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Gallagher est déclaré : l’avenir du rock

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La Parisienne

La nostalgie, un vilain mot. Enfin, ça dépend pour qui. Moi, perso, ça m’agace. M’excuser à mon âge de vivre dans une époque atone parce qu’elle ne serait que l’ersatz d’une décennie passée a quelque chose de foutrement alogique.

Ressasser les fastes d’une tranche de vie que l’on n’a jamais vécue, parler des années 50-60-70 comme d’une année zéro, réhabiliter un calendrier christique en pleine moitié du 20ème siècle est un sujet sur lequel tous les étudiants en philosophie devraient plancher. Je ne m’attaque pas là frontalement à une digression métaphysique (problème de légitimité, de maturité aussi) mais je reprends le canevas que beaucoup d’autres ont esquissé : celui d’une réflexion existentielle sur la création musicale en général, celle du rock en particulier.

My chère generation, reprenez votre souffle. La nostalgie indigne d’être vécue obéit beaucoup plus aux lacunes que l’on comble qu’à l’impression de vacuité de notre temps. Partons du simple postulat que notre devoir de mémoire sur la musique ait été assimilé et regardons les fuites en avant qui ont été proposées. Toutes, en ce qui concerne la musique, ont été calquées sur le modèle-bègue du « c’était mieux avant ». Autrement dit, rien ne peut plus être fait sans que la moindre création ne soit directement condamnée à l’exégèse. Lapalissade hein ? Oui mais la vraie question serait alors de savoir comment on peut s’émanciper d’une théorie qui ne ferait du bien qu’à ceux qui n’ont pas encore digéré « ce qui a été fait avant » et qui donc seraient affranchis d’une très probable comparaison. Mieux, la vraie question serait plutôt de savoir si quelqu’un qui n’a jamais écouté 4 albums différents des Stones (90% des jeunes entre 18 et 25 ans selon une estimation subjective) serait plus à même d’apprécier les productions de l’époque actuelle. Encore mieux, la vraie question serait surtout de savoir si quelqu’un qui n’a jamais écouté 4 albums différents des Stones (allez 85% en fait) soit capable de déplacer le curseur de l’an 0, 20 ou 30 ans après, de manière à ce que les groupes musicaux d’aujourd’hui prennent comme piédestal les productions d’une époque (plus) récente. Après tout, pourquoi serais-je obligé d’écouter The Rolling Stones pour apprécier la musique d’aujourd’hui ?

Le problème, chérie, c’est que je ne crois pas un mot de ce que je viens de dire. Les Stones, sont selon moi, le plus grand groupe de tous les temps dans ce que tout le rock a d’ectoplasmique. Je ne parle pas que de musique, donc. D’esprit, de dimension, de calibre, d’aura, de SATYAGRAHA mon pote. Mais l’autre problème c’est que je crois avoir été conditionné par une communauté qui le pensait avant moi et que je suis donc le rejeton d’un formidable aréopage de passeurs (tous ces gens qui ergotent formidablement bien sur la musique en général, le rock en particulier) dont les subjectivités mutualisées ont conduit à fomenter, au plus profond de ma CATALEPSIE, une inénarrable objectivité.

C’est terrible. C’est terrible parce que j’en viens à idolâtrer des gens dont le premier membre est mort 20 ans avant ma naissance (Brian). Terrible parce que j’éprouve une attirance profonde pour des personnes dont je n’ai connu la moindre ascension. Et le pire, c’est que je continue à lire les histoires de ceux qui les ont approchés - goulûment - avec la même soif d’apprendre. Seulement voilà, j’ai l’impression de converser avec le vide. Je n’ai même pas de madeleine de Proust pour me rappeler comment le groupe était dilué dans mon adulescence. Tout ce que je peux calquer sur leur musique, c’est une patate douce enveloppée dans un bandana (Keith) et un grand zygomatique sur un corps d’enfant-malade (Mick). La vérité est donc bel et bien triste à dire. Aigrie aussi quand il consiste à affirmer que l’époque (mot qui revient 45 fois dans l’article et qui a donc son importance) ne se prête plus aux héros. Les Rolling Stones ont fêté leurs 50 ans le mois dernier, putain !

Dans cette énergie molle et pastichée que l’on connaît aujourd’hui, il s’agit donc d’ériger un « mortel » - pour reprendre l’expression d’un célèbre rock-critic américain - au rang de « surhomme ». Je vous passerai mes impressions sur la situation du rock actuel parce que j’aimerais bien que quelqu’un d’autre que moi parvienne jusqu’au point final. Voilà je vous sers le truc aussi connement qu’il m’est apparu. Le weekend dernier, j’étais à Rock en Seine – festival qui s’il en est participe quand même grandement à l’effervescence du vide que nous connaissons mais dont je n’ai pas voulu parler – et j’ai assisté au concert de Noel Gallagher.

Alors avant de vous faire bondir, enfin à ce stade-là du papier je peux peut-être te tutoyer, sache que :

a)    Je n’avais rien à foutre d’Oasis dans les années 90, trop occupé à m’empiffrer des  phases de la génération Fonky-Tacchini.

b)    Je n’ai toujours pas écouté le moindre album d’Oasis en entier, trop occupé à combler mes lacunes sur des trucs quand même beaucoup plus importants.

c)    Je n’ai pas écouté le moindre titre du premier album des Noel Gallagher’s High Flying Birds (le nom quand on le traduit est parfaitement ridicule tout comme du coup, le titre de l’album) si ce n’est le single inaugural qui en est issu à savoir « The Death of You and Me » qui est un bon morceau agrémenté d’un très bon clip. Je connaissais quand même « Whatever », réactivé dans mon inconscient musical par une pub Crédit Agricole et « Dont’Look Back in Anger ». Deux titres que Noel a interprétés pendant le concert. Deux titres qui ont été enregistrés sous le nom d’Oasis mais que l’ancien guitariste-compositeur du groupe a écrit tout seul.

d)    Je me foutais allégrement de la présence de Noel Gallagher au festival avant de me retrouver à ce concert.

Selon une philosophie mercantile bien connu des enfants de nouveau millénaire, c’est donc bien dans une tête vide que l’on fait rentrer le plus de choses. Mon cerveau complètement disponible, je m’apprêtais donc à finir ma roulée sur 10 à 15 minutes maxi de bavardages musicaux puis je comptais vaquer à la charmante bibliothèque-rock que la ville de Saint-Cloud avait dressée pour l’occasion. 1h15 plus tard, j’étais bel et bien à la bibliothèque mais en train de rédiger sous la pression des émotions impromptues l’ébauche de ce que tu es en train de lire. Le titre ? Un truc comme « Faisons de Noel Gallagher un héros ». L’idée ? « Écrire, une fois n’est pas coutume, sous la coupe de mes impressions et exprimer qu’il est pour l’instant le seul avoir la dimension de la rock star dont nous avons tous besoin. » La sensation avant de la coucher sur le papier ? « C’était un grand moment de rock and roll. » L’impression à l’écriture ? « C’est le truc le plus ridicule que j’ai jamais écrit. »

Bon. Tu as vu, je n’y crois pas trop moi-même. Et pourtant, j’ai rarement pris un truc aussi puissant dans la gueule. Pas le son hein, si tu veux t’éclater la tronche avec des décibels sans la moindre harmonie musicale, The Bloody Beetroots ou – pour rester dans le même registre musical - Stuck in the Sound font ça très bien. Non, je veux parler de tout ce qu’il représentait en termes de dimension. Il faut le crier aussi loin qu’il est un enfoiré, Noel Gallagher a un profond charisme. Oui, oui, bébé. Et ce, même s’il n’a qu’une moitié de front qui tombe sur un regard d’étourneau sansonnet. Ce, même si il a des allures de tube de dentifrice sauvagement comprimé lorsqu’il monte sur scène. Gallagher est un frigo vide hors de scène. C’est un jeu – un côté britpop-provoq-va-te-faire-cuire-un-œuf-coque complètement assumé depuis l’Oasis-mania. Ça on le savait. Ce que l’on - ce que je ne savais pas - c’est combien Papa Noël envoie la buchette lorsqu’il est branché.

Je pense qu’on ne peut pas chambrer Noel Gallagher quand il chante au micro. Comme il ne viendrait jamais à l’esprit du roi du stand-up de faire une vanne sur Dimitar Berbatov. En un sens, il fige. Il glace. Tu la fermes donc et tu regardes. Et qu’est-ce tu vois ? Un mec impeccablement taillé dans un cuir, magnifiquement vouté sur sa guitare en train de faire vrombir les sphincters du plus grand beauf-métalleux à l’amorce du pogo. Lorsqu’il lève un sourcil pour constater combien de bras se lèvent, tu as l’étrange impression que son regard t’est destiné. Pendant ce temps-là, le gazon est chaud, l’air est condensé, tu ne peux penser qu’à la mélodie que tu reçois comme un suppositoire. Ça surprend un petit peu au début, mais ça calme. Noel ne parle pas trop non plus. Il te demande si tu vas bien au bout de 30 min de concerts puis embraie derechef sur un riff diiiiiingue avant même que tu dises « Yeah ». Je pense qu’à l’image de cet immense doigt d’honneur en pur granit que les High Flying Birds avaient méticuleusement pointé en direction du public, Noel n’en a absolument rien à foutre, de toi, de tout (soyons tout de même prudent à l'attention de celui qui a confié au Sunday Express, dimanche, soit après ce concert, que les stars du rock'n'roll comme on a pu les connaitre « allaient mourir » ). En revanche, à l’instar de cette magnifique affiche « You are God » (que je n’avais encore jamais vu si ce n’est à la TV) qui a accompagné la grande majorité de sa prestation, fais un effort s’il te plait. Et aime-le. Essaie de compter sur cette face de pélican tant que nos contemporains sans cervelle ne seront pas capables de nous chier une idée neuve. Essaie de réhabiliter au moins une idole encore potable dans un monde où l’on sert quantité de produits discount, hype et cool. « Et vite, sinon le truc va s’effondrer » comme dirait l’autre qui disait aussi : « la génération qui vient ne vivra pas sur le mythe du cramé toxico » que l’on pourrait remplacer par « le mythe du revival à vau l’eau ». Il faut arrêter, à mon humble avis, de donner une direction à un monde musical qui tourne en rond. Parce qu'aussi incroyable et branlant que cela puisse paraître, je pense que le Mancunien a un potentiel de sens. Et puis, il est vivant, a l’air d’aller pas trop mal (hey Noel, how are you doin' man ?) Noel Gallagher existe, alors chérissons-le ! Adorons-le ! Même si je le vois (façon de parler) se carrer mon torchon dans l’oignon avec le flegme d’un épagneul breton, faisons de ce mec un héros. Une putain de star. Un High Flying Bird.

Photos : Une © Nicolas Jourbard ; Texte © courtoisie du site officiel des Stones ;

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.