux ne remplissent pas leur objectif. Cette situation entrave non seulement l'employabilité des jeunes mais renforce également les inégalités sociales. En assurant la qualité des stages et l’acquisition de compétences, nous voulons faciliter la transition vers l’emploi. Nous faisons également un travail de plaidoyer avec les universités pour qu’elles introduisent un programme de stage dans leurs cursus – si ce n’est pas encore fait – et qu’elles s’assurent de la qualité des programmes grâce à une série de « key performance indicators » mis en place avec le label.
Cafébabel : Qu’est-ce qu’un stage de qualité selon vous ? Est-ce que cela existe encore ?
Pierre-Julien Bosser : Oui, les stages de qualité existent toujours, même si la proportion de stages « pourris » s’accroit de plus en plus. Le problème est que les employeurs et les jeunes n’ont pas d’outils pour identifier ces bons stages. Voilà pourquoi nous avons créé ce label qui est constitué de 6 critères définissant la qualité d’un stage : une rémunération équitable, la transparence de l’offre et du contrat, un contenu d’apprentissage, une supervision adéquate, un environnement de travail positif et enfin un développement de carrière et d’emploi.
Cafébabel : Noter son employeur et avertir d’autres stagiaires de mauvaises pratiques est une initiative constructive, mais un jeune peut-il encore se permettre de refuser un stage à l’heure actuelle ?
Pierre-Julien Bosser : Oui, et c’est ce qu’il devrait faire si le stage est de mauvaise qualité ! Nous, les jeunes, nous avons aussi une responsabilité dans la propagation des stages de mauvaise qualité. Il est impératif que nous ayons le courage de refuser un stage pour qu’il y ait une amélioration de la situation générale. Un stage de mauvaise qualité n’apporte rien en termes de connaissances, de compétences ou de réseau. Il n’augmentera pas l’employabilité du jeune mais l’insérera plutôt dans un cycle d’accumulation où, à force, celui-ci aura toutes les peines du monde à justifier sa crédibilité devant un potentiel employeur. Un jeune a donc tout intérêt à refuser un stage de mauvaise qualité qui n’offre aucune perspective.
Cafébabel : Si le stage est devenu un passage obligé, comment faire lorsqu’on n’a pas les moyens financiers de travailler pendant des mois sans rémunération ?
Pierre-Julien Bosser : Derrière la question des stages de mauvaise qualité, il y a une question d’équité sociale et d’égalité des chances dans l’accès à certaines professions. Il n’y a malheureusement pas de solutions viables pour un jeune sans soutien financier. Beaucoup sont contraints de cumuler leur stage avec un job alimentaire ou de faire appel à leurs parents, à l’endettement, etc. Il est donc essentiel de mettre en avant la cause des stagiaires précaires afin de faire pression sur les politiques et les employeurs pour que ces derniers changent leurs pratiques et garantissent une rémunération décente. Le stage étant devenu un passage obligé, il est également une question de société et chacun a la responsabilité d’agir pour changer les choses.