Fringe Festival d’Edimbourg 2011 : à vot’ bon cœur ?
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Sophie EhrsamDe prime abord, le Royal Mile d’Edimbourg au mois d’août semble être un lieu joyeusement anarchique et anticonformiste qui rassemble tout ce que le plus grand festival artistique du monde peut offrir.
Mais au bout d’un moment on s’aperçoit que les artistes de rue virevoltants restent toujours à l’endroit qui leur est attribué et que les discours de remerciements après chaque spectacle ressemblent furieusement à ce qu’on appelle de la technique de vente. Et que dire de l’omniprésence des pubs pour le dernier produit de Richard Branson (une marque de cartes de crédit) ?
De fait, la relation entre l’art et l’argent est si tendue qu’il a suffi de quelques autocollants en forme de pénis pour provoquer un tollé général ce mois-ci. Un des comédiens du Fringe Festival a encouragé le public à coller ces autocollants phalliques sur les affiches d’autres spectacles pour faire la pub du sien. Cette technique de marketing a surtout eu pour effet d’attiser les menaces de procès et les controverses en ligne entre comédiens. Celui par qui le scandale est arrivé, un spécialiste des blagues crues au pseudonyme d’un goût douteux, s’est excusé pour cette « bonne grosse farce » dans une déclaration truffée de jeux de mots aussi phalliques que les autocollants. « Les comédiens, des trous du cul sans humour ? » « Certainement pas, affirme le jeune comédien écossais Fern Brady. Cette histoire est le reflet de tout ce qui cloche avec le Fringe : les coûts en termes de marketing, les dettes, l’attitude cynique de ceux qui veulent juste ramasser un paquet de pognon, tout ça.» Mais apparemment, la blague n’a pas profité aux ventes de billets pour le spectacle de cet artiste : il est gratuit.
Il était un festival
Pour aller vite, le Fringe Festival (« festival en marge ») a une relation difficile avec la population locale, la présence croissante de grosses boîtes et les sommes astronomiques qu’il génère (environ 75 million de £ par an pour Édimbourg et l’agglomération). Mais ce n’est pas nouveau. Le Fringe a vu le jour quand huit troupes de théâtre sont arrivées à l’improviste en 1948 au premier Festival international Édimbourg, qui existe toujours et célèbre la « haute culture » traditionnelle, à grand renfort de concerts classiques et d’opéras grandiloquents. Mais, pour troublants et expérimentaux que puissent être ses spectacles, le Fringe n’a jamais vraiment été un théâtre de guérilla. Ce n’est pas la perspective de faire découvrir leurs œuvres expérimentales aux gens d’Edimbourg qui a attiré ici les fameuses huit troupes, mais le désir de mettre à profit la présence de foules immenses attirées par le Festival international.
Il n’y a pas de jury pour déterminer qui se donne en spectacle, mais les frais d’inscription (plus de 300£) ont refoulé suffisamment d’artistes ces dernières années pour que le Fringe engendre en marge son propre « off », qui fonctionne sur le principe suivant : « payez ce que vous pouvez ». Depuis le Forest Café, point de ralliement des activistes et des buveurs de thé écolos, on assure la gestion: on fournit des scènes aux spectacles et des hébergements aux artistes, qui en contrepartie doivent aider là où ils peuvent.
Population locale contre artistes de passage
À l’autre bout de l’échelle, cinq des plus grands spectacles ont choisi leurs propres moyens de chercher des sponsors sous la bannière du Festival de comédie Édimbourg. Ils font encore (tout juste) partie du Fringe Festival, mais la relation est tendue. Certains puristes du Fringe disent « bon débarras ». Selon eux, les comédies (qui représentaient 35% des spectacles au dernier recensement) envahissent le Fringe et prennent trop de place par rapport aux autres formes d’expression artistique. De façon symptomatique, l’un des groupes qui reste en-dehors de ce crêpage de chignons entre artistes, ce sont les gens Édimbourg. Les étudiants de la ville peuvent être embauchés dans les bars du festival, mais les ouvriers qui rénovent les bureaux municipaux du Royal Mile existent dans un monde totalement séparé des artistes de rue. Quand ils se rencontrent, l’un et l’autre groupe se regardent d’un air perplexe.
Édimbourg est certes une ville cosmopolite, mais la rareté des accents écossais dans le public du festival devient préoccupante. Les grands comiques de la télé parviennent à attirer beaucoup de gens du coin, mais les échanges qui ont lieu après les spectacles laissent l’impression d’une absence de racines, comme si on se trouvait un jour lambda dans n’importe quel théâtre branché de Londres. Toutefois, une certitude demeure : quelles que soient les querelles autour de l’argent, Édimbourg continue à offrir tout à la fois un théâtre (y compris comique) exigeant de qualité et de véritables spectacles populaires. Le public peut passer sans transition d’un spectacle du théâtre libre du Belarus (une troupe de Minsk dont les acteurs sont des dissidents persécutés par la police secrète) à un spectacle de l’étoile montante britannique Russell Kane, tête d’affiche qui remplit les plus grandes salles du haut de ses 21 ans. À dire vrai, c’est exactement ce que font bon nombre de spectateurs du Fringe. Jetez donc un coup d’œil à la revue Fest, dont la rubrique « Perfect Day » propose un itinéraire idéal en mêlant habilement spectacles et sites de la ville. C’est bien le mélange des deux qui constitue l’essence du Fringe.
(Photos: Une, (cc) MrGiles/ Flickr; Texte (cc) David McK Flit/ Flickr)
Translated from Edinburgh fringe festival 2011: the problem with passing around the hat