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French 79 : « La French Touch, c'est une certaine classe »

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CultureGarage à beats

Installé dans des groupes reconnus comme Nasser ou Husbands, Simon Henner a décidé de se lancer en solo sous le nom de French 79. Bonne idée, car il vient de signer l’un des meilleurs albums d’electro de 2016. En perpétuant un certain savoir-faire français, l’artiste a désormais un objectif : placer Marseille sur la carte de la musique électronique en Europe.

cafébabel : Tu as enregistré ton album Olympic dans un monde où l’on avait l’impression que tout s’écroulait. Dans quel état d’esprit rentrais-tu en studio ?

French 79 : J'essaie toujours de m'échapper quand je rentre en studio. Je garde quand même toujours un oeil sur l'actu du jour. Tu composes toujours avec une certaine humeur. Après un attentat, je n’ai pas forcément envie de faire une chanson joyeuse. Mais en règle générale, j’essaie de ne pas trop penser aux choses atroces du monde.

cafébabel : Qu’est-ce qui t’indignes le plus aujourd’hui ?

French 79 : Ce qui me choque, c’est les conditions dans lesquelles vivent les enfants dans certains pays. Récemment, je suis parti en tournée au Brésil avec mon groupe, Nasser. J’arrive à Sao Paulo, la journée se passe bien, tu vois les touristes, des gens heureux. Puis soudainement à 20h, t’as des gosses qui sortent de partout avec des cartons pour dormir. Ils courent sniffer les pots d’échappement et se calfeutrent sous leur abri de fortune. Ça me met mal. Moi, j’arrive en avion, je dors dans un hôtel et on me paie pour faire ça. Quand tu vois ça, tu te sens impuissant. On a beau dire mais ce n’est pas parce que tu vas donner deux pièces à un enfant que tu vas sauver le monde.

cafébabel : Comment tu te consoles du coup ?

French 79 : Quand tu reviens en France, tu relativises tout. Quelque part, ça améliore ton quotidien. Voyager me permet de me rendre compte de la chance que j’ai : de me lever le matin pour aller nager dans une piscine, d’enregistrer de la musique dans mon studio, d’aller boire une bière le soir. En revanche, j’ai de plus en plus de mal à comprendre les gens qui se plaignent en France. 

cafébabel : Comment ces sentiments influencent-ils ta musique ?

French 79 : Je n’ai pas la prétention d’aider les gens en difficulté... Mais dans certains titres comme « 1979 » ou « Olympic », j’utilise des rythmiques de certains pays en difficulté : des pays en Afrique ou en Amérique du Sud. En utilisant leur musique, j’ai l’impression de les considérer. Considérer le fait que leurs sonorités sont beaucoup plus puissantes que les nôtres parce qu’elles sont justement composées dans des conditions difficiles.

cafébabel : En même temps, Olympic a beaucoup à voir avec l’évasion puisque le disque est largement inspiré par la thématique spatiale. Comment t’es-tu retrouvé à composer avec cet univers ?

French 79 : En avril 2016, alors que j’étais en train de travailler sur l’album, la NASA a publié 3 millions de photos de la Terre vue de l’espace. Ça m’a fasciné. Quand je compose, j’aime bien avoir des images qui m’inspirent. Ces photos de l’espace ont donc donné une teinte à Olympic qui a des sonorités spatiales, des nappes de sons qui rappellent cet univers. J’ai aussi toujours été attiré par les personnes qui font des trucs hallucinants. Et pour moi, aller dans l’espace reste le truc le plus dingue qui soit.

cafébabel : Tu es né en 1979. Tu as donc grandi dans les années 90. Quels genres de sons ont rythmé ton adolescence ?

French 79 : J'ai été bercé par Nirvana. J’ai fait le conservatoire mais, à côté, je jouais du grunge dans des groupes où j’étais batteur. Ça me permettait de sortir de la structure académique de l’enseignement classique. J’ai ensuite écouté beaucoup de rap américain en partant des Beastie Boys. Puis à la fin des années 90, j’ai connu Daft Punk. J’étais en train de réviser mon bac quand j’ai vu le clip de « Da Funk » sur MTV. Évidemment, j’ai pris une claque. Je pense que leur premier album, Homework, a parlé à toute une génération de jeunes qui écoutaient justement Nirvana et Radiohead. Je pense que les mecs de Daft Punk ont eux-mêmes été très influencés par ce genre de groupes et qu’ils ont réussi à faire un album d’électro comme on fait un album de rock, avec un refrain etc.

cafébabel : On associe aussi beaucoup les artistes de la scène électronique français à la French Touch. Qu’est-ce que la French Touch pour toi ?

French 79 : Pour beaucoup de gens, la French Touch, c’est Air, Phoenix et Daft Punk. Autrement dit, des groupes qui ont toujours revendiqué le fait d’être français et dont la musique s’est vite exportée dans le monde entier. Mais pour moi, la French Touch est à prendre au sens propre du terme : c’est la touche française. Pour les gens de ma génération, quand on était gamin dans les années 80 et 90, tu avais le droit de regarder le film du dimanche soir. C’était Belmondo, De Funès etc. À l’époque, la musique de ces films était composée avec des synthés par des gens comme François de Roubaix. Elles étaient exceptionnelles. Cinq minutes après le film, tu avais déjà la mélodie en tête. Aujourd’hui, ces sonorités ont inconsciemment influencé cette génération du film du dimanche soir. Ce qui fait que si tu mets un Français devant un synthé, il en sortira un beau son alors qu’avec un Américain, ça fera un peu pouët-pouët. Je pense que la vraie French Touch vient de là, d’une certaine classe dans l’utilisation des synthés.

cafébabel : En quoi les sons électroniques étrangers sont-ils différents ?

French 79 : Les Américains font beaucoup d’EDM (pour Electronic Dance Music, ndlr). Loin de moi l’idée de critiquer ce genre de musique, mais c’est un genre assez brut qui rassemble des dizaines de millions de fans dans les concerts parce que c’est avant tout efficace. Les Anglais, quant à eux, ont toujours dix ans d’avance. Quand tu regardes leur Top 50, tu retrouves toujours des trucs super novateurs. Les Allemands ont une exceptionnelle qualité de sons car je pense que les artistes possèdent une rigueur que l’on n’a pas. Mais en France, on ne nous enlèvera pas le fait que notre musique électronique reste classe.

cafébabel : Tu vis à Marseille, une ville où le hip-hop a tendance à prendre toute la place. Comment se porte la scène électro dans ta ville ?

French 79 : Elle se porte de mieux en mieux. Dans les années 90, le poids du hip-hop est tellement important qu’il y avait des artistes electro qui cachaient leurs origines marseillaises pour pouvoir sortir du lot. J’ai connu des groupes se disant parisiens ! Mais maintenant, c’est fini. Avec mes groupes – Nasser et Husbands – ou les gens que je côtoie beaucoup comme Kid Francescoli, on met en avant notre identité marseillaise. Sincèrement, je pense qu’il va se passer des trucs de fous ici. Un ami, qui gère un gros label de musique électronique berlinois, est venu s’installer à Marseille il y a 6 ans. La première chose qu’il m’a dit, c’est « j’ai l’impression d’être à Barcelone ou à Berlin, il y a 15 ans ». Autrement dit, avant que ces deux villes ne deviennent les capitales européennes de l’electro ! Tu sens un potentiel énorme ici. C’est une grosse ville, avec un port, il y a plein de jeunes, c’est multiculturel... Plein d’étrangers qui viennent ici me demandent toujours pourquoi ça n’explose pas à Marseille. Ça prendra peut-être encore 5 ans mais je ne vois pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas.

cafébabel : En Europe, Marseille véhicule beaucoup de clichés. Les fusillades, la drogue, les bandits... Comment l’expliques-tu ?

French 79 : Les médias en rajoutent beaucoup. Parler de ces choses-là, c’est faire la promotion de leur journal de 20h. En France, j’ai l’impression qu’il faut toujours un souffre-douleur et depuis quelques années, on a décidé que ce serait Marseille. Quand on n’invente pas des règlements de compte, on dit que la ville est assiégée. À Marseille, les quartiers difficiles ont la particularité d’être situés au sein des 16 arrondissements. Du coup, quand il se passe quelque chose, tout le monde pense que c’est l’ensemble de la ville qui est dangereux. Mais honnêtement, la vie est paisible ici.

cafébabel : Quel est ton Marseille à toi ?

French 79 : En semaine, je me lève, je vais me baigner, je vais au studio et le soir, je vais boire une bière. Le weekend, quand il fait 32 degrés, on part en scooter faire de l’escalade dans les calanques. On voit des plages paradisiaques. On rentre boire une bière sur le Vieux Port, les gens sortent de la plage avec la banane. On mange au bord de l’eau et on sort à la dame Noire, un club blindé du mercredi au samedi soir. Franchement, ça va. Pour rien au monde j’irais habiter à Nice, Toulon ou Montpellier. Pour aimer Marseille, il faut se balader un peu. La plupart des gens qui viennent ici arrivent de la gare Saint-Charles, qui est peut-être le pire quartier de la ville. Du coup, la première image qu’ils s’en font est mauvaise. Mais quand tu t’enfonces un peu, tu t’aperçois vite que Marseille est super agréable.

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Écouter : 'Olympic' de French 79 (Alter K/2016) Voir : Au Dour Festival le 15 juillet et aux Vieilles Charrues le 16 juillet prochains.

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.