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Immigration : le dogme du «retour »

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La gestion des flux migratoires telle qu’elle est pratiquée à l’heure actuelle par les Etats européens se fonde sur le principe du retour des migrants dans leur pays d’origine.

Travailleurs immigrés en situation régulière sont « invités », pour enrayer le brain drain , à retourner dans leur pays d’origine afin d’en favoriser le développement. Immigrés illégaux, demandeurs d’asile, victimes de la traite d’humains, mineurs non accompagnés, sont également aux prises avec ce nouveau dogme qui fait nous dit-on partie intégrante de la politique de lutte contre l’immigration « clandestine » et qui vise à réduire l’effet appel d’air.

Retour des personnes sans protection

Les exemples affluent. Les programmes de retour pour les populations déplacées naissent sur les cendres encore chaudes des conflits. Kurdes d’Irak, Afghans, Tchétchènes sont invités à retourner d’où ils viennent avec une protection minime, limitée au temps du transit.

Prennent alors le relais sur le terrain les acteurs de l’humanitaire. Travail d’urgence mais travail long et chaotique de la reconstruction démocratique. Le temps du retour est court et celui de la réintégration est lent. Les programmes de retour prennent des noms différents, le retour des afghans qualifiés en est un ; programme qui aura des implications réelles et mesurables pour le développement du pays ou bien programme de retour classique mais plus vendeur ? Qui est dupe ?

Une des failles de cette politique de retour réside dans l’absence de protection des personnes en situation irrégulière sur le territoire européen. La gestion des flux migratoires par des politiques de retour fait l’impasse sur cette nécessité de protéger l’individu qui a tout perdu. Cette protection juridique n’existe que pour les demandeurs d’asile. A ce titre il faut souligner les dysfonctionnements de la procédure d’asile ainsi qu’une tendance à la restriction de ce droit par le biais de procédures plus expéditives et réduisant les possibilités de recours comme ce que prépare à l’heure actuelle le gouvernement français, en excluant par exemple la voix au chapitre du Haut Commissariat pour les Réfugiés lors des procédures de recours

Par ailleurs, un grand nombre d’immigrés illégaux en Europe ne sont pas des demandeurs d’asile, soit qu’ils n’aient pas les informations ou l’assistance nécessaire pour mener à bien les démarches, soient qu’ils se refusent à formuler la demande parce qu’ils sont entrés dans des situations de dépendances : victimes du travail clandestin, de la traite d’êtres humains. C’est donc une partie de la population migrante que l’on renvoie sans plus d’examen dans son pays d’origine avec parfois le masque de la qualification de retour « volontaire ». L’argument du retour volontaire est utilisé à tort et à raison même si l’on ne peut occulter le fait que le vrai retour volontaire existe et qu’il peut s’avérer la meilleure des solutions dans certains cas.

Quelle politique communautaire ?

Un des arguments qui sous-tend la politique de retour est la lutte contre l’immigration clandestine qui est devenu une des priorités de l’Union européenne. L’articulation du raisonnement au niveau européen est le suivant : chaque pays reste responsable de sa politique d’immigration et définit ses propres conditions (critère du statut légal et nombre) mais ceci dans le cadre d’une compétence européenne en matière d’asile et d’immigration qui a connu une expansion incroyablement rapide au cours des dernières années. La communautarisation de ces questions est scellée à l’art 63 du Traité d’Amsterdam et les travaux de la Convention laissent entrapercevoir qu’il est question d’élargir encore les compétences communautaires en la matière. Il faut rappeler que cette progression est fondée à l’origine sur le principe de libre circulation des personnes au sein de l’Union. Si l’on sait donc pourquoi il faut une politique commune en matière d’asile et d’immigration, il semble qu’à la question « comment celle-ci doit être mise en place ? », l’Union européenne (UE) n’ait guère élaboré de réponse. La Commission européenne et en particulier la Direction Générale chargée des questions de Justice et Affaires intérieures a rappelé qu’il ne relève pas de sa compétence et qu’il n’est pas à l’ordre du jour de définir les critères d’entrée des ressortissants des pays tiers au sein de l’UE. Elle laisse aux gouvernements le soin de décider qui et combien d’immigrés sont autorisés à entrer, séjourner, s’installer dans l’UE ; l’argument pour ne pas harmoniser étant que les différents Etats membres en sont à des stades trop différents de leur histoire migratoire : anciens pays d’immigration (France, GB, Allemagne), versus nouveaux pays d’immigration, autrefois d’émigration, comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie, et l’Irlande -sans compter les pays candidats- qui sont dans une configuration encore différente. La modestie de la Commission en général plutôt prompte à défendre et étendre ses compétences s’explique donc par l’ampleur de la tâche. Elle tente donc de définir les conditions de renvoi mais pas les conditions d’entrée.

Si l’on s’en tient au programme de travail instauré par le Traité d’Amsterdam, les progrès réalisés concernent essentiellement les mesures de contrôle de l’immigration (c'est à dire lutte contre l’immigration clandestine), laissant de côté la question du statut et de l’intégration des réfugiés. Seules deux mesures de protection prévues par le Traité d’Amsterdam ont été adoptées jusqu'à présent : « Afflux massif de personnes, protection temporaire[1] » et « conditions minimum pour l’accueil des demandeurs d’asile »[2]. Peu de progrès on en revanche été réalisés en ce qui concerne la législation sur le regroupement familial et les résidents légaux de longue durée.

Retour contre aide au développement

Un autre argument sous tend la notion de retour : il s’agit du lien désormais accepté par bon nombre de pays européens entre migration et développement. A ce titre les Etats membres mettent en place des accords dits bilatéraux stipulant que les pays d’origine s’engagent à réadmettre leurs ressortissants en échange d’avantages économiques en termes d’investissement, et commerciaux en termes de facilitation des échanges. Ce lien est-il pertinent ou bien n’est-ce qu’une manière détournée de renvoyer chez eux des immigrés non-désirés en Europe ? Il paraît bien illusoire si ce n’est malhonnête de faire dépendre l’aide au développement du retour de quelques immigrés dans leur pays. L’immigration est devenue à l’heure actuelle une telle préoccupation que l’on cherche à la caser de toutes parts, dans tous les programmes : développement, éducation, tout en restant vague et peu disert sur sa véritable nature.

Certaines analyses sociologiques de la population immigrée[3] montrent en effet que pour le migrant le retour est rarement envisagé dans le cas de la migration dite « économique », c’est à dire tout ce qui ne relève pas du départ pour des raisons de persécution. Les Etats savent donc que rien n’est plus permanent que l’immigration temporaire.

Parce que nous ne savons pas gérer la migration vers l’Europe, nous n’avons pas réussi à donner de réelles chances d’intégration à la population immigrée, nous avons peur des abus et détournements du droit d’asile, nous pensons que la solution serait dans le « retour », à défaut de ne pouvoir empêcher les migrants de partir de chez eux.

Les ouvertures de la présidence grecque

Il est important de souligner que l’orientation de la présidence grecque diffère de celle de la précédente présidence danoise en ce qui concerne l’asile et l’immigration. L’immigration légale et l’intégration des immigrés en situation régulière y prennent une place plus importante. Les questions de démographie en chute libre et de la faillite prévue de nos systèmes de retraites sont remises au goût du jour en vue de favoriser l’immigration légale et l’immigration de travail. A ce titre la Présidence s’engage à progresser sur l’adoption de la Directive Rassemblement Familial. Pour résumer nous avons d’un côté les avancées répressives (contrôle ou gestion de l’immigration) c’est à dire les mesures de lutte contre l’immigration clandestine, avec une criminalisation de l’illégalité, et de l’autre des avancées protectrices et intégratrices comme par exemple le fonds européen pour les réfugiés (adopté en 2000), la question du regroupement familial et l’intégration des résidents le longue durée. L’équilibre qui penchait en faveur de la première catégorie de mesures semble s’inverser au bénéfice de la seconde, au moins dans le discours.

Si la réalisation d’un marché intérieur commun a été la base légale historique le principal moteur du progrès au niveau communautaire, il est à présent nécessaire de passer à l’étape suivante c’est à dire à un approfondissement qui passe par la reconnaissance de la notion de Communauté de Droit comme fondement d’une politique d’asile et d’immigration européenne qui respecte et protège les droits et libertés fondamentales. Dans ce cadre il sera nécessaire de dissocier les politiques extérieures de l’Union, les politiques d’aide au développement, les politiques d’immigration et l’harmonisation du droit d’asile afin de garantir les droits individuels de tous les migrants, quelle que soit la situation dans laquelle ils se trouvent. Penser en termes d’accueil et non de renvoi est la seule issue possible pour l’Europe, que ses gouvernements le veuillent ou non.

[1] Voir lien

[2] voir lien

[3] Larcher Smaïn, « Après Sangatte ». Editions La Dispute. Paris 2002.