Hip Hop à Bruxelles : les b-boys révolutionnent l'art établi
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Vendredi 21 février, à l’occasion de l’ouverture du Festival Lezarts Danses urbaines 2011, le Bozar (Musée des Beaux Arts de Bruxelles) est plus relax et accessible que d’habitude. Encore trop souvent assimilé à « un sport de voyous », c’est dans la galerie Ravenstein, de l’autre côté de la rue, que le Hip Hop bruxellois a fait ses classes.
Pourtant ce soir, c’est bien dans l’intérieur marbré du musée qu’il est roi…
Mouvement artistique à part entière
Loin du brouhaha de l’entrée, Mohamed Belarbi, alias Momo, le chorégraphe des petits as qui se tortillent sur le sol de la salle de répétition avec une facilité déconcertante, me fait une petite remise à niveau. Fondateur du collectif Vagabonds Crew, cela fait 10 ans qu’il met sa technique et son temps à la disposition des plus jeunes. A l’occasion de la dixième édition du festival Lezarts Danses Urbaines, édition spéciale Europe avec un laboratoire européen de danse hip hop à la clé, Momo est en charge d’une résidence chorégraphique avec un groupe belge sélectionné pour l’occasion. Et pas question de lâcher ses B-boys du regard. Issu de la « deuxième génération » du Hip Hop – les années 80 – il m’explique qu’à l’époque le mouvement vivait principalement dans les soirées. S’il relève clairement d’un sport de haut niveau d’un point de vue de la prouesse physique, Momo insiste : « Il est impossible pour un breaker de faire ses mouvement sans musique ». L’identité du Hip Hop est sans aucun doute liée au rythme et à la danse, et s’assimile donc comme un art à part entière. Pourtant, parlez Hip Hop à la quinquagénaire de base et il est fort probable qu’elle vous balance toute sorte d’idées reçues : voyous, banlieusards, fumeurs de joints…Paradoxe suprême donc que d’assister à la célébration des 10 ans du festival à l’intérieur du musée des Beaux-Arts (Le sacro-saint temple de l’art à Bruxelles, au sens le plus rigide du terme) lui rendant les honneurs que les traditionnels amateurs d’art ont eu tendance à lui refuser. En ce sens, l’évolution du Hip Hop (sa traversée du désert qu’est la rue Ravenstein) est une victoire.
Une identité : collectif et transmission
Ce qui caractérise le Hip Hop ? L’esprit collectif, la famille, « un univers hyper brassé, pas de cloisons de nationalité, de couleur ou d’origine ». Des blancs, des blacks, quelques filles… La seule règle, « c’est le dansé ». Mais attention précise Momo, il faut rester authentique, respecter son corps et les autres… Car si le breaker est cool, il suffit de le regarder danser pour calculer direct qu’il a intérêt à avoir la forme pour encaisser.
« On ne danse pas pour l'argent, on gagne de l'argent pour danser »
Johnny, 22 ans et deux autres boys de la Team Schmetta me préviennent qu’ils sont des pros des blagues foireuses. S’ils me font bien rigoler, je suis surtout frappée par l’énergie, la bonne humeur et la maturité qu’ils dégagent, trois illustrations de leur « Crew spirit ». Et Johnny de rappeler que le Hip Hop est né dans les quartiers, avec la volonté de les représenter, de les protéger : « Et pour faire ça, tu as besoin d’un groupe ». Cela explique en partie pourquoi on a tendance à croiser plus de garçons. De la part de ces mecs hyper relax, on comprend facilement le ras-le-bol des stéréotypes : le rapprochement courant (et à tort) au gangsta rap américain, aux chaînes en or de Rihanna et de ses potes (qu’ils n’aiment pas du tout...). Pourtant, si les clichés perdurent, la danse continue à tenir beaucoup de breakers à l’écart des violences urbaines. Super organisés, ils me bluffent en m’expliquant qu’ils composent leurs propres chorégraphies, mixent leur musique, financent leurs entraînements et leurs compétitions à l’étranger et réinvestissent ce qu’ils gagnent pour entretenir leur passion.
Derrière le festival, Lezarts Urbains à Bruxelles… Mais aussi un Laboratoire européen de la Danse Hip Hop. Sophie, active dans Banlieue d’Europe et coordinatrice du Labo, explique que: « L’entrée du Hip Hop au Bozar montre que les choses changent du côté des institutions ». « Le public a toujours été là. Mais les institutions doivent continuer à s’ouvrir. On veut voir plus de freestyles dans les halls des musées ». En Europe, si le Hip Hop a plutôt la cote en France et aux Pays-Bas, le public reste plus limité en Grande-Bretagne et en Allemagne notamment.
Pendant ce temps, le public en prend plein les yeux. A voir la précision technique des chorégraphies, on devine l’ascèse des pros. La coordination des danseurs, tantôt sur un rythme de percussions, tantôt sur un background vidéo et DJ, ne laisse aucun doute sur l’effort de composition artistique qui a été fourni pour en arriver là. Et dans l’atmosphère marbrée du Bozar, cette petite bouffée d’air frais fait le plus grand bien. Une révolution artistique est en marche. Reste aux arènes les plus traditionnelles de la culture et au grand public à prendre le train en marche.
Confidences d’un b-boy bruxellois : le hip-hop est aussi « un moyen de sortir de la rue »
Chady, 12 ans de Hip Hop derrière lui, s’entraine avec Momo. Il croise par hasard un breaker alors qu'il traînait avec ses potes à 12 ans, et c'est la révélation. Depuis, il danse « un peu tous les jours » dans Bruxelles, notamment dans les galeries Ravenstein. Aujourd’hui il vit de la danse. Une exception pour une discipline toujours en mal de reconnaissance. Le Hip Hop ? Une vraie culture, qui regroupe à la fois le b-boying ou breakdance, le graffiti, le DJing et le rap. « Ca fonctionne par génération. Tu t’entraines avec ceux qui commencent en même temps que toi, et puis tu formes ta "crew" ». La sienne a été officialisée par le festival en 2002. C'est « aussi un moyen de sortir de la rue ». La reconnaissance du mouvement pose donc aussi la question de la réussite des politiques urbaines en parallèle desquelles il s’est développé.
Photos : Une et texte : ©Natacha Cingotti