[fre] CINEMA LATINO : CAP SUR LA DIFFÉRENCE
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Ursula MonnierLe festival du film latino-américain LAKINO à Berlin devient incontournable. Cafébabel a visionné pour vous deux morceaux de choix de la programmation de cette année.
Quelles sont les caractéristiques d’un bon film ? Une histoire fascinante ? Un message en profondeur ? La force de persuasion des acteurs principaux ? Les metteurs en scène Raúl del Busto et Alejandro Jodorowsky y répondent de façon totalement opposée et non conventionnelle !
El Espacio entre las Cosas
(Raúl del Busto, Pérou, 2012)
Un metteur en scène est à la recherche d’un lieu de tournage pour son prochain policier. Il voyage de Cusco par Mexico-City, Barcelone, Lima et Buenos Aires jusqu’à un petit village dans jungle péruvienne. Voilà brièvement exposé le synopsis d’El Espacio entre las Cosas.
L’histoire n’a aucune importance dans ce film, elle constitue seulement le ciment qui maintient le kaléidoscope coloré composé d’images et de motifs. Une éolienne tournant irrégulièrement et qui grince fabriquée à partir d’une vielle bouteille en plastique. Dans la scène suivante la silhouette floue d’un personnage habillé de blanc et entourée d’eau vert foncé et clapoteuse. Un feu d’artifice. Un japonais qui décide subitement d’habiter l’aéroport de Mexico-City alors qu’il ne parle pas un mot d’espagnol. Puis la forêt tropicale péruvienne. Un groupe d’indiens parés de plumes qui traverse une hutte en paille en dansant sur une musique rythmée. Une foire à Mexico. Un minuscule flocon de barbe à papa rose qui tourbillonne dans l’air et atterrit dans les mains d’une petite fille chevauchant les épaules de son père en riant aux éclats. Del Busto passe d’une situation à l’autre avec une vitesse fulgurante. Le spectateur est accompagné par la seule voix du narrateur expressément neutre. Le véritable protagoniste - que ce soit le metteur en scène qui voyage ou le détective Glauber Maldonado, le personnage central du film souffrant d’épilepsie, ces deux derniers se fondant en une seule entité au cours de l’histoire – n’existe que dans le récit du narrateur.
Une expérience avec des moyens cinématographiques non-conventionnels
Un film sans véritable histoire, privé d’acteur principal et une quasi-absence de dialogues, est-ce possible ? Raúl del Busto ose cette expérience en rompant avec les conventions classiques du genre. Le résultat n’est évidemment ni un blockbuster prétentieux ni une comédie décontractée. El Espacio entre las Cosas ressemble plutôt à un rêve qui doit être vécu par le spectateur lui demandant quelques efforts au passage, en même temps il lui laisse suffisamment d’espace pour y apporter sa propre imagination et la laisser se fondre dans les motifs sur l’écran.
La Danza de la Realidad
(Alejandro Jodorowsky, Chili, 2013)
A la différence de Del Busto qui est au début de sa carrière cinématographique, le vieux maître chilien Alejandro Jodorowsky a une longue activité artistique derrière lui. L’homme de 85 ans s’est forgé une renommée de metteur en scène, d’acteur et d’auteur de pièces de théâtre et de films surréalistes tels El Topo (1970) et Montana Sacra (1973) ; depuis près de 30 ans il travaille de surcroit comme scénariste à la série de bande dessinée SF John Difool – l’Incal. Son dernier film apporte la preuve de cette diversité artistique. Les grands thèmes de la vie – la mort et la fugacité de la vie - sont abordés avec une imagination débordante voire de façon magique dans La Danza de laRealidad. La question de sa propre identité, et avant tout la magie de l‘amour.
Jodorowsky introduit le spectateur dans son propre monde et le fait participer de manière autobiographique à ses années de jeunesse pleines d’aventures dans la ville de la côte chilienne de Tocopilla. Le petit Alejandro essaie de trouver sa voie écartelé entre un père autoritaire et irascible qui veut inculquer à son fils la discipline et lui transmettre un sens excessif de la virilité et une sur-mère dotée d’une poitrine opulente communiquant exclusivement par le chant. Le tournant décisif du film sera le départ du père de Jodorowsky - interprété par son vrai fils Brontis Jodorowsky - pour Santiago afin de commettre un attentat contre le dictateur chilien Carlos Ibañez del Campo. Il se trouve confronté à un déchirement intérieur fondamental lorsqu’il s’aperçoit que del Campo correspond exactement à son idéal de virilité incarnée.
L’attrait particulier de ce film - comme son nom l’indique - consiste en cette frontière floue et brouillée entre réalité et fiction. Le petit Alejandro jette une pierre dans la mer laquelle lui répondra par une montagne de poissons morts. Sa mère toute nue et enduite de peinture noire danse avec son fils à travers l’appartement afin de lui ôter la peur du noir tout en chantant des opérettes. Son père, athéiste et méprisant toute faiblesse, devient infirme à son tour, couvert de crachats et humilié, pour se voir soigné par le charpentier pieux Don José (Joseph). De plus le metteur en scène apparaît fréquemment sous la forme d’un ange afin de souffler courage à son moi fictif affligé.
Remède du réalisme magico-optimiste
Le film La Danza de la Realidad se refuse avec succès au classement dans un tiroir étroit du genre du cinéma mainstream. Le metteur en scène puisant dans toute son expérience relie habilement des éléments de théâtre, opéra, cirque et bande dessinée. Il réussit à captiver le spectateur pendant plus de deux heures en sortant parfois le grand jeu des effets spéciaux magiques. Les mises en scène des corps et de la violence peuvent surprendre par leur liberté. Une chanteuse d’opéra nue urinant sur le visage de son mari pour le guérir de la peste correspond cependant exactement au réalisme magico-optimiste que caractérise Alejandro Jodorowsky.
Translated from Kino Latino: Erfrischend anders!