[fre] EI, djihad und Islam - tous à mettre dans le même panier ?
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Amélie MarinDes informations sur l'EI et les musulmans radicaux qui partent faire le djihad en Irak ou en Syrie, inondent les médias depuis des mois. Le racisme quotidien envers les musulmans à Vienne semble avoir augmenté depuis. Que signifie tout cela pour les musulmans qui vivent à Vienne ? Nermin Ismail, journaliste et étudiante en sciences politiques, raconte comment elle vit cette situation.
CB: Tu as récemment posté sur Facebook des éléments concernant des incidents liés au racisme quotidien envers les musulmans. As-tu le sentiment que le racisme envers les musulmans augmente en Autriche en ce moment ?
Nermin Ismail : Oui. Et ce n'est malheureusement pas qu'un sentiment, ce sont des faits. Rien que cette semaine, trois jeunes filles ont été attaquées à Vienne et traitées de "terroristes". Il y a donc des femmes qui sont agressées dans la rue parce qu'elles sont reconnues en tant que musulmanes. Il y a de nombreux tags et appels à la haine. Une raison à cela est le mélange de deux choses. D'une part, ce qui se passe à l'étranger - la situation actuelle en Syrie et en Irak. Des gens qui commettent des atrocités au nom de l'Islam. D'autre part, des musulmans qui vivent en Autriche et qui n'ont absolument rien à voir avec tout cela. Des musulmans qui vivent ici, qui sont nés ici et qui n'ont pas plus de choses à voir avec la Syrie que d'autres Autrichiens. Ce sont deux niveaux que l'on mélange. L'information n'est alors pas vraiment nuancée et cela mène à des confusions. Les victimes de ces atrocités sont surtout des musulmans - voilà une info qui se noit totalement dans les discussions. Alors oui, j'ai bien le sentiment que le racisme augmente. J'étais dans la période de l'après 11 septembre encore jeune mais j'ai entendu et lu que des musulmans ont senti des changements dans leur contact avec les autres. Que des gens ont commencé à les regarder bizarrement et qu'il y avait plus d'actes de violence. De bons amis et des connaissances pensent que les tensions leur semblent plus graves aujourd'hui qu'après le 11 septembre. On parle constamment de décapitations, de menaces, de guerre. Mais cela n'a rien à voir avec la religion en elle même. Derrière l'EI, il y a des gens qui sont des criminels et qui abusent de la religion pour imposer leur pouvoir et leurs intérêts politiques.
Pourrait-on justifier cela par le fait que l'on nous parle constamment dans les médias de jeunes Autrichiens et Autrichiennes qui partent faire le djihad ? On véhicule l'information selon laquelle le conflit est très proche de nous. Cela crée une grande peur.
Pour beaucoup de médias, c'est le "bad news are good news." qui prévaut. La proximité est importante aussi. Cela signifie qu'il faut créer de la proximité pour pouvoir couvrir ce genre de "bad news" au quotidien. C'est sûr, il y a des jeunes gens qui se radicalisent, mais ils ne sont pas aussi nombreux que ce que les médias nous disent. Je crois que le nombre se situe en ce moment autour de 150 jeunes. C'est très peu face aux 500 000 musulmans d'Autriche. Évidemment, c'est très grave, mais tout est largement exagéré. Les descriptions se terminent rapidement dans une ambiance de suspicion générale. On met tout le monde dans le même panier et c'est tout simplement injuste. Si l'on regarde de plus près à la raison pour laquelle ces gens se radicalisent, il s'avère, comme le montrent des études telles que celle de la MI5, qu'ils le font parce qu'ils ont le sentiment de ne pas être acceptés dans la société, parce qu'ils cherchent une appartenance.
On leur donne l'impression qu'ils sont différents seulement parce qu'ils sont musulmans. Les travaux de Marc Sageman montrent également que des religieux qui se radicalisent sont incultes. Il s'agit alors d'un sentiment de refus associé à une situation sociale précaire, au peu de chances sur le monde du travail et à la distance avec l'éducation.
Aujourd'hui, tu as écrit un post où tu racontes que, quand tu étais en Malaisie, on t'adressait la parole toujours dans la langue locale et que les gens partaient du fait que tu vivais là-bas. Puis tu es rentrée à Vienne - ton vrai chez-toi - et un homme dans le tramway a pesté en disant que tu devrais retourner là d'où tu viens. Ce genre de choses t'arrive souvent à Vienne ?
Personnellement, cela ne me dérange pas. Je sais maintenant comment certaines personnes raisonnent ici en Autriche. Je sais qu'il y a des gens qui pensent que la raison à tout ce qui est mauvais, ce sont les étrangers. Des gens qui me perçoivent comme une étrangère. Mais moi, je ne sens tout simplement pas comme une étrangère. Ici, c'est ma maison. Je n'ai pas besoin de gens qui m'ostracisent et qui me disent où se trouve mon chez-moi. Je le sais déjà moi-même. Je ne me fais aucun souci pour moi-même, mais je m'en fais pour les plus jeunes qui sont désorientés, pour qui l'ostracisation est un réel problème, qui sont confrontés aux préjugés au quotidien. Il y a malheureusement des gens qui pensent à une image typique de l'Autrichienne et personne d'autre ne peut se présenter comme Autrichien(ne). Mais qu'est-ce qui fait de quelqu'un un Autrichien ? Est-ce que je dois maintenant porter tous les jours un dirndl pour avoir le droit de me dire Autrichienne ? Pour moi, il est évident que je suis Autrichienne.
Le fait d'ostraciser donne cependant aux gens une certaine sécurité. Chaque problème a pour eux une explication. Ce sont toujours les étrangers ou les méchants demandeurs d'asile et réfugiés. Ils nous prennent le travail et la prospérité. Et c'est en fait extrêmement triste quand on regarde comme nous allons bien, nous les Autrichiens en général. En Malaisie, aux États-Unis ou aussi dans d'autres pays où j'ai passé une longue période, règne une autre culture. Une culture de l'acceptation et de l'appartenance. Celui qui veut appartenir à cette culture, y appartient.
En Autriche, on discute et on se dispute en ce moment à propos du projet de loi sur l'islam. C'est tout sauf l'unité qui règne chez les musulmans. Comment te positionnes-tu sur ce sujet ?
Le moment est très mal choisi. Précisément au moment où l'on parle tout le temps de radicaux et de djihadistes, le gouvernement arrive avec une loi qui prévoit de très nombreux durcissements et beaucoup de restrictions pour les musulmans. Le gouvernement ne reconnaît pas voir les choses ainsi et parle plutôt dans ce projet de loi des nombreux droits des musulmans. Évidemment, cela est partiellement vrai. Mais quand on lit le projet de loi, on trouve de très nombreux passages qui font écho à la suspicion générale. Si l'on veut une attitude fondamentale positive des musulmans envers l'État, je ne comprends pas tout cela. Le projet suggère que des musulmans auraient une attitude négative envers l'État. C'est ce qu'ont confirmé aussi de nombreux juristes. Je trouve passionnant que déjà plus de 11 000 personnes en Autriche aient signé une initiative citoyenne contre cette loi et que tant de juristes, experts et scientifiques aient exprimé leurs doutes. Il reste tout aussi passionnant de voir comment le gouvernement va assumer et s'ils vont écouter cette résistance à la base démocratique. Le Ministère de l'Éducation et des Affaires culturelles aurait fait savoir que des modifications seraient possibles.
Une partie controversée du projet est l'interdiction des financements étrangers. Cela est censé rendre les institutions islamiques indépendantes de la Turquie, de l'Arabie Saoudite et autres pays. Comment vois-tu cela ?
Beaucoup de mosquées et d'associations sont exclusivement ordonnées par le financement étranger. Dans l'Islam, il n'y a pas d'équivalent à l'institution de l'Église, il n'y a donc pas non plus d'impôt religieux. Je me pose toujours la même question : pourquoi veut-on de cette loi sur l'islam ? Qu'est-ce qui jusqu'à maintenant n'a pas fonctionné ? Si l'on n'est pas satisfait du financement étranger, on pourrait essayer de rendre ces versements plus transparents ou les encadrer. Mais faire une loi générale juste pour ça ? Ce n'est pas seulement un problème de financement étranger mais d'une dominante de méfiance et de suspicion générale qui se retrouve dans la loi, ou plutôt dans l'esprit de cette loi. Des législateurs disent que cette loi est contraire à la constitution parce qu'elle va à l'encontre du principe d'égalité. Pourquoi est-ce que le gouvernement y tient si farouchement ? La phase d'évaluation est justement prévue pour que tous les défenseurs d'intérêts donnent leur avis. Si tant de personnes sont pour une refonte, le gouvernement doit écouter leurs doutes et se laisser du temps. Comment discute-t-on de la loi entre musulmans ? On a le sentiement que les discussions à ce sujet sont très vives. Les musulmans sont une part normale de la société. Eux aussi souhaitent donner leur avis et être associés aux processus démocratiques. De manière générale, on peut dire qu'il y a beaucoup d'états d'âme différents. Le gouvernement dit que la communauté musulmane était présente à l'élaboration du texte. Mais la communauté refuse maintenant de manière officielle ce projet de loi apparement élaboré "ensemble". Il faut remarquer que la communauté était au début favorable au processus. Ils ont ensuite reculer parce qu'ils ont remarqué le vent contraire que faisait souffler la community musulmane. La manière dont ce projet de loi a été réalisé est très opaque.
La communauté a-t-elle justifié le fait qu'elle ait d'abord approuvé cette loi ?
Elle ne l'a approuvée qu'au début. Après cela ne sont venues que des déclarations défavorables. La jeunesse musulmane d'Autriche a organisé de nombreuses conférences de presse et augmenté ses critiques. Ils ont même élaboré une loi alternative en collaboration avec des juristes et rédigé tout un paquet de mesures contre la radicalisation. Ils ont décidé qu'ils travailleraient avec le gouvernement. Mais il semble que cela n'ait pas donné lieu à un dialogue. Par ailleurs, d'autres comme par exemple les Alévites, le réseau de la société civile musulmane, ont donné la parole à l'initiative des Converti(e)s autrichien(ne)s. Cela montre aussi que les musulmans en Autriche sont une partie active de la société et qu'ils prennent part à celle-ci. Et les musulmans sont tout aussi divers que peuvent l'être les autres sociétés religieuses.
Mais une loi sur l'Islam apporterait plutôt des voix électorales. Penses-tu que cela est vrai ?
D'un point de vue politique, on peut dire que cela peut représenter une tentative de pêche aux voix électorales. Le ÖVP (Österreichische Volkspartei, le "Parti populaire autrichien", ndt) a lors des dernières élections cédé beaucoup de voix au FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, le "Parti de la liberté d'Autriche", ndt). Il est possible que les "Noirs" trouvent que ce discours islamophobe, xénophobe et discriminant focntionne. Il se peut aussi que le gouvernement tienne à cette loi sur l'islam à cause des voix électorales. Mais je ne crois pas qu'un projet de loi passera devant le Conseil Constitutionnel. Des experts comme Theo Öhlinger et Heinz Mayer et beaucoup d'autres constitutionnalistes que cela est anticonstitutionnel. Le gouvernement doit bien se conformer lui-aussi à la Constitution.
Le fait que tu portes le voile rend-il ton travail de journaliste plus compliqué ? Ou bien as-tu le sentiment que d'autres femmes qui portent le voile ont un problème dans le monde du travail ?
J'ai déjà entendu parler de beaucoup de cas de femmes inquiètes. J'ai par exemple parlé avec une pharmacienne qui trouvait que les clients devenaient parfois très désagréables. Je pense que cela dépend fortement de à qui l'on a affaire. Mais cela ne va pas et il faut faire quelque chose contre cela, quand on devient discriminé à cause de sa religion. Mais que peut-on faire ? J'ai lu dernièrement au Donauzentrum que l'on avait arraché son voile à une femme, qui s'était ensuite retrouvée à la Police. Là-bas, on m'a dit que l'on ne pouvait rien faire. Mais ce n'est quand même pas possible que des gens qui se permettent de dépasser ce genre de limites n'aient à craindre aucune conséquence. Je crois qu'il est très important que les gens qui sont confrontés à ce genre de problèmes sachent vers qui se tourner. Il y a pour cela ZARA (Zivilcourage und Anti-Rassismus-Arbeit, Courage civique et Travail anti-raciste), le Barreau pour l'Égalité de traitement, on peut également déclarer certains incidents auprès du service de la Protection de la Constitution afin qu'ils soient consignés. Si l'on ne signale pas de genre de choses, cela continuera à se passer. Les individus d'extrême-droite oseront de plus en plus. Ce n'est pas possible.
Le voile n'empêche aucune femme de travailler, c'est plutôt l'image que l'on se fait sur la femme voilée qui empêche les employeurs de leur offrir l'accès au marché du travail. Ce n'est donc là ni une question de religion ou d'habillement, mais une question de société. C'est-à-dire que des femmes qui, pour des raisons religieuses, couvrent leurs cheveux, sont souvent rejetées même si elles sont qualifiées pour le job. J'ai raconté récemment l'histoire d'une étudiante de Carinthie que l'on avait refusée parce qu'elle était musulmane. Elle ne porte même pas de voile, mais l'employeuse en aurait trop demandé à ses clients.
Beaucoup de musulmanes, qui apparaissent en tant que telles, ne sont même pas conviées aux entretiens d'embauche, et encore moins embauchées ou prises à l'essai pour un mois. Il y a visiblement une norme pour une employée "normale", qui, dans la tête de beaucoup de gens, ne portent pas de voile.
Connais-tu des femmes qui, pour ces raisons, décident de ne pas porter le voile ?
Je connais deux cas. Et c'est compréhensible quand on pense que l'on n'est réduit qu'à sa religion mais que l'on veut montrer que l'on est plus que cela : Autrichienne, étudiante, activiste ou autre chose. Alors elles font tomber le voile même si elles souhaitent le porter. C'est pour pour moi de la manipulation et une contrainte.
Quelle est la raison invoquée par la plupart des femmes que tu connais pour porter le voile ?
Chacune a ses raisons bien à elle. Pour la plupart, c'est tout simplement une affaire religieuse dont elle décide pour elles-mêmes. Et c'est leur droit.
à propos de Nermin Ismail :
Nermin Ismail est journaliste indépendante à Vienne. Elle écrit pour différents quotidiens et rédige des articles pour l'ORF (chaîne de radio autrichienne). Politologue, elle a terminé ses études de pédagogie de la religion. En 2013, elle a fait ses classes au curatorium de formation en journalisme avec succès. Elle a dernièrement travaillé pour ServusTV à Salzburg.
Translated from IS, Dschihad und der Islam - alles dasselbe?