Immigration : « celui qui fraude, il dégage »
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Coline EberhardVoilà qu'une nouvelle vague d'immigration a déferlé sur l'Europe. Non pas sur ses frontières comme attendu, mais dans la tête de quelques politiciens à Londres et à Munich. Depuis le début de l'année, les Bulgares et les Roumains jouissent de la liberté de circuler dans toute l'Union européenne. D'aucuns ont prédit une ruée vers les prestations sociales. Et que s'est-il passé ? Rien.
Si quelqu’un a pris l'avion ou le bus depuis Sofia ou Bucarest entre le nouvel an et aujourd'hui, c'est qu'il partait en vacances ou qu'il étudiait déjà quelque part ailleurs en Europe. Aux premiers jours de 2014, les compagnies de bus se sont mêmes désolées de voir leurs véhicules à moitié vides. Et les avions en provenance de Roumanie et de Bulgarie à destination de Londres et d'autres capitales européennes n'étaient pas, comme on nous l'a rabâché, remplis d'immigrés avides de prestations sociales. C'est à peine s'il y a eu un Roumain ou un Bulgare qui se soit décidé à partir vivre dans un autre pays européen après que la défense de circuler librement dans l'UE soit levée. Et pourtant ! Le débat sur l'immigration a atteint le niveau zéro à Munich et à Londres.
C'est admis : celui qui veut discréditer l'immigration venue d'Europe de l'Est ne doit pas regarder son sujet de trop près, sous peine d’être confronté à une toute autre réalité. En Bavière, l'Union chrétienne-sociale (CSU) a pensé un slogan sympa : « Celui qui fraude, il dégage ». Par cela, on entend que les immigrants qui recourent illégitimement au système social en Allemagne doivent être expulsés. De surcroît, si un individu s’indigne des escroqueries sociales, celui-ci devrait agir en conséquence, et ne pas se limiter aux cas des immigrés. Les politiciens ont beau vitupérer contre les fraudes sociales des immigrés, ils n'en détournent pas moins le regard lorsqu'il s'agit des impôts dont s’acquittent les couches les plus aisées de la population. L'impression que cela donne, c'est que les immigrés qui vivent déjà de prestations sociales minimes sont maintenant des suspects. « Dans le doute, contre les immigrants », voilà ce qu'on lit entre les lignes. Par ailleurs, le vent sur le bourbier bavarois souffle déjà dans une autre direction. Le Web se demande où est-ce que le président du Bayern de Munich, Uli Hoeness (qui sera jugé en mars pour fraude fiscale présumée, ndlr), s'en ira lorsqu'on voudra le mettre sous les verrous pour cause de fraude fiscale.
Empreinte et absurdité
« Celui qui fraude, il dégage » insinue (sans trop de retenue) que les immigrés souhaiteraient profiter sournoisement du système social allemand. Selon la même idée, Elmar Brok, de l'Union chrétienne-démocrate, avait même suggéré de prendre les empreintes digitales des migrants qui essaieraient de bénéficier de prestations non-autorisées. Une telle méthode constituerait le summum de l'absurdité, et les immigrés deviendraient alors l'objet de tous les soupçons. Pendant ce temps-là, on oublie les vrais chiffres. En Allemagne, si l’on regarde le pourcentage de personnes dépendantes des aides sociales, le taux de Roumains ou de Bulgares qui en bénéficient n'est en aucun cas supérieur à celui des Allemands. Par conséquent, comment peut-il être question d’« immigration de la misère » ? Bien souvent, ce sont les immigrés qui comblent le déficit de main d'oeuvre en Allemagne. Et bien des métiers se sont créés grâce aux idées des nouveaux arrivants.
En Grande-Bretagne aussi, on fait de la politique sur le dos des immigrés. Le Premier ministre britannique David Cameron entendait interdire aux Polonais d'envoyer l'argent des aides sociales à leurs enfants restés au pays. De la même manière, il a aussi proposé d’abaisser les prestations sociales des immigrés de façon à ce qu’elles restent en dessous de celles des Britanniques. Là aussi, la manœuvre politicienne tente d’éluder un fait embarrassant selon lequel la migration européenne fait économiquement du bien aux Britanniques. En Grande-Bretagne, les Polonais sont en moyenne mieux qualifiés et mieux éduqués que les Britanniques et concourent d'une manière certaine au développement économique du pays. Par ailleurs, les 2,2 millions de Britanniques qui vivent dans d'autres pays de l'UE ne se laissent certainement pas considérer comme des citoyens de seconde classe (voir graphique).
À parler en ces termes de l'immigration, on mélange bien trop souvent des choses qui n'ont de toute évidence rien à voir entre elles. La locution « tourisme social » en allemand est devenue le « non-mot » de l'année. À juste titre, car l'immigration n'a rien à voir avec le tourisme subventionné. Celui qui déménage dans un autre pays en Europe n'a en général droit aux prestations sociales qu'après un délai de trois mois. Et puis de fait, les insinuations de Munich et de Londres ne donnent que peu l'envie de s'installer dans un pays où les immigrés sont stigmatisés.
Cet article fait partie d'un dossier spécial consacré à l'immigration en Europe et édité par la rédaction. Retrouvez bientôt tous les articles concernant le sujet à la Une du magazine.
Translated from Immigration: Bayrisch-britischer Shitstorm