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Immigration clandestine : zéro tolérance, zéro droit

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Aujourd’hui, immigré signifie criminel, si ce n’est terroriste. Au détriment de ses droits les plus fondamentaux. Sécurité ne rimerait donc pas avec Liberté, pour les immigrés ?

Au moment où les pays de l’Union européenne mesurent leur vulnérabilité face à la menace terroriste, la question de la perméabilité des frontières dans un espace de libre circulation refait surface. Amenant avec elle son lot de revendications et de mesures sécuritaires, de plus en plus légitimes aux yeux d’une opinion publique qui ne cache plus sa peur de l’étranger. Qu’implique ce « tournant sécuritaire » du point de vue des libertés individuelles ? Remplit-il ses objectifs ? Ou marque-t-il le retour d’une xénophobie institutionnalisée ?

L’immigré criminel

A l’origine du durcissement législatif à l’encontre des immigrés, un lieu commun : « l’immigré criminel ». La construction de cet « ennemi social » -liée à la fragilisation économique et sociale des pays occidentaux au cours des années 1990- s’est développée sous le coup des discours des hommes politiques et des médias surfant sur la vague des difficultés économiques, du sentiment d’insécurité et du délitement de la cohésion sociale. L’étranger est rangé tantôt dans la catégorie des parasites profitant du système de protection sociale, tantôt dans celle du trafiquant mafieux. Et, aujourd’hui, dans celle du poseur de bombes, pire ennemi de l’occident.

Renforcée par l’amalgame entre immigrés légaux, clandestins, de deuxième génération, demandeurs d’asile, cette conception s’appuie sur des preuves statistiques établissant sans discernement un lien entre crime et immigration (1).

Européanisation du contrôle

La législation sur les étrangers porte les traces de cette confusion. L’européanisation des politiques de lutte contre l’immigration clandestine n’a fait que renforcer la visibilité de ce « danger ». Les dirigeants européens, percevant l’immigration comme un problème de sécurité intérieure (2), ont adopté en commun des instruments qui tendent de facto à ériger l’UE en forteresse.

La libre circulation a contraint les gouvernements à renforcer les contrôles sur les personnes aux frontières extérieures : durcissement des politiques de délivrance des visas, sanctions à l’encontre des transporteurs, coopération avec les pays tiers, renforcement des contrôles d’identité. Avec l’élargissement, ce sont désormais les nouveaux entrants qui sont les gardiens du « mur ». Ils n’entreront dans l’espace Schengen que s’ils se montrent à la hauteur. Le transfert de l’angoisse des pays membres s’y est donc déplacé, qui les poussent à construire des zones tampons censées repousser à leurs frontières les indésirables venus de l’Est.

Etablissements pénitentiaires ordinaires

Conséquence de cette focalisation, les pratiques musclées, telles que l’éloignement par charter ou la rétention dans des zones d’attente et centres fermés paraissent légitimées. Leur objectif : s’assurer que les clandestins dégagent de notre paysage. Derrière cette volonté d’enfermement, on retrouve la notion de l’immigré criminel ou du parasite.

Centres de rétention ou camps fleurissent donc en Europe (3). Ils réunissent dans la plupart des cas à la fois les personnes en attente de l’examen de leur admission -ceux dont, quelques heures après leur entrée sur le territoire européen, les services policiers s’emploient à retracer le parcours afin de les renvoyer d’où ils viennent- et des étrangers en instance d’éloignement , faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière ou d’un arrêté d’expulsion. Dans certains pays (Allemagne, Angleterre), ce sont les établissements pénitentiaires ordinaires qui remplissent cette fonction ; la rétention s’y effectue alors dans les conditions d’une peine de prison.

La durée de rétention est bien sûr encadrée juridiquement. Mais la pratique et les conditions de vie reflètent une réalité bien éloignée des garanties procédurales et de l’assistance humanitaire censées être accordées aux étrangers (4). Expulsions et rétentions se déroulent en général dans un flou juridique qui traduit l’incapacité des Etats à mener une politique de lutte contre l’immigration clandestine respectueuse des droits fondamentaux.

Prise en compte des droits fondamentaux

Tolérance zéro pour l’immigration clandestine, mais, en contrepartie, mesures plus accueillantes et plus favorables pour les migrants légaux : l’UE souhaite ouvrir les canaux de l’immigration aux ressortissants de pays tiers se déplaçant à des fins d’emploi ou d’études.

La grande absente, c’est la protection des droits fondamentaux des personnes. A peine est-elle rappelée par le Conseil de l’Europe : « A l'arrivée à la frontière (…) toute personne a le droit (…) de ne pas être considérée d'emblée comme un délinquant ou un fraudeur. (…) Toute personne, dont le droit d'entrée est remis en cause, doit être entendue, (…) Tout refoulement « au pied de l'avion » est inadmissible(...) ». Qui plus est, les dispositifs législatifs d’encadrement de la rétention des immigrés illégaux sont plutôt complexes, a fortiori pour les étrangers, rendant difficile l’exercice de leurs droits sans assistance.

L’approche sécuritaire ne semble pourtant pas s’émouvoir du non-respect des droits fondamentaux, au nom de l’efficacité de la lutte contre l’indésirable, toujours soupçonné des pires intentions délinquantes, voire terroristes.

De nombreuses études et travaux de recherches s’emploient pourtant à déconstruire le lien proposé comme évident entre immigration et crime : non seulement un tel présupposé serait attentatoire au droit des personnes mais il saperait en même temps l’efficacité de la véritable lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Hélas, la peur de l’immigré constituant le fond de commerce des médias et d’un certain nombre de courants politiques, seul un échec évident des politiques sécuritaires redonnera voix au chapitre à ceux qui les dénoncent et milite pour un plus grand respect des textes portant sur les droits fondamentaux.