Intermittents : la valse à mille temps
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Chloé ThibauxLa très contestée réforme du statut des intermittents du spectacle, entreprise par le gouvernement Hollande, entre en vigueur ce mois-ci. Malgré des mois de manifestations contre ce nouveau régime, l'exécutif n'a pas cédé, mais les intermittents non plus. Cafébabel les a rencontré lors d'une manifestation à Paris.
Alors que se tient en ce moment le Festival d'Avignon, la plus importante manifestation d'art théâtral en France et l'un des plus grands festivals culturels d'Europe, les travailleurs du spectacle concernés par le régime des intermittents ne baissent pas les armes contre le gouvernement socialiste qui, a priori, ne semble pas disposé à céder. Au début du mois est entré en vigueur le texte signé en mars par l'exécutif pour réformer le statut des intermittents du spectacle français. Car les artistes et techniciens font l'objet d'un régime spécial de cotisation leur donnant droit à des indemnisations de la part de l'État dans les périodes de battement entre deux contrats (la plupart du temps très courts dans ce secteur).
« Même s'il était un peu compliqué, l'ancien système fonctionnait bien et nous donnait une certaine flexibilité au niveau du travail, à nous employés mais aussi aux entreprises, qui en général n'ont pas besoin de beaucoup de monde tout le temps », nous explique Alexandre, technicien dans le cinéma d'animation. Dans le monde du spectacle (cinéma, théâtre, musique), les contrats de courte durée sont très courants et peuvent aller de quelques semaines à quelques mois. Les intermittents ont donc l'habitude de signer plusieurs contrats dans une même année avec un statut qui leur permet de toucher une allocation chômage versée presque automatiquement dès qu'un contrat prend fin. Pour toucher cet argent, ils sont tenus d'avoir travaillé 507 heures au cours des dix derniers mois.
Encore plus de Précarisation
Dès qu'un nouvel accord a été signé, des dizaines de collectifs d'intermittents et d'organisations syndicales (CGT en tête) sont descendus dans les rues de la France entière, pour protester contre une mesure qui, de leur point de vue, « précarise encore plus » la situation des intermittents. Principale nouveauté contre laquelle pestent les opposants : la méthode d'indemnisation différée, qui se traduira en fait par une baisse des revenus. Les indemnisations pourront être perçues après un délai d'un à trois mois pour 48 % des travailleurs. Une perte de salaire donc, selon les concernés, et trois mois pendant lesquels l'intermittent n'aurait accès à aucun autre revenu. « Le problème c'est que désormais, dès que nous cesserons de travailler, le différé s'appliquera. Nous devrons attendre plusieurs mois pour être indemnisés. Et si pendant cette période nous travaillons (car nous avons besoin de travailler), les heures effectuées ne seront pas comptabilisées pour une indemnisation future, si bien qu'il deviendra encore plus compliqué d'obtenir le statut d'intermittent », déplore Alexandre.
Des revendications peu soutenues par les français
Cette mobilisation a même conduit à mettre en danger le déroulement des festivals d'Aix-en-Provence et d'Avignon, des manifestations emblématiques en France. Malgré les communiqués émis aussi bien par la direction du Festival d'Avignon que par le Festival Off d'Avignon (une initiative parallèle au festival officiel), dans lesquels ils assurent que les représentations se dérouleront comme prévu, les collectifs d'intermittents ont été nombreux à menacer de faire grève massivement durant la période du festival, du 4 au 27 juillet. « Nous ne savons pas ce qui se passera, mais jusqu'à présent les appels à grèves étaient lancés la veille pour le lendemain, donc tout peut arriver », assure Claire, chanteuse, actrice et manifestante ce jeudi 26 juin à Paris.
Le but ultime du régime des intermittents est d'assurer un minimum de stabilité et de sécurité aux travailleurs de ce secteur particulièrement instable. Claire, par exemple, qui a l'habitude de travailler dans la musique, nous raconte que de septembre à janvier elle ne manque pas de travail, mais que passée cette période, elle traverse souvent des mois « très difficiles ». Elle a beaucoup de mal à payer son loyer à Paris, même avec les allocations qu'elle perçoit du gouvernement. Alexandre et Nicolas, qui travaillent tous les deux dans l'animation cinématographique, partagent également cette opinion : « les gens pensent que nous avons choisi d'être intermittents, et que nous préférons profiter du système. Mais si on me proposait un CDI, je le prendrais. Quand on est intermittent, c'est très compliqué d'arriver à louer un appartement, ou d'obtenir un prêt de la banque. On vit dans une situation très précaire », explique Nicolas.
En effet, d'après une étude publiée par Le Parisien, 55 % des Français n'ont pas soutenu les revendications des intermittents. Selon Nicolas, cela serait dû à l'« ignorance » de la population et au discours manichéen tenu par le gouvernement lorsqu'il s'agit d'expliquer la réforme. « On nous dit que c'est à cause du déficit, mais c'est à mourir de rire ! Ils répètent que les intermittents coûtent cher à l'État, mais ils ne regardent pas, à l'inverse, tout l'argent que l'État reçoit de la culture, ni ce que rapportent les locaux qui fonctionnent grâce aux intermittents... nous créons plus d'argent que nous n'en coûtons, mais ça, le gouvernement n'a rien à gagner à le faire savoir », se plaint Nicolas. Les deux techniciens ironisent sur le fait que la réforme soit introduite par un gouvernement socialiste. « On dirait que la gauche est plus à droite que la droite. Sérieusement, ils sont nuls en économie », affirme Alexandre.
à terme, la culture menacée
Aux côtés des nombreux intermittents, d'autres travailleurs se sont donnés rendez-vous dans les rues de Paris. Pas directement concernés par la réforme, mais tout à fait affectés par elle. C'est le cas de Lola, chargée de l'administration d'une entreprise de spectacles pour enfants. Elle constate que la situation des travailleurs est menacée par cette précarisation. « On voit toujours plus d'intermittents qui ne trouvent que des emplois très précaires et qui ont du mal à travailler. Et ces personnes finissent par abandonner le statut d'intermittent parce qu'ils perdent sans cesse en stabilité », nous fait remarquer la gérante. « On voit des artistes qui ont déjà la cinquantaine, qui pensent à leur travail bien sûr, mais aussi à leur retraite. À un moment donné, ils se trouvent confrontés à la précarité et ils décident d'arrêter, si bien qu'on a de plus en plus de mal à trouver du monde », explique Lola. Elle regrette également que la réforme « envisage d'augmenter les côtisations, ce qui n'était pas prévu dans les budgets ». Elles passeraient ainsi de 10,8 % à 12,8 %. « Les budgets sont établis un an à l'avance, ce qui fait que la masse salariale coûtera plus cher, et cela compliquera encore plus la tâche aux petites entreprises », ajoute Lola.
Toutes les personnes interrogées reprochent au gouvernement d'avoir signé ces accords sans avoir établi de dialogue avec les collectifs concernés (le syndicat CGT, le seul à compter une antenne spéciale dédiée aux travailleurs du spectacle, n'a pas signé le texte en mars) et de mettre peu à peu fin à un système créé dans les années 1930, qui aidait indéniablement à préserver la culture dans le pays. « [La réforme] est une manière d'en finir avec le statut d'intermittent. Ils disent qu'ils ne vont pas le supprimer, mais c'est exactement ce qu'ils sont en train de faire. De moins en moins de personnes pourront l'obtenir, il y aura de moins en moins d'artistes et de moins en moins de place pour la culture en France », déplore Nicolas, pancarte en main, alors qu'il avance avec ses compagnons en direction de la Nation.
Translated from Intermitentes del espectáculo en Francia: Fundido a negro