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Gentrification toi-même

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Berlin

Dans un billet précédent (en allemand), ma collègue Christiane témoignait du phénomène de gentrification à Berlin. J'ai voulu répondre à ce premier article à travers le post suivant sur le blog Electorallemand : Mais qu'est-ce que la gentrification ? N'importe quel nouveau venu à Berlin se trouve un jour confronté à ce terme a priori rebutant.

Dans la capitale allemande en effet, la gentrification est visible à chaque coin de rue.

Pourquoi un post sur la gentrification - Gentrifizierung en allemand ? Parce que lors d'une réunion de rédaction récente de Café Babel, le thème est venu sur la table et ma collègue Christiane Lötsch a publié un excellent témoignage sur le sujet. Parce que le quotidien berlinois TAZ a publié une très bonne série sur le sujet et le Tagesspiegel a repris des photos saisissantes de l'évolution de Berlin. Je me suis dit qu'il serait donc bon aussi de présenter ce phénomène en français.

C'est là que tout a commencé

La gentrification (que les Berlinois nomment parfois Yuppisierung ce qui est assez drôle en fait) est un processus d'évolution urbaine. Pour essayer de le résumer, mettons-nous en situation :

  • D'abord, il faut un quartier tout pourri mais de préférence situé en centre-ville. A Berlin, ça tombe bien, ça concernait quasiment toute la partie Est juste après la chute du Mur.

  • Qui dit quartier tout pourri, dit loyers peu élevés. Qui dit loyers peu élevés dit installation de ceux qui ont peu d'argent. Qui ça ? Les étudiants, les artistes, etc.. Le quartier est classé alternatif, bien à gauche.

  • Les étudiants étudient. Les artistes artistent. Et gagnent de l'argent. Les investisseurs immobilier sentent le bon filon, rénovent les immeubles et font augmenter les loyers. Le quartier passe d'alternatif à branché (vous noterez la métaphore filée électrique en passant).

  • Ceux qui ont de l'argent (les anciens étudiants qui travaillent désormais, les artistes qui exposent désormais et surtout les plutôt riches venus de l'extérieur) sont les seuls à encore pouvoir encore habiter dans ce quartier. Les magasins s'adaptent à cette nouvelle population : Bienvenue à Starbuck Coffee et son café macchiato, Hugo Boss et plein de petits-magasins-trop-choux-vraiment-super-agréables.

  • Le quartier est inabordable pour les jeunes étudiants et artistes qui sont gentiment priés de quitter les lieux (ah, l'argument du porte-monnaie) pour aller gentrifier un autre quartier.

    Hackescher Markt et Prenzlauer Berg déjà perdus

A Berlin, il est plus ou moins facile de déterminer quel quartier a atteint quel stade de gentification. Le Hackescher Markt est déjà à l'étape ultime, celle du schiky-micky. Prenzlauer Berg est devenu une caricature de quartier avec tous-ses-petits-magasins-et-ses-petits-cafés-sympa (il faut prendre une voix fleur bleue pour prononcer tout ça en une seule respiration). La Kollwitz Platz par exemple est érigée en symbole de boboïsation. Ici c'est le paradis (ou l'enfer, tout ça es relatif) pour les petits-bouts-de-choux-trop-mignons-dans-leurs-poucettes-à-1500-euros (prononcer toujours avec la même voix).

Neukölln et Wedding, prochains sur la liste ?

D'autres "Kiez" de Berlin se rapprochent de ce sommum : le coin Simon-Dach-Strasse dans Friedrichshain, à un moindre niveau Kreuzberg (v. photo du squat de Köpi) et son Kreuzkölln (rien que le nom mélange de Kreuzberg et Neukölln n'annonce rien de bon). Neukölln, que l'on me présentait comme une zone de non-droit au moment où je suis arrivé (en 2006 une éternité) attire désormais de plus en plus d'étudiants et artistes. Mais là, il faudra que beaucoup d'eau passent sous les ponts de la Spree avant que le quartier soit gentrifié. Quant à Wedding, le quartier rouge et ouvrier, je vous préviendrai de l'intérieur quand il se gentrifiera mais a priori ça va durer aussi. Après, il sera toujours temps de fuir vers Marzahn ou Lichtenberg !

Dans ma Benz, Benz, Benz

Il ne faut pas croire que les Berlinois se laissent faire. Les innombrables incendies de grosses voitures dans les quartiers de Prenzlauer Berg, de Friedrichshain ou Kreuzberg sont là pour montrer aux nouveaux venus et à leurs Mercedes qu'ils ne sont pas en terrain conquis. Mais une fois l'article de presse et l'assurance passés, on oublie et on recommence.

A quand un Berlin intra-muros ?

Question de fond donc : Berlin, à l'identité urbaine si particulière risque-t-elle de finir comme Paris (le cauchemar de tous les Français exilés) ? Avec un centre ville inabordable et tout le reste de la population repoussé en banlieue. La "banlieue", un terme qui ne correspond presque à rien à Berlin mais, qui sait, peut-être qu'un jour le Ring-Bahn (ligne RER qui fait le tour de Berlin) servirait à délimiter la petite couronne berlinoise ? Gentrification quand tu nous tiens.

Pour suivre l'actualité à Berlin et en Allemagne : le blog Electorallemand