Honte au Canada !
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Sans ciller, les autorités canadiennes viennent de donner le feu vert à une très probable flambée d’actes anti-rom en République Tchèque. Vu sous cet angle, on se demande quel lien il existe entre le très pacifique pays du sirop d’érable et la dérive xénophobe en Bohème.
Mais en rétablissant l’obligation des visas pour les citoyens tchèques, sous prétexte d’un trop grand nombre de roms demandeurs d’asile, le gouvernement canadien met en danger une communauté vulnérable, qui est aux yeux de nombreux tchèques l’unique coupable de ce camouflet diplomatique.
Les Canadiens peuvent parfois se montrer teigneux. En témoigne la récente mise à exécution de l’ultimatum sur le rétablissement des autorisations consulaires pour les ressortissants de République Tchèque. Cette décision est de nature tout à fait exceptionnelle : imposer unilatéralement la nécessité d’obtenir un visa est une pratique rarissime entre ce genre d’Etats. D’autant plus que la République Tchèque, membre de l’Union Européenne dont elle vient de quitter la Présidence, est le genre de pays qui ne plaisante pas avec sa légitimité internationale. Mais alors qu’est-ce qui est passé par la tête des autorités canadiennes ?
Ce qu’on pourrait prendre, à première vue, pour une énorme boulette administrative, est en réalité une mesure de rétorsion longuement réfléchie ; ça n’est pas la première fois que les canadiens font le coup aux tchèques. En 1997 en effet, les visas avaient été rétablis pour les mêmes raisons. Levée en 2007, soir 4 ans après l’adhésion de Prague à l’UE, cette mesure était assortie d’un nombre seuil de demandes d’asile que les Tchèques devaient respecter.
Cela fait des mois que la menace de rétablissement était brandie par Ottawa. En effet, depuis deux ans, le nombre de demandeurs d’asile originaires de la communauté tzigane de République Tchèque a explosé : on estime a environ 1700 le nombre de ceux-ci, soit bien au-delà du « quota » d’accueil de réfugiés politiques requis par le Canada en vertu de l’accord bilatéral signé entre les deux pays. Et malgré de longues négociations pour aboutir à une issue moins radicale, la sanction est tombée le 15 juillet, provoquant un fort émoi en Bohème.
Au-delà de l’insulte que représente pour beaucoup de Tchèques cette petite humiliation, ce qui frappe avant tout c’est l’aveuglement des autorités canadiennes sur la situation des roms dans ce pays d’Europe centrale au sein duquel leur situation est loin d’être enviable. La rétention mise en place, certes en vertu de traités préétablis, ne semble pas vraiment prendre en compte la grande vulnérabilité des tziganes face à une opinion publique et des autorités souvent très dures à leur encontre.
Ah, mais c’est vrai qu’il n’y a pas de place pour quelques caravanes, dans ce pays dont la superficie atteint presque 10 millions de kilomètres carrés. Vous comprenez, ça empêcherait les caribous de se reproduire sereinement, tous ces manèges. Et puis vous n’y pensez pas, tous ces bandits en liberté dans nos steppes infinies, et puis quoi encore ?
Après tout, c’est de leur faute aux tchèques, ils n’avaient pas qu’à multiplier les accords de visas bilatéraux depuis leur entrée dans l’UE ; s’ils avaient fait comme les autres, ils n’en seraient surement pas là. Bien fait pour eux. C’est d’ailleurs grosso modo ce que la commission européenne leur à répondu après que ceux-ci ont demandé à Bruxelles, en vertu du principe de solidarité entre Etats-Membres, que les visas soient rétablis dans toute l’union pour les ressortissants canadiens. Les fonctionnaires britanniques ont dû bien rigoler en ouvrant leur courrier…
Imaginons qu’on essaye de comprendre que les gitans « dérangent » tout autant outre atlantique. Mais on peut tout de même légitimement se demander si les autorités canadiennes ont réfléchi aux conséquences de leurs actes avant de tourner au roms aussi arbitrairement. La rancœur envers ce peuple étant beaucoup plus acérée du côté de l’opinion publique tchèque, déjà très remontée contre les roms, la perspective d’un retour de flamme a été sciemment ignorée par les responsables canadiens. Accusés de tous les maux de la société, les roms tchèques sont régulièrement pris pour cible par une population qui n’hésite plus à se faire « justice » elle-même
Imaginez donc le sentiment de cette même population, alors qu’elle se voit ainsi insultée sur la scène internationale ? Encore à cause de ces maudits roms ! Le bouc-émissaire est tout trouvé, et c’est encore à lui que l’on va s’en prendre pour se passer les nerfs. A Prague, les principaux quotidiens en ligne ont déjà fermé les flux de commentaires des articles traitant du sujet. La violence xénophobe semble en effet redoubler depuis l’annonce de la mesure. Comme ci les roms avaient besoin de ça en ce moment, eux qui chaque jour voyaient déjà leur situation se dégrader : l’exil constant de ces derniers hors des frontières tchèques en est la preuve.
Alors on dit merci les canadiens. Vachement humain comme comportement. Très digne d’une grande démocratie. On ne dit pas que les autorités tchèques sont blanches comme neige : elles ont bien entendu, du fait de leur cavalier seul en matière de visas, leur part de responsabilité. Mais franchement, n’y avait-il pas une façon plus efficace de contenter les deux parties ? N’y avait –il pas un moyen plus altruiste que celui de mettre cruellement en danger les roms ?
On croise les doigts pour qu’Ottawa reconsidère sa position. Mais il semble malheureusement que le mal soit déjà fait.