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Hommes politiques et médias : des liaisons dangereuses ?

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Henry W.

Politique

En Europe, les médias sont loin d’être à la botte des hommes politiques. Mais entre connivence et affrontement, les rapports entre ces deux pouvoirs dérangent. Tour d’horizon en France, en Roumanie et en Italie.

Le sondage annuel du quotidien La Croix sur « la confiance des Français dans les médias » en dit long sur l’image qu’ont les citoyens de leurs journalistes (1). D’après l’enquête d’opinion, 57 % des personnes interrogées pensent que les journalistes ne résistent pas aux pressions politiques ; ils sont 54 % à penser qu’ils succombent aux pressions financières.

Une décision politique

Au milieu, Patrick Poivre d'Arvor, l'ex-présentateur du JT de TF1 | Crédits : smiledolphin / FlickrL’éviction inattendue du présentateur du « 20 heures » de TF1, en poste depuis vingt et un ans, Patrick Poivre d’Arvor, a de nouveau suscité de vifs débats sur les liens entre les médias et le pouvoir exécutif. Poivre d’Arvor s’était opposé, en novembre 2007, à la nomination d’un proche de M. Sarkozy comme directeur de l’information de TF1 ; par ailleurs, le chef de l’Etat aurait peu apprécié une remarque du présentateur le comparant à un « petit garçon » à l’occasion de son premier G8. Poivre d’Arvor, qui a quitté son fauteuil le 10 juillet dernier, qualifie sans ambages son évincement de « décision politique » orchestrée par l’Elysée.

M. Sarkozy s’était déjà fait épingler par Alain Genestar, l’ex-directeur de Paris Match, renvoyé en 2006 après avoir publié une photo de Cécilia Sarkozy et Richard Attias à New York, en août 2005. Les liens amicaux qu’entretient le président français avec de nombreux patrons de presse (dont ceux de Paris Match et TF1) alimentent les soupçons de copinage. Par ailleurs, M. Sarkozy a récemment provoqué un tollé en évoquant une possible nomination du président du groupe de service public France Télévisions par le Président de la République en lieu et place du CSA, comme ce fut le cas autrefois.

Pierre Musso, spécialiste de la communication, voit dans cette proposition un « retour à la case départ », et même un « élargissement » des prérogatives politiques. « La présidence du général de Gaulle était marquée par une mainmise très forte du politique sur l’information, mais par une grande liberté sur les programmes », analyse l’auteur de l’ouvrage Le sarko-berlusconisme (L’Aube, 2008), « or Nicolas Sarkozy intervient aussi sur les programmes ». Pierre Musso propose comme remède d’inscrire l’indépendance de la télévision publique dans la Constitution.

Moins d’efforts depuis l’adhésion à l’UE

La menace d’une intrusion du politique dans la sphère médiatique est plus prégnante encore en Roumanie, dont le Sénat avait adopté le 25 juin dernier un projet de loi sur l’audiovisuel qui aurait imposé les radios et les télévisions à diffuser 50 % de nouvelles « positives ». La Cour constitutionnelle a déjà invalidé la loi et le président roumain, M. Basescu, s’était immédiatement opposé au texte. L’amendement a finalement été refusé.

Mais l’ONG roumaine Media Monitoring Agency (MMA) a constaté « une augmentation des pressions politiques » en 2007 (2). Selon Liana Ganea, la n°2 de MMA, « les hommes politiques ont relâché leurs efforts en faveur des médias après l’adhésion à l’UE en 2007 ». Liana Ganea est partagée sur le bilan du président : elle lui reproche son comportement « souvent hostile » à l’égard des journalistes, mais reconnaît qu’il a « toujours été un partenaire fiable des ONG, notamment pour la liberté des médias ». En 2007, M. Basescu avait traité de « sale gitane » une journaliste qui le dérangeait pendant qu’il faisait ses courses.

« L’audiovisuel continué par d’autres moyens »

Silvio Berlusconi est à la tête d'un empire médiatique | Crédits : BookHouseBoys / FlickrSilvio Berlusconi, le président du Conseil italien, symbolise la collusion entre les médias et la politique. Le Cavaliere détient les trois principales chaînes de télévision privées du pays et est actionnaire majoritaire du plus grand éditeur transalpin de livres et de magazines. Sa femme, Veronica Lario, est aussi en partie propriétaire du quotidien de droite Il Foglio. Pour couronner le tout, Silvio Berlusconi, en sa qualité de premier ministre, dispose d'une grande influence sur la télévision publique.

Néanmoins, Pierre Musso met en garde contre la thèse simpliste attribuant le contrôle de l’opinion au détenteur d’une chaîne de télé privée : « Il y a au moins deux filtres : celui des journalistes, avec le rôle des sociétés de rédaction, et celui des téléspectateurs, qui ne sont pas idiots ! ». Pierre Musso rappelle que M. Berlusconi a perdu les élections législatives à deux reprises malgré son empire médiatique. « Avec M. Sarkozy et M. Berlusconi, la politique a été captée par l’audiovisuel, pas l’inverse », remarque-t-il. Ainsi, les deux hommes seraient le fruit d’un contexte où le politique devient de « l’audiovisuel continué par d’autres moyens ».

Il n’en demeure pas moins que M. Berlusconi semble s’être aventuré dans des eaux dangereuses. Le 27 juin dernier, l’hebdomadaire italien L’Espresso révélait qu’en 2007 M. Berlusconi, alors chef de l’opposition, aurait proposé un pacte secret à Agostino Sacca, à l’époque directeur général de la RAI. Le Cavaliere aurait demandé à M. Sacca d’embaucher certaines actrices, en échange de quoi il s’engageait à accélérer sa carrière. Affaire à suivre. Mais sur quelle chaîne ?

(1) Sondage TNS-Sofres pour La Croix, Baromètre de confiance des Français dans les médias (janvier 2008) (2) Press Freedom in Romania 2007, Media Monitoring Agency

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