Générations... - Franck Saurel (ùmido)
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Voici quelques mots....la suite.
Générations. Le passé, le présent et le futur. Une grand-mère, ses fils et son petit fils.... Du temps. Deux jours ont passé depuis ces photos prises au camp de Jénine et ces images me hantent. Il faisait chaud, le soleil était à son zénith et sa lumière rendait les murs d'un blanc aveuglant.
Le camp semblait s'être endormie, assommé par les températures accablantes de ce début d'après midi. Quelques oliviers poussaient à proximité de la rue principale du camp qui monte et vient épouser les flans d'une colline. Les vestiges de la Seconde Intifada et de l'opération rempart me sautent aux yeux. Un mausolée, un immense cimeterre à l'échelle d'un quartier et un vide effrayant....le moindre pas soulève une poussière étouffante, le moindre regard se pause sur une vision étouffante et.... les fantômes sont tous autour de moi. Ils prennent formes sur ces affiches collées aux murs de chaque ruelle, chaque maison, parfois même sur des panneaux suspendues au toit et couvrant un espace du ciel. Ils pausent en costume de guerre, sur fond de lumière, de couleurs, entourés d'un halo blanc les Armes à la main. Il faisait chaud...les gouttes de sueur brulaient mon regard, dans une rue 30 soldats israéliens ont perdus la vie dans une maison piégée...UNE VICTOIRE ? Il faisait chaud...mon crâne suppliait une ombre, un souffle frais.
Une voiture criblée de balle, les vitres explosées et les portières démolies témoigne dans la cour d'une maison dans le même état. Des hommes, des femmes et des enfants palestiniens ont perdu la vie dans ces murs, sur ces sièges....UNE VICTOIRE ? Il faisait chaud...les larmes coulent, le sel me pique le visage, je suis en nage....une pause, une vraie pause, mon coeur la veut, la paix. Je me tais pendant de longues minutes, j'essaie de calmer mon rythme sanguin, ce flux et ce reflux de liquide envahissant mon corps d'un mouvement régulièrement chaotique, telles mes émotions ce jours là....Taisez vous....TOUS. Je ferme les yeux, un flot de larmes m'envahie, lutter devient impossible et je m'abandonne à ce sentiment d'impuissance... je dois continuer.
Une petite échaupe, regroupés dans un coin du magasin une femme âgée, ses deux fils et leurs enfants nous regardent d'un air plus qu'interrogateur. La femme est vêtue d'une robe et d'un voile blancs, elle sourie. Son histoire est celle de tous les réfugiés du camp de Jénine, elle vivait en Israël jusqu'à ce que les colons s'installent, l'expulsent et lui interdisent de revenir....1948. Il n'y avait que des tentes à cette époque. Elle veut revivre là où elle est née, où ses parents sont nés....retourner à ses racines. Je comprends. Ses deux fils âgés d'une trentaine d'année sont prés d'elle, ils tiennent le magasin. L'un se tient devant moi, le regard dure mais il est avenant. Il me demande une clope et nous finissons sur le palier à fumer à l'ombre d'une tonnelle. "Je viens de France....Paris...", "Oh Paris....OK." il plonge son regard dans le mien, il s'avance à quelques centimètres de mon visage et me murmure "I come with you...", lui il veut partir. Je comprends. Son frère est assis sur une natte, son fils dans les bras. Il nous raconte l'histoire de ce pays, de cette ville, de ce camp et de cette rue....et merde encore. Il a perdu ses doigts de la main gauche lors de la Première Intifada, la Seconde lui enlèvera son bras droit et sa jambe dans une explosion. Mes yeux croisent ses enfants, sa fille et son fils me regardent d'un air interrogateur, d'une douce intensité, ouverts sur le monde, ce regard d'enfant, innocent, tout simplement. J'avais devant moi l'histoire du conflit toute entière, ce qu'il a été, ce qu'il est et ce qu'il sera. Le père nous raconte qu'une fois à l'hôpital, les médecins lui annoncent qu'en plus d'être amputé il ne pourra plus avoir d'enfants....quelques mois plus tard, contre l'avis des uns et le fatalisme des autres, il appellera ces médecins pour leur annoncer que son fils était né entier et en parfaite santé...Une victoire, une vraie. Il existe une fleur ici que les arabes appellent "leilat all k'drr",elle s'épanouit et elle livre ses parfums qu'au coeur de la nuit...
Leila saida.
Franck Saurel (ùmido)