Génération sans frontières : le futur de Schengen après Paris
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Elodie RedLes récents attentats dévastateurs à Paris n'ont fait qu'ajouter à l'incertitude qui entoure l'espace Schengen. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a récemment évoqué la nécessité de sauver le projet comme une « course contre la montre ». Alors que les contrôles aux frontières se renforcent sur tout le continent, n'oublions pas les avantages de ce qui a déjà été accompli.
Pendant 23 ans, j'ai eu la chance de ne jamais trop connaître de problèmes avec les frontières. Le hasard de mon lieu de naissance m'a permis d'être parmi les vainqueurs de la lotterie du passeport, en tant que citoyen de l'Union européenne dont les valeurs intrinsèques comprennent la libre circulation des gens et des travailleurs. Partout sur le continent, a grandi une génération de jeunes gens pour qui les frontières de l'Europe ne sont pas un obstacle.
Des réactions borderline
Suite aux évènements tragiques survenus le week-end dernier dans la capitale française, le problème des frontières - déjà débattu pendant la crise des réfugiés - est revenu sur le devant de la scène internationale. L'une des premières mesures qu'a prises François Hollande après les attaques a été de réinstaurer le contrôle des passeports aux frontières françaises. Il réclame désormais des mesures renforcées partout en Europe. De nombreux journaux britanniques ont choisi de mettre en une, non pas des images montrant le chagrin des Parisiens, mais les photos des terroristes ou des appels à renforcer les contrôles aux frontières, soulignant dans certains cas les supposés liens des terroristes avec les itinéraires empruntés par les réfugiés de Syrie.
Bien sûr, comme toujours, le débat oppose deux points de vue. Il y a ceux qui appellent à un effort solidaire, à l'intérieur de l'Europe et au-delà, afin d'apporter la réaction appropriée à la tragédie. Martin Schulz, président du Parlement européen, a affirmé dans un discours prononcé à la suite des attaques de Paris : « Si les 28 membres de l'Union européenne sont solidaires, nous sommes forts. Divisés, nous sommes faibles ». Cependant, son point de vue est loin d'être partagé par tous. De nombreux États de l'espace Schengen avaient déjà mis en place des contrôles de sécurité renforcés bien avant les attentats de Paris. Parmi eux : la Hongrie, la Slovénie, l'Allemagne, l'Autriche et la Suéde.
C'est exactement ce type de division et de peur que le terrorisme cherche à promouvoir. L'espace Schengen garantit la protection des droits de tous ses citoyens - le droit à une maison, à un travail et à une vie de famille. Ceux qui appellent au renforcement des contrôles aux frontières appellent également à une réduction de leurs propres droits. Des droits dont ils n'ont pas conscience de la fragilité jusqu'à ce qu'ils leur soient retirés.
Ne pas oublier les acquis de notre génération
En tant que citoyen britannique, les voyages au coeur de Schengen ont marqué nombre des moments importants de ma vie. Après leur divorce, mes parents m'ont chacun trimballé pour des aventures de réconciliation. À 18 ans, j'ai participé au grand rite de passage de tout adolescent européen, le voyage en Interrail, traversant 7 pays sans jamais sortir mon passeport. Aujourd'hui, je vis et travaille dans un pays dont je ne suis pas citoyen, sans avoir eu à demander un visa. Rien de tout cela ne serait possible sans les idéaux de la liberté de circulation.
J'étais également au coeur de l'espace Schengen lorsque j'ai rencontré mes premières difficultés aux frontières. Revenant de Berlin une semaine après mon mariage, ma femme américaine s'est vu refuser l'entrée au Royaume-Uni, à l'aéroport d'Heathrow. Maintenant, grâce aux lois d'immigration européenne, je peux vivre avec elle en France.
Le problème avec le fait de vivre dans une ère de libre circulation, c'est qu'on ne s'attend à ce que de tels problèmes vous touchent. Il est difficile de comprendre les difficultés liées à la traversée des frontières, surtout dans le cas de danger de mort, quand vous n'avez jamais rencontré de telles difficultés vous-mêmes. Ayant été à Paris pendant les tragiques évènements du 13 novembre 2015, ayant vu de mes propres yeux l'expression d'hommages et de solidarité venus des quatre coins du continent, je suis encore plus reconnaissant des frontières ouvertes de Schengen.
Utiliser les actions d'une poignée de gens sans pitié pour condamner un projet qui a permis à toute une génération de jeunes européens d'être plus ouverts, plus sensibles à la culture, plus accueillants envers ceux qui fuient l'oppression, c'est jouer le jeu de la même idéologie de la terreur que l'on déplore.
Démonter l'espace Schengen, même de manière partielle, ne permettra en rien d'empêcher une future activité terroriste potentielle en Europe, cela ne fera qu'ajouter à une atmosphère de peur et d'intolérance qui nourrit une telle radicalisation. C'est précisément l'objectif de ceux qui veulent faire avancer leur agenda politique en reliant la crise des réfugiés aux évènements de Paris. C'est aussi l'un des objectifs de Daech, comme l'a prouvé la découverte d'un faux passeport syrien sur les lieux du massacre.
La plupart des terroristes ayant pris part aux attaques étaient des citoyens européens. Prétendre le contraire, faire peur aux gens jusqu'à ce qu'ils croient que la terreur est un problème complètement extérieur, les persuader que la fermeture des frontières de l'Europe permettra de les garder en sécurité - tout cela ne fait que servir les intérêts des auteurs des attaques.
Les frontières ouvertes de l'Europe, et la liberté de circulation, sont un hommage exceptionnel aux idéaux de liberté, d'inclusion et d'égalité - des idéaux que l'extrémisme veut détruire. Retourner aux froides et familières étreintes du nationalisme et de la souveraineté c'est faire un pas en arrière, et nous ne pouvons nous le permettre. Nous ne devons pas laisser ces attaques réussir à anéantir les progrès qui ont déjà été faits.
Martin Schulz, président du Parlement européen, donne un discours à la suite des attaques terroristes de Paris du 13 novembre 2015.
Translated from A generation without borders: Schengen’s future after Paris