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Génération(s) Sida

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Société

Comme chaque année, le 1er décembre a lieu la journée mondiale contre le Sida. L’occasion de revenir sur une maladie hors normes qui a décimé plus de 25 millions d’individus en moins de trente ans.

Les « 2863 personnes mortes » au World Trade center face aux « 40 millions infectés par le VIH dans le monde ». « Le monde s’unit contre le terrorisme, il devrait s’unir aussi contre le Sida », annonce une campagne de publicité censurée par le gouvernement américain. La lutte contre le Sida, peut-être victime de son succès, semble se tasser en Europe occidentale. On constate une recrudescence des pratiques sexuelles non protégées. C’est vrai chez les populations homosexuelles ou resurgissent massivement les pratiques « bareback », volontairement non protégées entre partenaires ayant le même statut sérologique ou y étant simplement indifférents. Mais ce n’est pas moins vrai chez les hétérosexuels : « Beaucoup, parce qu’ils se considèrent de bonne mœurs, s’imaginent au dessus de tout soupçon, confie le Dr Lanzmann, à tort : le VIH n’est pas sensible aux arguments moraux. » Ainsi ceux dont le taux de contamination croît le plus rapidement sont les femmes hétérosexuelles qui ont moins de trente ans.

L’une des raisons principales de ces conduites à risques tient à un fait historique assez simple : les jeunes générations n’ont eu une perception de la sexualité qu’ombragée par la crainte de la contamination et ont souvent dû accepter les moyens de contraception (en premier lieu le préservatif) comme un statu quo. A l’inverse, ceux qui ont connu les premières contagions, la découverte du virus, et quelques années plus tard, les disparitions massives des séropositifs se protègent d’autant mieux qu’ils savent ce à quoi ils ont survécu. Mais ces deux générations que deux ou trois décennies séparent n’ont que rarement l’occasion d’évoquer les années sombres du Sida.

Le mythe du « cancer gay »

« A cette époque, dans le ‘milieu’, c’était quasiment un enterrement par semaine »

SIDACTION « Dans le monde, une personne meurt du Sida toutes les dix secondes ».Apparu aux Etats-Unis au début des années 1970, il a fallu aux chercheurs un certain temps pour déterminer qu’il s’agissait d’un virus. Cette période d’incertitude (on croyait alors la maladie liée aux inhalations de poppers) associée au fait que les premiers touchés furent des homosexuels, a favorisé la thèse du « cancer gay ». On n’était pas loin d’y voir une punition divine, surtout dans une Amérique traditionnelle qui se heurtait aux premières luttes pour la reconnaissance des droits civiques, homosexuels notamment, et dont Harvey Milk fut un précurseur.

Deux attitudes contradictoires apparaissent : certains sont pris d’une véritable psychose vis-à-vis de cette maladie inconnue. Fin des partenaires multiples, fin des pratiques dites à risque voire abstinence totale : « J’étais encore vierge à cette époque, avoue Franjo (Croatie), mais le Sida a retardé de dix ans mon entrée dans la vie sexuelle. » A l’opposé, une frange de la population n’a rien changé à ses pratiques, refusant d’utiliser les préservatifs. Dans les années 1980, des campagnes ont essayé de trouver une voie médiane : « On expliquait aux gens que ce n’était pas dangereux de tenir la main à un séropositif, explique Caspar (Danemark), ni de boire dans le même verre qu’eux. »

En 1983, une équipe française de l’Institut Pasteur, sous la direction de Luc Montagner, découvrent le rétrovirus agent causal du Sida et parviennent à mettre au point un test de diagnostic sérologique. En dépit des progrès médicaux, les traitements restent partiels (la trithérapie) et interviennent souvent trop tard. Des décès massifs surviennent au milieu des années 1990 : « J’ai perdu une partie de mes amis en 1995-1996, morts du Sida, raconte Benoît de Belgique, et pourtant ils n’étaient pas gays… » Léon vivait en Auvergne en ménage avec deux autres garçons : « De tous les trois, je suis le seul à avoir survécu. A cette époque, dans le ‘milieu’, c’était quasiment un enterrement par semaine. »

L’invisible pandémie 

« J’ai transmis le Sida a au moins un de mes partenaires (mais c’est de leur faute, ils n’avaient qu’à insister pour la capote) »

Aujourd’hui le rapport au Sida s’est d’autant plus complexifié que s’il reste mortel, les trithérapies assurent une espérance de vie qui peut s’élever jusqu’à 35 ans. « Je suis séropositif depuis 1986, je me suis soigné et aujourd’hui le virus est indétectable, confie le bulgare Vacliz, mais mon ami est mort du Sida en 1998. » Le grand progrès des traitements est d’avoir quasiment fait disparaitre les manifestations cliniques de la maladie. Le Sida est devenue une pandémie invisible et pour autant le respect des droit des séropositifs reste un enjeu central. Une minorité d’entre eux conservent pourtant des attitudes de déni voire ouvertement criminelles. Sur Facebook, le groupe « J’ai transmis le Sida a au moins un de mes partenaires (mais c’est de leur faute, ils n’avaient qu’à insister pour la capote) », regroupe plus de 800 personnes, suscitant l’indignation et la colère des autres internautes. 

Pourtant, les petits progrès médicaux donnent l’impression que l’élaboration d’un vaccin thérapeutique est proche, suscitant l’enthousiasme de la presse (« Enfin un vaccin pour les malades du SIDA ! » dans Le Parisien du 12 février 2009). Mais ces effets d’annonce sont d’autant plus pernicieux qu’ils entraînent une baisse de vigilance : « Tu ne meurs plus du Sida aujourd’hui si tu prends le traitement adapté », se berne l’allemand Marcus. Le Sida pourtant tue encore 5 700 personnes par jour et la remise du Prix Nobel de médecine aux chercheurs de l’institut Pasteur travaillant sur le VIH, le 6 octobre 2008, montre son étonnante actualité. 

L'auteur de ce texte est membre de cafebabel.com àClermont-Ferrand.