Huffington Post : blanc Sinclair ou choix obscur ?
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A la suite de la nomination d’Anne Sinclair à la tête de la version française du site américain du Huffington Post, la rédaction de cafebabel.com a décidé de donner son opinion à travers cinq témoignages aussi riches que variés. Blanc-seing clair.
« Un choix people »
« C'est un choix à l'américaine, qui ne va pas du tout marcher en France. Je crois qu'Anne Sinclair est plus populaire chez les femmes au foyer et les lectrices d'hebdomadaires féminins que sur le web, peuplé d’une opinion publique très différente. Journaliste TV, Anne Sinclair n'a pas d'expérience dans le journalisme-web, et ça me fait penser aux grands noms de journalistes italiens qui passent de la direction d'une télévision à celle d'un quotidien, d'une agence de presse à une radio. Un exemple : Gianni Riotta a mal géré le journal Il Sole 24Ore après avoir dirigé Rai Uno, la principale chaîne-télé italienne. Anne Sinclair à la tête du Huffington Post français, c’est un choix people. Mais le journalisme-web en France s’appuie sur son originalité et sa qualité éditoriale. Autant d’éléments qui en font le meilleur d'Europe. Je doute qu'Arianna Huffington réussira à le rendre préférable en s'appuyant sur ce choix. »
Nicola
« Ces femmes, fidèles à de vieux libidineux »
« Au Royaume-Uni, nous tombons toujours des nues quant aux frasques de la sphère médiatico-politique dans les pays comme la France et les Etats-Unis. Nos politiques s’acoquinent plutôt avec les avocats et les conseillers juridique (Miriam González Durántez), leurs partenaires en relations publiques (Sarah Brown) ou encore avec les hommes/femmes d’affaires (Samantha Cameron). Cela va bien du delà du fait que, parce qu’Anne Sinclair serait impliquée de près ou de loin dans une affaire de scandale sexuel, elle ne serait pas légitime à assurer la direction éditoriale de la première version européenne du Huffington Post. Car, à l'instar d'Hillary Clinton , ces femmes, fidèles à de vieux libidineux, savent qu’elles seront récompensées au bout de leur chemin de croix. De nos jours, les conflits d’intérêts restent de sombres affaires. Il suffit de regarder notre société, le cas de Murdoch pour savoir ce qu’il se passe au Royaume-Uni. Le sexe et le pouvoir colle plus encore que la boue aux basques des sociétés dites « plus acceptables », ou disons des sociétés au sein desquelles les règles ont été clairement définies depuis des décennies. »
« Le fait que je puisse citer une bonne paire de couples journalistes-politiques, par exemple, est très curieux »
« Par tradition, médias et politique forment un couple dangereux en France. Dans le dernier index de Reporters sans frontières, l’Hexagone se trouvait encore parmi les cancres. Le fait que je puisse citer une bonne paire de couples journalistes-politiques, par exemple, est très curieux. Ockrent et Kouchner, Schönberg et Borloo, Pulvar et Montebourg, Trierweiler et Hollande et, bien sûr, Sinclair et Strauss-Kahn. En Allemagne je ne pourrais spontanément citer qu’un seul exemple, le couple Köpf-Schröder. Cette dernière a néanmoins démissionné en raison de la fonction politique de son mari. Le fait que Madame Strauss-Kahn soit en charge de direction éditoriale du Huffington Post français est douteux. D’accord, elle est la femme de l’année et va apporter au canard la publicité nécessaire. Mais Madame Strauss-Kahn, a-t-elle les compétences requises sur le Web alors qu’elle n’a pratiquement pas exercé depuis l’éclatement de la bulle internet ? Et est-ce un hasard que la personne anciennement chargée de la presse de DSK au FMI s’est vue confiée la communication autour du lancement du HP français ? »
Katharina
« Le bon journaliste doit être capable de traiter l'information aussi objectivement que possible »
« La nomination de Sinclair soulève des débats différents. D´abord, la question de savoir si une personne de 63 ans qui ne pratique (presque) plus le journalisme depuis presque 15 ans, est la mieux qualifiée pour diriger un média en ligne. Ensuite, la question de savoir si sa relation avec son mari et les conflit d'intérêt qui peuvent en découler peuvent dévoyer un éventuel traitement éditorial de l’affaire DSK. Le bon journaliste doit être capable de traiter l'information aussi objectivement que possible et, ainsi, de laisser de côté ses intérêts personnels. Je vois le message de Huffington comme un produit éditorial et Sinclair est en train de lui donner la notoriété nécessaire pour réunir le plus grand nombre de lecteurs. En tout cas, je trouve très triste que cette femme soit obligée de traîner, tout sa vie, même dans la sphère professionnelle, le fait d’être la femme de Dominique Strauss-Kahn. Tout se passe comme si à chaque fois qu'une femme réussit, nous voulions mettre en doute ses compétences ou se demander comment elle en est arrivée là. »
Cristina
« Que va faire Anne Sinclair ? 'Réseauter'. Et là je m’inquiète »
« De but en blanc, la décision ne m’a pas choqué. Pour moi, Anne Sinclair reste l’une des meilleures journalistes française, et ce, malgré son inexpérience du journaliste internet. Quoi que, de juin 2008 à mai 2011 (arrêt DSK), elle a tenu un blog sur l’actualité américaine. Mais le problème réside dans son poste : directrice éditoriale. Un statut flou, quasi-honorifique, dont la clarté est ombragée par l’existence de deux fonctions précises au sein de l’équipe de direction : celui de David Kessler (directeur de la publication) et celui de Paul Ackermann (rédacteur-en-chef). Outre les questions personnelles, les soucis déontologiques et les conflits d ‘intérêts que cette nomination peut soulever, que va faire Anne Sinclair ? « Réseauter ». Et là je m’inquiète. Parce que Julien Dray et Rachida Dati ne sont pas journalistes. »
Matthieu
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