Helmut Newton : misogyne ou génie ?
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Une rétrospective du célèbre photographe Helmut Newton est actuellement exposée au Foam à Amsterdam durant laquelle on peut admirer plus de 200 photographies exclusives de l’artiste. L’occasion de faire un zoom sur « l’homme à femmes » adulé et détesté.
Helmut Newton est un photographe australien d’origine allemande. Artiste emblématique du 20e, il est connu pour ses photos polémiques de femmes, souvent nues, et pour ses célèbres portraits tels que Catherine Deneuve, Jean-Marie Le Pen ou encore Margaret Thatcher.
Helmut Newton
Né à Berlin en 1920, il fuit l’Allemagne nazie en 1938 et immigre plus tard en Australie où il rejoint l’armée australienne. Après la guerre, il se lance comme photographe de mode, mais ce n’est que dans les années 70 qu’il décolle réellement, notamment grâce à ses photos pour Vogue.
Il collabore par exemple en 1975 avec Yves Saint-Laurent et réalise l’une de ses photographies les plus mythiques, celle d’une femme androgyne dans un smoking posant dans la rue Aubriot à Paris. Cette photo est à elle seule une réflexion sur la libération de l’orientation sexuelle – elle porte un smoking noir (Saint-Laurent bouleverse les codes en inventant le smoking pour femmes en 1966), elle fume, a les cheveux gominés, adopte une posture masculine. Dans la seconde photo, une femme nue pose derrière — analogie avec l’homosexualité ?
L’inventeur du porno chic
Une mise en scène incommodante, provocante, érotique et impétueuse, c’est ce qui caractérise son style. Il manipule ses modèles et n’hésite pas à les mettre dans des positions complètement désarticulées, vulnérables, exhibitionnistes et sans tabous. On retrouve dans ses photos toujours le même type de femme : des jambes infiniment longues, une poitrine généreuse, une silhouette svelte et le corps presque toujours nu.
Ses photographies mettent en scène des femmes nues, habillées, belles, charismatiques, androgynes, érotiques, puissantes et « triomphantes ». Et pourtant, certaines féministes ne sont pas du même avis.
Misogyne, dîtes-vous ?
Célèbre féministe allemande, Alice Schwarzer décrit le travail de Helmut dans EMMA (magazine politico-féministe allemand) comme n’étant « pas seulement sexiste et raciste, mais aussi fasciste ». Elle va même jusqu’à dire qu’« avec son œuvre, l’immigrant juif est passé du camp de victime à celui de bourreau ».
Face à l’écrivaine Susan Sontag dans une émission de 1979, il voit son travail affublé du terme misogyne. Il lui répond qu’au contraire, il aime les femmes. Mais pour Susan Sontag, c’est une excuse dont se servent tous les misogynes.
Doit-on rappeler ici la définition du mot misogyne ? Personne qui éprouve du mépris, voire de la haine, pour les femmes.
Comment un homme, qui a mis la femme au cœur même de tout son art pendant tant d’années, peut-il réellement être misogyne ? Voyeur, certes. Mais Newton déclare lui-même : « Tout photographe affirmant ne pas être un voyeur est soit stupide soit un menteur ». On fait souvent référence au « male gaze » lorsqu’on mentionne son travail. Le « male gaze », c’est la façon dont les arts visuels dépeignent la femme d’un point de vue masculin. Souvent, la femme-objet est passive et exhibée au regard inquisiteur de l’homme. Le regard masculin prend la première place sur le regard féminin.
On pourrait se demander si tel est vraiment le cas dans les photographies de Newton. Ses femmes adoptent plutôt une posture dominante et un regard froid. Les femmes observées ne pourraient-elles pas être aussi puissantes que les hommes qui les observent ?
Plutôt un génie
Peu importe que son œuvre soit autant controversée, cet artiste a su dégager tous les tabous et a dévoué son art à la beauté, à l’émancipation des femmes et à la libération sexuelle. Ses photographies sont une véritable source d’inspiration artistique. Misogyne, dîtes-vous ? Pour moi, son art est une véritable ode aux femmes. Remettre les choses dans un contexte semble ici indispensable : il devient célèbre en 1970… Juste après 1968... Libération des mœurs, mise en circulation de la pilule contraceptive, révolution sexuelle, contestation du pouvoir patriarcal, revendication d’une orientation sexuelle… L’allégorie à l’indépendance des femmes me paraît incontestable. Toute cette controverse me pousse à la question suivante : si l’œuvre avait été créée par une femme, la traiterait-on elle aussi de perverse misogyne ?
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