Henri Guaino et le romantisme politique
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Je viens de finir un bouquin qui s’appelle l’aube, le soir ou la nuit, de Yasmina Reza. Je suis un peu la bourre, il est sorti il y a un an, mais bon… Le livre fit sensation a l’époque de sa sortie, parce qu’il s’agissait d’une sorte de journal de la campagne de Nicolas Sarkozy, que l’auteur suivait dans tous ses déplacements.
Or, Yasmina Reza écrit des pièces de théâtre, à la base, et chez les gens de la culture, c’était pas top crédibilité de suivre Sarkozy. Surtout que le bouquin est pour le moins indulgent envers notre super-président, et le décrit tel un héros tragique, pliant sous le poids de sa fabuleuse destinée…
Bon, le problème du livre, c’est qu’il est surtout très médiocre, et nous assassine avec une profusion d’exercices de styles tentant vainement de rendre glamour une réunion locale de l’UMP ou une visite de campagne dans une usine de gâteaux.
Ce qui m’a intéressé là-dedans, c’est la description d’Henri Guaino, et de ses relations avec Sarkozy. Vous savez, Henri Guaino, c’est le conseiller spécial du président, celui qui écrit ses discours, et lui souffle des idées grandioses, comme le fameux projet d’Union méditerranéenne, par exemple… et aussi celui qui ne perd jamais une occasion d’affirmer son scepticisme envers la construction européenne. Pour Henri Guaino, l’Europe est une sorte de « monstre froid », un système technocratique déconnecté des peuples, des cultures et de l’histoire. Enfin, la critique habituelle, mais en plus classe, quoi…
Mais, en fait, j’aime bien Henri Guaino, parce qu’il m’a permis de comprendre ce qui, profondément, emmerde tant de gens à propos de l’Europe. Henri Guaino est un romantique. Un romantique politique. Pour lui, l’histoire est une fresque colorée, parsemée de grands noms, d’actes héroïques, et d’épiques batailles. Depuis l’Antiquité, les hommes ont construit les civilisations sous des bannières sublimes : La Cité, l’Empire, Dieu, le Roi, la Nation, le Peuple, le Parti. Tous ces engagements exaltés, ces sacrifices individuels, ces victoires collectives, ces hymnes glorieux font de nous ce que nous sommes.
Et l’Union Européenne n’a rien de tout cela. Alors, elle ennuie profondément Henri Guaino. Henri Guaino veut du rêve, lui. Mais l’individu post-moderne n’a pas la chaleur du peuple raconté par Michelet. La France d’aujourd’hui n’a plus de « grande mission civilisatrice » et plus personne ne nous parle à la radio pour nous exhorter à combattre l’occupant. Tout est morne, plus ne nous est rien…
Finalement, la différence fondamentale entre les euro-sceptiques et les pro-européens, c’est notre vision de l’histoire. Là où Henri Guaino voit d’épiques batailles, je vois des massacres sanglants. Quand il entend un hymne victorieux, je perçoit une le bruit des bottes et les roulements de tambours des exécutions sommaires. Quand il rêve de victoires collectives, je pressens l’oppression des pensées individuelles.
L’Union européenne ne nous promet rien, ne nous engage à rien. Elle ne désigne pas de cause, pas d’ennemi commun. Rien qui ne vaille la peine de faire le sacrifice de sa vie. Et tant mieux. Car rien, mais absolument rien, ne justifie un tel don de soi. Barrès parlait de « la terre et des morts » pour glorifier la nation française. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. La liberté ne pousse jamais sur les cadavres. Des cadavres ne surgissent que l’oppression, que l’aliénation. L'Histoire, avec un grand H, est le terreau de ceux qui vous parlent d’héroïsme pour mieux vous plier à leur volonté.
L’Europe ennuie Monsieur Guaino, parce qu’elle ne raconte pas d’histoires. Mais elle ennuie tout ceux qui recherchent à tout prix à prendre le pouvoir sur leurs semblables. Elle est la mouche du coche, le virus, le grain de sable dans leur belle rhétorique.
Monsieur Guaino, vous êtes fasciné par le pouvoir, et le roman qu’il suppose. Mais l’Europe est anarchiste, et en bonne anarchiste, vous savez ce qu'elle vous dit ?