Henri Malosse : « L'UE travaille de manière idéologique et technocratique »
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Pour le président du Conseil économique et social européen, l'Union européenne a perdu l'esprit de ses origines. Il appelle donc, pour les élections européennes, au réveil de nouvelles forces pro-européennes.
cafébabel : Les citoyens européens ont de plus en plus l'impression que Bruxelles est une institution très lointaine. Partagez-vous ce constat ?
Henri Malosse : Oui, l'Union européenne est lointaine et autiste. Elle ne regarde pas quelles sont les vraies priorités, et elle travaille d'une manière idéologique et technocratique. C'est une sorte de grosse machine, qui avance sans être contrôlée, comme un avion sans pilote. On a une impression de fuite en avant : on élargit le marché vers les États-Unis, on intervient dans la vie quotidienne des gens et des entreprises avec des réglementations tatillonnes, et on ne s'occupe pas des vrais sujets, comme l'emploi, la sécurité, l'immigration, etc... Et ça, les gens le ressentent.
cafébabel : Pourtant, les institutions font beaucoup d'efforts pour être proche du citoyen, notamment avec les dialogues citoyens de Viviane Reding, et la diffusion de brochures et de matériel pédagogique...
Henri Malosse : Ce n'est pas mon impression. Les dialogues citoyens de Mme. Reding n'ont touché que les gens bien informés. Quant aux publications, pensez-vous que c'est un problème de quantité de brochure ? Ce n'est pas au nombre de papiers imprimés qu'on va restaurer la confiance.
En tout cas, les résultats ne sont pas là. Les sondages montrent que la méfiance envers les institutions ne cessent de grandir. Alors même si la commission fait des super belles brochures et de super beaux colloques, on retrouve toujours les mêmes personnes, qui sont initiés et convaincus. Je pense que c'est plutôt au nombre des actions réalisées que l'on restaurera la confiance. Il faut d'abord que l'Union européenne fasse des choses, puis qu'elle communique, et pas l'inverse.
« on a perdu l'objectif de l'Europe »
cafébabel : Vous appelez donc à des actions plus rapides, plus concrètes, peut-être plus précises ?
Henri Malosse : J'appelle à de vraies priorités, plus rapidement, moins bureaucratique. Mais il faut aussi que les citoyens aient le sentiment qu'on les écoute. Pour l'année européenne de la citoyenneté active, la Commission organise un certain nombre de manifestations. Mais ce sont plutôt des monologues : un Commissaire explique ce qu'il fait, et puis on laisse une demi-heure aux gens pour poser des questions. Les citoyens attendent plutôt qu'on les écoute, puis qu'on réponde à leurs besoins.
cafébabel : Alors que fait-on ?
Henri Malosse : J'appelle surtout à une nouvelle gouvernance de l'Europe : à Bruxelles, il y a trop de pouvoir dans les mains des lobbys. Prenez le cas des semences reproductibles, par exemple : la Commission européenne et la Cour de justice pour des raisons étonnantes, ne semblent pas en faveur de ces semences. Elles soutiennent les grands semenciers, comme Monsanto, qui militent pour un système dans lequel les paysans doivent racheter chaque mois des semences.. On voit bien, là, une puissance insupportable des lobbys auprès des institutions européennes.
cafébabel : Pensez-vous que l'on a perdu l'esprit de l'Europe des débuts ?
Henri Malosse : Oui, je pense qu'on a perdu l'objectif de l'Europe. C'est difficile de le dater, moi je verrais ça à la fin des années 90 ou au début des années 2000. Pour les pères fondateurs, le marché n'était qu'un instrument afin de rassembler les forces de l'Europe. Maintenant, c'est l'alpha et l'oméga de la construction européenne. On en donc en train de mettre en concurrence nos économies, nos systèmes sociaux, nos systèmes fiscaux... C'est vraiment pays contre pays, intérêt contre intérêt ! L'Europe a été un champ de bataille militaire jusqu'en 1945, et aujourd'hui on en fait un champ de bataille économique.
cafébabel : Bientôt les élections européennes... Craignez-vous une percée des partis eurosceptiques ?
Henri Malosse : Oui, je crains que le prochain Parlement européen soit beaucoup moins pro-européen. Je le regrette beaucoup, mais je pense que ce sera aussi un électrochoc pour tous ceux qui s'imaginent que tout va bien. Quand on regarde l'offre politique, on constate qu'il n'y a pas grand-chose. Il y a, premièrement, ceux qui veulent la mort de l'Europe communautaire et le retour à l'intergouvernemental. Ça va jusqu'à fermer les frontières et dissoudre Schengen – alors que la liberté de circulation est l'essence de l'Europe !
Deuxièmement, il y a quelques idéalistes, qui veulent une Europe fédérale, tout de suite ! Mais on voit bien qu'aujourd'hui, les opinions publiques, en Europe, ne sont pas prêtes à ça. Enfin, il y a le troisième groupe, celui qui ne propose rien. C'est le plus grand et le plus dangereux. Je le vois du côté des partis traditionnels, dans beaucoup de pays. Il n'ont pour l'instant aucune proposition sérieuse, mais seulement des slogans : « il faut que l'Europe s'occupe de la croissance », « il faut plus de budget », etc..
cafébabel : Que peut-on espérer ?
Henri Malosse : J'espère que pendant cette campagne, des forces vont apparaître et développer un discours critique, mais positif. Critique mais avec des propositions concrètes pour assurer une convergence fiscale et sociale, pour faire des choses concrètes en faveur des jeunes, de l'emploi, de la réindustrialisation, etc... Et je pense que ce sera un message crédible, auquel les citoyens pourront adhérer.
Depuis le 17 avril 2013, Henri Malosse préside le Comité économique et social européen (CESE). Ce Français, né en 1954, a fait toute sa carrière à Bruxelles, où il a notamment créé le Cercle des délégués permanents français et le réseau Euro-info centres. En 1998, il entre au Comité économique et social européen, où il préside le groupe des employeurs. Devenu président, il veut profiter de son mandat pour faire de cette institution « un lieu de rendez-vous citoyen où l’on dit la vérité à défaut d’avoir un pouvoir décision ».