Honore ta femme !
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Malgrè les lois, la violence envers les femmes turques est bel et bien une réalité. Familiale. Jenny Vanderlinden, coordinatrice d'Amnesty International en Belgique raconte.
« Güldünya Tören avait appelé son bébé ‘Umut’(Espoir), elle savait qu’il ne vivrait pas longtemps. Enceinte, elle avait refusé d’épouser son cousin. Elle fut envoyée chez un oncle à Istanbul. Un de ses frères lui donna une corde et lui ordonna de se pendre. Elle s’enfuit, demanda la protection de la police et fut assurée que son oncle et son frère ne la tueraient pas. En février 2004, peu après la naissance du bébé, ses propres frères ont failli la tuer en tirant sur elle dans la rue. A l’hôpital, elle a imploré la police de la protéger. Une nuit, dans la chambre non gardée, ses meurtriers lui ont tiré une balle dans la tête. »
Crime d’honneur
Le récit est accablant. En Turquie comme ailleurs dans le monde, les femmes voient leurs droits fondamentaux bafoués au nom de l’honneur, de l’amour, de la jalousie, de la passion ou de la tradition. Au sein même de leur famille. Pourtant aucune de ces valeurs ne légitime le recours à la violence. Les crimes d’honneur, comme celui dont fut victime Güldünya Tören ne sont qu’un aspect de la violence que subissent quotidiennement les femmes. L’horreur de ces crimes ne doit pas nous faire oublier toutes celles qui sont violées, battues, forcées de se prostituer et mariées de force parfois très jeunes. Les tests forcés de virginité continuent à se pratiquer malgré leur interdiction. En effet, dans certaines communautés, l’honneur des hommes dépend de la pureté de leur femme, de leurs sœurs et de leur mère. Le comportement des femmes est dès lors une affaire de famille et non plus un choix individuel. Ce scandale humanitaire, trop souvent passé sous silence, se doit d’être pris en compte par les Etats, comme l’exige Amnesty International dans sa dernière campagne de prévention « Halte à la Violence contre les Femmes ».
Discriminations
Discrimination et violence à l’égard des femmes sont étroitement liées. Dans certaines régions de Turquie, dès la naissance, la petite fille peut être promise en mariage. Elle accède moins facilement à la scolarité et aux études supérieures que les garçons. Une fois adulte, la femme est moins informée de ses droits. Elle aura moins de chances de pouvoir développer ses capacités dans les différents secteurs d’activités, notamment en politique. Sans profession et sans ressources financières propres, il lui sera difficile de mettre fin à une relation violente. Selon l’UNICEF (Fond des Nations Unies pour l’Enfance), 640 000 fillettes ne vont pas à l’école, pourtant obligatoire en Turquie, alors que la loi accorde aux femmes et aux hommes un droit égal à l’éducation. Dans les manuels scolaires, les femmes sont souvent représentées dans des tâches subalternes, dévalorisantes alors que les hommes ont les rôles de décideurs.
Devoir de protection et réparation
Amnesty International appelle tous les dirigeants, tous les Etats, les organisations, comme les Nations Unies, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe à soutenir et promouvoir les initiatives visant à garantir la prévention de la violence et la protection des femmes. Les autorités turques doivent absolument mettre en application les réformes apportées à leurs lois et veiller à ce que toutes les femmes victimes de violences obtiennent réparation. Les coupables de ces violences doivent être condamnés à des peines proportionnelles à leur crime. Les institutions religieuses quant à elles sont appelées à abandonner toute action qui encourage ou tolère la violence contre les femmes et à respecter les droits de celles-ci.
Le gouvernement turc, avec l’appui de la communauté internationale, doit mettre en place des mécanismes de protection : un nombre suffisant de refuges et une infrastructure sociale permettant de soutenir les femmes ayant subi des violences. Le gouvernement turc a adopté une loi stipulant qu’un refuge pour femmes serait établi dans chaque municipalité de plus de 50 000 habitants. Il est vital que ces refuges soient développés en coopération avec des ONG de femmes qui ont de l’expérience en la matière et bénéficient de la confiance de leurs compatriotes. Il faut également que la police et le pouvoir judiciaire soient formés de manière à pouvoir agir rapidement et efficacement contre toutes les formes de violence dont sont victimes les femmes et accordent à celles-ci l’importance qui convient. Enfin, l’introduction de programmes d’éducation civique dans les écoles, valorisant le rôle de la femme au sein de la famille et de la société, permettrait aux filles de devenir des adultes confiantes, et aux garçons, de voir en elles des partenaires aux droits équivalents, favorisant un changement des mentalités. Les réformes légales, à elles seules, ne pourront pas éradiquer la violence contre les femmes. Le gouvernent turc, la société civile et l’Union européenne doivent en faire un objectif prioritaire, et tout comme pour la torture promouvoir une «tolérance zéro ».
Article publié le 7 février 2004 dans le dossier « Etre une femme en Turquie »