Gouvernement Cameron : les ministres à l'abattoir
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Emmanuel GrosLe dernier remaniement de David Cameron s'apparente à un véritable carnage ministériel : exit l'homme blanc d'âge moyen, le parti s'est féminisé afin de dépoussiérer son image. Un bidouillage qui a mené à la nomination d'un eurosceptique aux Affaires étrangères, d’une ministre de l’Égalité contre l’égalité des droits, et d’une ministre de l’Environnement anti énergies vertes.
La presse a qualifié ce remaniement de « massacre des modérés », ou encore de « purge sanglante ». Pour ma part, j’aime imaginer une file de quinquagénaires issus de la petite bourgeoisie blanche, tous rassemblés contre leur gré, traînant les pieds d’un air résigné en direction du 10 Downing Street comme des cochons iraient vers l’abattoir. J’en oublie qu’un jour je deviendrai moi aussi un petit blanc quinquagénaire et bourgeois.
L’un d’eux a pourtant échappé à la boucherie : Philip Hammond, nouveau ministre des Affaires étrangères et eurosceptique assumé. Au QG des conservateurs, on l’appelle affectueusement « Big Phil ». Je n’ai pas pu confirmer l'information concernant sa taille. À moins que ce surnom ne soit un hommage à son homonyme, Big Phil Mitchell, le personnage drogué et alcoolique de la célèbre série britannique Eastenders. Philip Hammond, lui, ne fume pas de crack. En revanche, il préconise la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. On peut se demander ce qui est préférable : une personne qui boussille sa santé en se défonçant au crack, ou un ministre qui souhaite sortir de l’UE, bousillant ainsi la santé de son pays tout entier ?
Aux yeux de David Cameron en tout cas, un fervent eurosceptique serait la personne idéale pour renégocier les termes de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’UE avant un référendum en 2017. Si l’on me demandait mon avis, je dirais qu’envoyer Big Phil pour recoller les morceaux entre le Royaume-Uni et l’Europe, alors que la situation est déjà sérieusement envenimée, reviendrait à uriner en plein milieu d’un ouragan. Le chef du gouvernement britannique s’est déjà attiré l’hostilité des dirigeants européens en s’alliant au Premier ministre nationaliste d’extrême droite hongrois Viktor Orban pour s’opposer à la candidature de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission. Nommer un eurosceptique en charge de la politique étrangère revient à remuer de nouveau le couteau dans la plaie, ce qui ne présage rien de bon pour l’avenir du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne.
DES CLASSEURS PLEINS DE FEMMES
Avant le remaniement, seules 3 ministres sur 22 étaient des femmes - en France, le rapport est de 17 pour 34. En portant à 6 le nombre de femmes ministres, le remaniement visait ainsi à remédier à ce déséquilibre qui s'avérait toxique pour les conservateurs. Certains voient dans cette mesure un important symbole, « un signe pour la société toute entière que les femmes sont toutes aussi compétentes, capables et ambitieuses que les hommes à des postes de hautes responsabilités… Pour réussir, il faut des modèles ». D’autres jettent un regard critique sur ces promotions de dernière minute, les qualifiant de « purement symboliques, et un brin misogynes ». Cameron : un Mitt Romney en plus convainquant ? On se souvient en effet que ce dernier avait désespérément brandi ses « classeurs pleins de femmes » pour affirmer son engagement envers la parité avant l’élection américaine.
Si cette parité homme femme doit dépasser le stade du symbole, ses enjeux doivent quant à eux dépasser la perspective d’une simple victoire électorale. C’est en effet un sujet qui relève de la démocratie représentative et la représentation est un point capital car il serait naïf de faire confiance aux ministres pour se mettre dans la peau des électeurs. Rien de bien surprenant à ce qu’un ministère composé à 86 % d’hommes ait concocté une série de coupes budgétaires qui ont touché en priorité les femmes.
Qui sont donc ces femmes que Cameron a dégainées de son classeur ? Les nouvelles ministres sont respectivement Liz Truss, ministre de l’Environnement et anti-écologie (elle a notamment travaillé pour Shell et s’oppose aux énergies renouvelables), Nick Morgan, ministre de l’Égalité qui s’affiche contre l’égalité des droits, et Priti Patel, ministre du Budget ainsi que favorable à la restauration de la peine de mort.
GOODBYE GOVE, GOOD MORNING MORGAN
Nicky Morgan a remplacé le très impopulaire Michael Gove au poste de secrétaire d’État à l’éducation (22 % seulement de cote de popularité). Difficile à comprendre, sa nomination a fait polémique au Royaume-Uni. Selon The Guardian, le principal atout de Mme Morgan pour le poste réside tout simplement dans le fait qu’« elle n’est pas Michael Gove ».
À l'origine, Nicky Morgan devait remplacer Maria Miller au ministère des Femmes et des Égalités après l’élimination de cette dernière en avril dernier, de la même manière qu’un certain dossier pédophile incendiaire. Toutefois, confier à Mme Morgan l'agenda sur l'égalité se serait avéré périlleux, alors qu'elle s’était prononcée auparavant en faveur d'une restriction du droit à l’avortement et contre le mariage pour tous. Plutôt que de lui préférer quelqu’un justifiant d’une réelle expérience dans le domaine de la lutte pour l’égalité, Cameron a réglé cet épineux problème en divisant le poste en deux : c’est ainsi que Sajid Javid a été nommé ministre de l’Égalité, et que Nicky Morgan est devenue son ministre des Femmes. Résultat douteux : Morgan devient la toute première « ministre des Femmes » à exercer sous l’autorité d’un homme.
En ce qui concerne son rôle de secrétaire à l’Éducation, force est de constater qu’elle présente peu de points forts, alors que ses lacunes sont nombreuses. Elle s’est notamment prononcée en faveur de la suppression de l’EMA (pour Educational Maintenance Allowance, une bourse destinée à aider les élèves défavorisés de 16 à 18 ans à rester dans le système éducatif, ndlr) et n'a aucune expérience dans le domaine de l'éducation. Par ailleurs, elle connaît mal les établissements publics qu’elle s’apprête à avoir sous sa charge, puisqu’elle a suivi toute sa scolarité dans le secteur privé. Il faut ajouter qu'elle a voté contre l’égalité des droits pour les homosexuels, à un moment où les écoles britanniques luttent pour éradiquer les discriminations. Mais encore une fois, et c’est là son gros atout, elle n’est pas Michael Gove…
Bien que les caricatures soient toujours plus amusantes que les portraits trop justes, j’ai souhaité penser plus loin que le bout de mon nez et j’ai réfléchi... Ce n’était pas une décision délibérée. Je me suis entretenu avec un enseignant en fin de carrière, certain qu’il allait me répéter avec enthousiasme : Gove is gone ! (« Gove est parti ! », ndt), un cri de joie que je pensais partagé par tous – c’est en tout cas ce qu’on m’avait laissé croire. Ses propos m’ont prouvé que les journalistes peuvent être tout aussi cruels et détachés de la réalité que les politiciens qu’ils descendent en flèches pour les mêmes raisons.
« Pour moi, Gove était efficace et honnête, parce que c’était un "loup déguisé en loup", c’est-à-dire qu’avec lui on savait tous à quoi s’attendre ! », m’a expliqué l’enseignant, qui a souhaité garder l’anonymat. « Même s’il n’a pas forcément amélioré la situation des enseignants, il n’a pas cédé, il a créé des universités et de manière générale il a ouvert le débat sur l’éducation dans le cadre d’une politique gouvernementale touchée par l'austérité. » Pour ce qui est de Nick Morgan, il attend de voir pour juger. Retenons donc de cet entretien que certes, jeter d’énormes boules puantes sur les politiciens est une activité amusante, mais qu'il faut tout de même rester objectif quant au véritable travail de ces ministres.
Enfin, il faut souligner que les Tories ont mis fin à un siècle de pogonophobie : Stephen Crabb est devenu le premier ministre conservateur depuis 1905 à porter la barbe. Une belle journée pour l’égalité. Le Front de Libération de la Barbe espère qu’« il s’agit là d’un signe de la part du Premier ministre, qui doit enfin entendre notre message : arrêtons les coupes » ! Tout comme le duvet de poils que Stephen Crabb entretient méticuleusement, ce remaniement comporte une dimension essentiellement esthétique. On ne peut reprocher à Cameron de jouer sur l’image de son parti, mais congédier d’importants ministres en plein milieu de réformes complexes est-il bien raisonnable ?
Translated from Cameron's Cull: Reshuffled off this mortal coil