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[fre] Clochards, migrants, étudiants et précaires

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Le système capitaliste ancré préfère la solitude à la communauté, l'individualisme au partage, le marché à la gratuité. Il n'accepte pas le scandale de demander de l'aide, de l'erreur, de la sincerité. 

Existe-t-il encore des ouvriers ? Probablement pas, sinon on en parlerait.

Ils ne se cachent certainement pas, quel en serait le motif ? Il connaissent la nuance subtile qui sépare la pauvreté de la misère, ils ont la conscience des classes, ils ont des projets futurs réalisables à la sueur de leur front. Dommage qu'ils n'existent pas, perdus dans les oubliettes de l'histoire. 

Ils ne représentent  que 8 ou 9 millions d'Italiens. Pas grand chose. Sans influence. Personne ne les représente, ils sont les nouveaux invisibles, ils ne sont pas utiles à la société. Ils n'ont même pas de valeur esthétique. Ils ne font pas peur, ils sont ignorants, ils veulent simplement regarder le football le dimanche. Voilà les seules informations que nous avons sur cette typologie de personnes. 

Pourtant les clochards existent. Eux, oui. Ils servent d'avertissement au passant qui ne peut les regarder. Le précaire, véritable héros des temps moderne, passe devant le sans-abri, croise son regard, pâlit d'effroi. Il sait que prétendre à un peu plus de droits,  àun contrat de travail officiel, à la sortie d'un éternel état de précarité existentielle, peut lui coûter fort cher. Il voit le trottoir et il ne se pose plus de questions : "j'ai de la chance moi, j'ai un matelas, un WC et un lavabo. Peut-être même un jour une nouvelle cabine de douche !" 

L'industriel, le parlementaire, le spéculateur, non. Lui ne marche pas dans la rue. Il ne se confronte pas à la tristesse et à la peur de "ceux qui sont dehors". Il connait leur existence et il est convaincu qu'il doit soutenir son système, pas seulement économiquement mais aussi du point de vue idéologique. 

“La precarité est partout aujourd’hui”

Nous la connaissons tous, nous en parlons tous, nous la vivons tous. Pas d'alternative possible. Le clochard sale, qui sent mauvais et qui ne travaille pas est toujours là pour nous le rappeler. La pauvreté a perdu sa dignité, sa place sociale, son orgueil de classe. Le travailleur ne revendique plus son rôle, il se perçoit comme un être misérable. Voilà le message qui est passé. La nouvelle équation selon laquelle un faible salaire équivaut à une faible valeur personnelle, en plus d'être complétement fausse et généralisatrice, a également de graves répercussions psychologiques.

Et voilà qu'arrive l'étudiant. Parfois avec le précaire, parfois avec le migrant, dans la plupart des cas tout seul. Il se sent perdu dans le marasme de la société des simplifications extrêmes. Lui, il pense. C'est son rôle, son métier. Bon, ça dépend de ses études et de ses convictions personnelles, mais tâchons de résumer. Il tente de comprendre pourquoi il y a tant de pauvres et si peu de riches. Pourquoi dans les mots "misère" et "solitude", sont enfermés la plupart des hommes et des femmes de notre époque. Pourquoi notre société n'accepte-t-elle pas la contradiction, feignant de pouvoir tout généraliser. L'étudiant sait que ce n'est pas possible, que le réel est contradictoire, que sans se confronter à ce problème nous n'atteindrons jamais ni la verité ni la justice. 

Il vit les contradictions de son époque. Il sait qu'il y a une différence entre l'imprévu et la régression néolibérale en cours. Parfois il se demande si dans dix ans il y aura encore des écoles, des transports et la santé publique. Pourtant il change immédiatement de sujet. 

L'important aujourd'hui est d'être légers. 

Il sait que sa grand-mère a besoin d'aide, que sa mère ne s'en sort pas toute seule, que son père a des problèmes au travail. Il sait qu'il peut aider les autres et soi-même s'il le veut mais il ne le fait presque jamais. Il sait que ses amis ne sont rien sans lui et qu'il n'est rien sans eux. Il sait que la famille, dernier bastion de résistance à un système capitaliste ancré qui préfère le consommateur solitaire à la communauté, vaut plus que tout. Mais le triomphalisme esthétique de l'homme seul, de la liberté - dans l'idéal avec un petit appartement sur les Champs-Elysées - l'emporte. C'est pour cela qu'il fuit le scandale du contact, de la demande d'aide et de la sincérité.

L'important aujourd'hui est d'être individualistes. 

Il sait que tout se vend et s'achète. Il répudie toute forme de gratuité, symbole d'un passé rétrograde désormais dépassé. Héritage d'une époque primitive, sous-développée. Seuls les pauvres et les immigrés rient tout le temps, démontrant la stupiditié présumée de qui s'est approprié le diktat du système. L'étudiant cherche continuellement des signes d'approbation, sans même savoir pouvoir. Son égo compte, le reste non.

L'important aujourd'hui est de créer sa propre marque.

Il sait que de plus en plus de jeunes comme lui vivent enfermés dans leur chambre. Plus de cent-mille en Italie. Ils n'étudient pas, ils ne travaillent pas. Ils sont dépressifs, démotivés, accablés. Ce sont des faibles, des losers dont il ne faut pas s'approcher. Victimes d'une sociétés qui ne sait que faire des perdants, des derniers, des moins forts, des moins intelligents. Toujours, bien-sûr, selon une échelle des valeurs parfaitement arbitraire. Certains pensent même parfois au suicide, pitié, quelle absurdité.

L'important aujourd'hui est d'être heureux.

Ou du moins d'en avoir l'air. 

Story by

Bernardo Bertenasco

Venuto al mondo nell’anno della fine dei comunismi, sono sempre stato un curioso infaticabile e irreprensibile. Torinese per nascita, ho vissuto a Roma, a Bruxelles e in Lettonia. Al momento mi trovo in Argentina, dove lavoro all’università di Mendoza. Scrivo da quando ho sedici anni, non ne posso fare a meno. Il mio primo romanzo si intitola "Ovunque tu sia" (streetlib, amazon, ibs, libreria universitaria)

Translated from Barboni, migranti, studenti e precari