Impressions d’un Infra-réaliste : l’hommage de Barcelone à l’écrivain chilien Roberto Bolano
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L’affiche du Festival International de Littérature Kosmopolis qui s’est tenu au Centre Culture Contemporain de Barcelone (CCCB) du 24 au 26 Mars est illustrée, à la mode cool typiquement catalane, par un raton laveur à l’air vif, rampant sur quelque chose de peu ragoutant.
Le « festival de littérature amplifiée » est à l’opposé du Salon du Livre qui se tient à Paris le weekend suivant, très cher et intellectuel, bien qu’ayant paradoxalement pris pour thème cette année « Barcelone ». Cette exposition promets des avants-gouts du travail de Roberto Bolano dans la science fiction, la poésie slam et les BD…
Le vent de Mars a presque fait partir en morceaux le stand du Kosmopolis lorsque je le trouve à l’écart de la rue principale des Ramblas, qui conduit comme tout le monde le sait, jusqu’à Christophe Colomb pointant la mer du doigt depuis des siècles. Je quitte la célèbre et presque éternelle vue de l’immense association MACBA avec ses skateurs et ses hippies barcelonais au soleil, et me dirige vers le CCCB. Les affiches et les panneaux se débattent comme pour se libérer alors qu’une femme enthousiaste explique au même moment à quel point le Kosmopolis sera vivant cette année, entre workshops gratuits, ateliers-vidéos, lectures et pièces de théâtre parmi tant d’autres choses. A l’étage, thé, jus d’orange et biscuits sont servis aux jeunes journalistes locaux pour les faire patienter, pendant qu’ils planifient leur journée. Les organisateurs sont sympathiques et ouverts aux médias étrangers (comme mon sac à dos et moi-même) qui expriment un intérêt pour leur festival (à l’opposé d’un « accueil » parisien où vous vous feriez disputer pour ne pas avoir envoyé d’email pour annoncer votre venue).
Je me lance vers l’exposition vedette de ce festival, une plongée dans la vie de Roberto Bolano et le temps qu’il passa en Catalogne avant de mourir prématurément en 2003. Dans les profondeurs du CCCB l’inauguration de l’évènement est sur le point de débuter. Je me dirige vers le vaisseau de l’exposition – les sols et les plafonds sont couleur rouge sang, et des arches me guident à travers les différentes périodes de la vie de l’écrivain chilien. Où que vous alliez en passant à travers les arches en forme de L de l’exposition, vous pouvez voir son travail écrit de sa propre main, qui devient de plus en plus romantique à mesure qu’il devient de plus en plus européen. Sa poésie « infra réaliste » – mouvement littéraire mineur qu’il fonda lors de son séjour au Mexique et au Salvador dans les années 70 avant de venir en Europe – est accompagnée de photos de l’homme lui-même ; ses photos de passeport décorent des petites boîtes jaunes accrochés sur des murs variés, et il y a des articles sur des écrans tactiles à propos de cet homme qui émigra toujours dans des pays hispanophones. Avec son meilleur ami et co-fondateur de l’Infra Réalisme, Mario Santiago, Bolano « tua » ce mouvement dans un petit village proche des Pyrénées dans les années 70 , comme il le dit dans un de ces écrans tactiles avec son léger accent chilien.
Comme je m’y attendrais de n’importe qu’elle exposition à Barcelone, les vidéos se superposent pour donner une énorme bande-son moderne à l’exposition. La sensation de se promener à travers un kaléidoscope géant est renforcée par des décorations géométriques et le bruit du train qui court par-dessus les images de la rue où il vivait. Ici et là vous pouvez voir des bribes de sa vie, de son mouvement poétique, des clichés d’espagnol et de catalan. Sa période dans une chambre de bonne à Paris. Ses notes et ses livres forment une ligne sur le mur, dans des petites boîtes qui vous arrivent au niveau du ventre, vous pouvez noter que l’homme avait une écriture soignée. Des graffiti dessinés par des traits de lumière décorent les plus intimes de ses affaires : sa carte universitaire, sa machine à écrire, ses trois paires de lunettes représentant trois villes dans lesquelles il a vécu en Catalogne, lorsqu’il renonça à la poésie pour écrire des romans afin d’entretenir sa famille.
Au bout d’un moment, la présentation « ultra moderne » du travail de Bolano devient un peu agaçante, expérience fragmentée comme sa poésie et sa prose. Les citations sur les murs courent sur des lignes sans fin dans la pièce peu éclairée qui se termine symboliquement dans un tunnel par sa dernière œuvre, « 2666 » (un de mes livres favoris, étant donné qu’il débute par l’histoire de professeurss de littérature allemands qui se retrouvent à travers l’Europe et mènent des activités illicites). On découvre à quel point il aimait les jeux de guerre, on regarde sa machine à écrire 55 et son clavier sur lequel il manque la touche F8. Un des derniers écrans tactile montre une interview de lui de 1999 , où il explique qu’il « ne sait pas réellement ce qu’est la poésie », et que Rimbaud en est le chemin « par excellence » , que c’est « une gestuelle et non un acte ». Il continue en disant qu’il adore Beaudelaire, et qu’il est un pro-prose – Joyce, Proust, Faulkner. En tirant sur sa cigarette, il explique qu’il accorde plus d’importance à ce qu’un lecteur soit en conversation avec son âme qu’aux critiques à son sujet : ces dernières ne l’affectent pas.
Comme pour la plupart des écrivains les plus connus, ce père de deux enfants a traversé sa vie et fait beaucoup de job différents avant de rencontrer la gloire sur le tard : peu d’années après il mourut d’un problème au foie, à l’âge de 50 ans. Un peu plus tard le même soir je m’assoie dans le théâtre du CCCB , des tables sont installées face à face comme dans un salon, ainsi que des gradins de sièges plus traditionnels dans le fond de la salle. Deux acteurs espagnols très en vue qui ont adapté les œuvres de Boleno pour le théâtre en Espagne prennent place à table et sous les projecteurs, lisent pendant une heure un extrait des « Détectives Sauvages » (1998) , le chef d’œuvre borgesquien de Boleno parut dans les années 90. Je n’ai peut-être pas tout compris de ce qu’ils ont dit (s’agit-il vraiment de détectives rats ? j’avoue ne pas avoir encore terminé les 898 pages de « 2666 » et n’être donc pas capable de me lancer dans ce roman…) mais la foule, composée de jeunes étudiants, de couples et de vieux compagnons catalans, est envoutée et c’est par une standing ovation que se termine cette soirée dans le centre de la ville, une belle surprise de la façon dont le monde continental hispanophone célèbre ses poètes latins et ses fils adoptifs.