Guts : les oiseaux se cachent pour sourire
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25 années qu’il se cache pour mieux répandre la joie. À l’occasion de la sortie de son quatrième album solo, le « crate-digger » se raconte en précurseur du hip-hop français et en philosophe du bien-être. Mais en tant que producteur, Guts est surtout un nouveau paradoxe de l’ère moderne : un mec qui creuse pour mieux voir la lumière. Rencontre.
Il reçoit comme à la maison dans les locaux d’une boîte de production du 18ème arrondissement de Paris. Englouti par le canapé, il finit une interview-fleuve qu’il vient d’accorder en tapant joyeusement dans la main du journaliste à la manière d’un rappeur américain. T-shirt Adidas, baskets blanches et short ample, en ce mois de septembre, Guts aborde l’été indien parisien comme il se doit : avec le sourire. Barbe hirsute et teint hâlé, l’artiste se prête aussi facilement à la description. D’une part, parce qu’il possède des signes distinctifs. D’autre part, parce qu’il vous sera difficile d’admirer une photo de lui. Guts n’aime pas l’exposition. Ce n’est pas bien connu mais cela suffit à expliquer ces pochettes tracées à gros traits par son ami graphiste Mambo, où figurent souvent une tête de barbu coiffée d’un grand chapeau.
Mineur de sons
« Je n’aime pas m’exposer. Pour moi, c’est comme montrer une photo de mon cul. » À la scène, Guts est discret. À la ville, c’est un personnage haut en couleur capable d’envolées lyriques comme on en trouve dans les comédies françaises des années 60. Un comportement contrasté qu’il entretient depuis 25 ans, l’âge de sa carrière, comme une sorte de principe d’équilibre. Homme de l’ombre, le producteur est passé derrière une centaine de projets de hip-hop français avant de commencer une carrière solo sans trop d’exhibition, toujours à l’abri des platines. Aujourd’hui, le Parisien se dévoile un peu plus que d’habitude avec la sortie de son quatrième album, Hip-Hop After All, pour lequel il a choisi de rassembler une ribambelle d’invités, comme Patrice ou Lorine Chia. « C’était un rêve, confie-t-il. Je rêvais de pouvoir faire un album dans le genre "Guts Presents…". À 43 ans, c’était le moment de le faire. » À l’inverse du précédent, Paradise For All, le producteur défend désormais son nouvel album sur scène avec un live-band réuni pour l’occasion.
Si Guts apparaît rarement à visage découvert, c’est qu’il a passé la moitié de sa vie la tête dans les bacs à vinyles. Personnage incontournable des premiers balbutiements de la scène hip-hop française, l’artiste a aussi contribué à l’émergence d’un genre musical aussi fondamental que méconnu : le crate-digging. Littéralement : « fouineurs de bacs de disques ». C’est d’ailleurs en « crate digger » qu’il se définit lorsqu’on l’interroge sur son positionnement artistique. Selon lui, c'est tout simplement la base du hip-hop : « l’idée, c’était de se débrouiller, d’aller chercher dans les morceaux des autres, des sons à utiliser ». Une expérimentation qui a longtemps nourri les attaques à l’endroit des rappeurs, accusé de voler des samples. « Bien sûr qu’on est des voleurs !, réagit Guts tout sourire. On a rien inventé. Par contre, on a tout réinventé. »
Guts avec Lorine Chia - « Open Wide »
Simple & Funky
Le grand détournement commence dans une chambre de Boulogne-Billancourt en 1987. Quand un collégien commence à s’offrir ses premiers disques grâce à ses bons résultats scolaires. Très vite, l’adolescent délaissera un peu les exposés pour s’intéresser, beaucoup, à la culture DJ. Après trois années de battle et de scratch, le jeune qui s’amuse à tagger « Guts » sur les murs de son quartier, passe derrière la production musicale d’un des premiers groupes de rap français marquants de la décennie 90, souvent considérée comme l’âge d’or du hip-hop dans le monde entier. Avec Alliance Ethnik, Guts devient l’un des figures de proue du mouvement en France. Pourtant, il laissera le soin au MC, K-Mel, d’assurer la promo du groupe. Guts passera 10 ans à soigner le son de la bande et, de temps en temps, celui des autres. Toujours dans l’ombre.
Il y a de quoi alimenter pas mal de fantasmes sur un artiste aussi invisible que Guts. Pourtant, l’homme se situe aux antipodes des clichés sur les producteurs de rap. « On pourrait s’imaginer l’image du producteur de rap fumeux, assis dans son studio tout noir avec son cognac, des blunts et des gros culs. Ben non, pas du tout », affirme-t-il, presque en rappant. En 2007, il décide de rejoindre son père souffrant à Ibiza. Puis, épanoui par le bon-vivre de l’île, choisit d’y rester. « Ça correspond tout à fait à ce que je recherche. La vie est super douce. Je vais voir les paysans, je vais cueillir mes asperges et je nettoie la plage tous les dimanches matins. »
« J'ai envie de pouvoir faire écouter ma musique à mes enfants »
Avant de s’établir sur l’archipel des Baléares, Guts avait déjà cultivé une certaine idée du bonheur. Son premier album s’intitule Guts le bienheureux. « C’est ma nature. Ma mère m’a éduqué comme ça, à la coule », précise-t-il comme une évidence, les bras écartés. Une éducation qu’il entretient en se réappropriant une philosophie découverte au Costa-Rica. « La Pura Vida ! J’ai adoré le délire. Quand les mecs se saluent là-bas, ils se disent ça pour se souhaiter bonne journée. J’y ai trouvé un côté hyper harmonieux. » La traduction artistique ? Un morceau intitulé « And the living is easy » ou ces compilations labélisée « Beach Digging » et lancées avec son graphiste et ami, Mambo. « On est partis du principe que ces compilations étaient faites pour te mettre bien. Qu’elle te donne envie de faire l’amour ou d’inviter un pote à boire un coup. Des trucs simples, des vrais trucs. »
Guts avec Patrice- « Want It Back » (2014)
Rares sont les artistes qui se soucient autant du bien-être de leurs auditeurs. Lui, se préoccupe en plus de ce qu’il laissera à ses enfants : « J’ai envie de pouvoir leur faire écouter ma musique ». Toujours en vivant heureux, toujours en vivant caché.