[fre]Une tragédie grecque en développement : le jeu de la Poule Mouillée
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Timothée RoblinUn battement de paupières suffirait à vous faire rater le dénouement. C'est dire à quelle vitesse les évènements concernant la crise grecque s'enchainent ces jours-ci. La semaine dernière, nous étions « à quelques heures d'un accord ». Aujourd'hui, la place de la Grèce au sein la zone euro est compromise. Que se passe-t-il donc exactement ?
La crise de la dette grecque fait rage depuis 2009. Depuis, la Grèce en a vu de belles et entendu de meilleures encore. Les taux de chômage et de pauvreté montent en flèche, des gens mettent fin à leurs jours, pendant que célébrités et responsables politiques tentent de sauver leurs propres intérêts sans se soucier du sort du pays lui-même. Émeutes violentes, manifestations, soulèvements et grèves longue durée sont maintenant monnaie courante dans le pays qui se présente comme le berceau de la civilisation et de la démocratie.
Seulement deux mois après l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement de gauche en janvier 2015, mandaté par le peuple pour renégocier les termes du plan de sauvetage financier et les mesures d'austérité, le Premier ministre grec Alexis Tsipras a cédé devant la pression des créanciers internationaux en faveur d'une extension d'une durée de quatre mois du plan de sauvetage par la zone euro. La Grèce allait devoir affronter un programme chargé de remboursements succesifs au cours des mois à venir, voire même un défaut de paiement, à moins que ses créanciers ne déboursent ces fonds ô combien nécessaires.
Pourtant, à la mi-juin, les évènements ont pris une tournure spectaculaire. La Grèce a réussi à repousser au 30 juin l'échéance des versements destinés au Fonds Monétaire International (FMI) en les regroupant en un seul versement de 1,6 milliard d'euros.
Mais les longues heures de négociation tendue entre les autorités grecques et la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le FMI n'ont mené à rien. Des discours, des sommets et des conseils interminables ont été tenus. Soudain, les médias annonçaient que les discussions allaient aboutir à un accord, pour déclarer l'heure d'après qu'elles avaient échoué. La Grèce et ses créanciers ont échangé plusieurs propositions, celles des Grecs ayant toutes été jugées comme insuffisantes par leurs interlocuteurs. Le ministre des Finances grec Yanis Varoufakis a déclaré qu'il n'avait même pas pu présenter le cas grec lors d'une réunion de l'Eurogroupe.
L'argument principal des créanciers est que les Grecs n'ont pas établi de mesures concrètes de réformes pouvant déboucher sur un accord, tandis que ces derniers qualifient les propositions des institutions de sévères, d'« absurdes » et les assimilent à des mesures de récession qui maintiendraient l'austérité et l'« asservissement » d'un peuple déjà bien appauvri.
Alors que la date fatidique du 30 juin approche, les banques grecques sont maintenues à flot grâce à la BCE, qui n'a cessé d'augmenter le plafond des financements d'urgence (Emergency Liquidity Assistance ou ELA). Pourtant, les retraits de liquidité des banques grecques se multiplient, au fur et à mesure que la peur et l'incertitude assombrissent le ciel d'Athènes.
Vendredi 26 juin 2015 autour de minuit, le Premier ministre grec Alexis Tsipras, à la surprise générale, a annoncé que les propositions avancées par la Troïka feraient l'objet d'un referendum, prévu le dimanche 5 juillet. L'annonce du referendum a eu lieu seulement quelques heures après que le Président du Conseil Européen Donald Tusk aurait prononcé à l'intention de Tsipras la formule "game over”, formule à laquelle Tsipras a répondu en conseillant à son auteur de « ne pas sous-estimer ce que peut accomplir un peuple humilié. »
Il a clairement fait savoir que le gouvernement se prononçait contre ces mesures et a encouragé son peuple à rejeter également ces mesures « absurdes ». Une frénésie médiatique s'est emparée de la Grèce, transformant le referendum portant sur l'acceptation ou le refus des propositions des institutions en simple question P { margin-bottom: 0.21cm; } « Euro ou drachme ? P { margin-bottom: 0.21cm; } ». Les gens se retrouvent classés en deux catégories : ceux pour qui Tispras a fait preuve de courage en soumettant une question aussi importante au vote public, afin de démontrer aux créanciers qu'un pays entier le rejoint dans le rejet de leurs propositions « brutales », et ceux qui voient son action comme une tentative désespérée de cacher que lui et son gouvernement ont échoué à la table des négociations et de se dédouaner de toute responsabilité.
Dès les premières heures de la matinée de samedi, les citoyens grecs se sont précipités devant les distributeurs de billets, les supermarchés et les stations-service dans un contexte de suppositions, d'incertitudes et d'une peur toujours grandissante concernant ce que réservent à leur pays les prochains jours. Tsipras a demandé aux ministres des Finances de la zone euro, réunis en urgence ce samedi, d'accorder à son pays une extension de quelques jours du programme actuel, jusqu'au referendum.
La demande a été rejetée. Le président de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem et de nombreux autres ministres ont exprimé leur surprise quant à « la décision unilatérale d'interrompre les négociations » de la part de la Grèce. Les propositions, selon eux, n'avaient pas été finalisées et aucun accord global n'avait été trouvé, mais ce comportement a « fermé la porte à de possibles négociations ». Le ministre des Finances français, également Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, a laissé entendre ensuite que si la Grèce retournait à la table des négociations, il restait du temps pour déboucher sur un accord, propos ensuite repris par d'autres ministres, ainsi que par la chancelière allemande Angela Merkel et François Hollande.
P { margin-bottom: 0.21cm; } P { margin-bottom: 0.21cm; } Les institutions ont retiré leurs propositions, privant ainsi le referendum de toute substance. Pourtant, dimanche, la Commission européenne « dans un objectif de transparence et d'information du peuple grec », a publié les propositions, précisant qu'elles n'avaient pu être finalisées à cause de l'abandon du processus par la Grèce. Le gouvernement grec a protesté immédiatement, déclarant que le texte publié ne correspondait pas à celui qui lui avait été envoyé plus tôt sous forme d'ultimatum.
Pendant ce temps, les citoyens grecs continuent d'affluer devant les distributeurs de billets et dans les supermarchés. Dimanche soir, Tsipras est apparu dans une autre déclaration télévisée, annonçant que le refus de la part de l'Eurogroupe de l'extension requise constituait « une insulte sans précédent » envers la démocratie d'un peuple souverain et une tentative de faire chanter le peuple grec, ajoutant qu'il avait pour conséquence le maintien (et non l'augmentation) par la BCE des niveaux ELA, celle-ci forçant la Banque de Grèce à imposer des contrôles de capitaux, réduisant les retraits autorisés à 60 € par jour et imposant la fermeture des banques et de la bourse pour toute la semaine.
Lundi 29 juin à midi, le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker a tenu une conférence de presse, dressant un bref compte-rendu des évènements et déclarant que les propositions présentées par les institutions formaient un ensemble équilibré de mesures cherchant à stimuler la réforme et encourager la croissance (toutes les réformes semblables jusqu'à maintenant ont produit l'inverse), soulignant qu'elles n'impliquaient aucune réduction des retraites et des salaires, affirmation réfutée à la fois par le gouvernement grec et certains journalistes étrangers.
Il a enjoint le gouvernement grec de dire la vérité à son peuple et incité les citoyens grecs à voter « oui » au referendum, bien que la formulation définitive de la question ne soit pas encore fixée. Il s'est défendu de l'émission d'un ultimatum et a reproché au gouvernement grec d'abandonner soudainement les négociations en invoquant un referendum, en réitérant qu'il a fait tout son possible pour parvenir à un accord. « Ce n'est pas la fin du processus, » a-t-il dit, pendant qu'en Grèce, le gouvernement lui faisait écho en déclarant que les citoyens doivent connaître la vérité quant à ce qu'il se passe.
Pendant que la recherche des faits continue, les médias poursuivent leur couverture ininterrompue des évènements, communiquant l'atmosphère maussade (dont le temps couvert n'est pas l'unique cause) et les craintes, par les gros titres, que la Grèce, évoluant en territoire inconnu, se dirige vers un Grexit.
On peut parler de jeu de la Poule Mouillée (ou chicken game), de tir à la corde ou de n'importe quel jeu d'audace. Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : ce n'est pas un jeu. Pas avec les vies d'au moins 11 millions de personnes en jeu. Peut-être la Grèce est-elle capable de dire adieu à sa propre monnaie, mais la blessure infligée à une union monétaire fragile encore en développement risque d'être permanente.
Translated from A developing Greek tragedy: the EU game of chicken