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Frappes préventives, régression collective

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Après le 11 septembre, la diplomatie américaine avait mieux à offrir qu'une guerre sans légitimité en Iraq. Elle fait le choix de répondre au chaos par le chaos...

Certains ont dabord pu croire que de lhorreur de leffondrement du World Trade Center pouvait naître une politique extérieure américaine meilleure, plus juste, plus consciente de ses faiblesses et de ses excès. Frappés au cur, les Etats-Unis comprendraient peut-être que le temps de la seule défense de leurs intérêts était compté et quil leur faudrait prendre en compte les aspirations dun monde quils avaient largement contribué à rendre plus étroitement interdépendant. La guerre en Afghanistan fût un premier démenti cinglant, car au delà de la légitimité dune riposte contestable, on sentait bien que tout cela nallait pas dans le bon sens.

Puis vint laxe du mal Loin de la recherche dune meilleure compréhension du phénomène Ben Laden et de lautocritique de la politique américaine, le manichéisme triomphant de Georges W. Bush indiquait la prochaine cible. Ce serait lIraq et son potentiel en armes de destruction massive, qui bafouait les résolutions de lONU depuis trop longtemps.

Cet enchaînement et la rhétorique américaine qui laccompagne, chacun le connaît et lapprécie à laune de ses propres valeurs. Pour ceux qui croyaient quune autre politique extérieure américaine était possible, qui aurait pu naître dun regard critique de lAmérique sur elle-même et sur le 11 septembre, il faut se rendre à lévidence, lheure est à linquiétude. Car à ceux qui ont semé le chaos en son sein, lAmérique se prépare à répondre en nourrissant le chaos dans les relations internationales.

Les terroristes sont partout

Chaos en Palestine dabord, où le désintérêt manifeste de ladministration américaine pour le conflit, le soutien quasi-inconditionnel au gouvernement Sharon, et la posture intransigeante de chaque partie, lune dans la répression, lautre dans celle du martyre terroriste, ce qui narrange rien ont considérablement éloigné léventualité dun règlement pacifique.

Chaos terroriste ensuite car depuis que M. Bush lui a déclaré la guerre, le terrorisme a fait des petits Force est de constater quaujourdhui, les terroristes sont partout, sur tous les fronts, de toutes les causes. On sait la difficulté pour parvenir, dans les conventions internationales contre le terrorisme, à une définition de ce terme. En attendant, il sagit dun mot attrape-tout qui permet surtout aux autorités de délégitimer des mouvements dopposition, et au besoin, de les réprimer plus facilement. Au gré des événements, on a donc vu apparaître des terroristes au Xinjiang, en Géorgie, en Côte dIvoire, aux Philippines, sans que lappellation dorigine puisse véritablement être contrôlée Cuisinée à toutes les sauces, la lutte contre le terrorisme finit par devenir indigeste, justifiant des atteintes aux droits de lhomme et aux libertés individuelles de plus en plus étendues, même parmi nos démocraties. Cette confusion sémantique, alibi dune coalition hétéroclite, marque durablement laprès 11 septembre.

Frappe préventive et nouveau désordre mondial

Chaos stratégique et juridique enfin, avec la doctrine des frappes préventives développée par ladministration américaine au sujet de lIraq. Cette fois, la realpolitik américaine va trop loin. Sur le fond et sur la forme. Non seulement parce quelle se met en tête de déloger Saddam Hussein sous des prétextes contestables, mais surtout parce que la doctrine mise en uvre pour justifier ces frappes est dangereuse. Elle est, par essence, génératrice de désordre.

Il est à la portée dun enfant de comprendre que frapper le premier pour se défendre est certes dune efficacité redoutable, mais pose le problème de la réciprocité. Dans une telle logique Saddam Hussein pourrait légitimement frapper préventivement les Etats-Unis dont la machine de guerre est en marche de façon plus ou moins évidente. Mais les Etats-Unis représentent le Bien et lIraq le Mal, et les Etats-Unis sont la seule superpuissance et lon sait donc qui a le droit de frapper qui. Utilisée à léchelle du globe cette doctrine constitue une véritable régression, un retour vers létat danarchie permanente des relations internationales.

Or, pour sortir de cet état, la communauté internationale a patiemment mis en place des mécanismes de sécurité collective dont lONU, et plus particulièrement le Conseil de Sécurité, est dépositaire. Or le principe même de la sécurité collective réside dans linterdiction de lemploi ou de la menace de lemploi de la force dans les rapports entre Etats, hormis les cas de légitime défense, et les actions coercitives autorisées par le Conseil de Sécurité au titre du chapitre VII de la Charte.

Mort de la communauté internationale

Ce quil faut dire, réaffirmer, crier avec force, cest que ce que M. Bush propose, ce nest rien de moins quune régression, quun gigantesque pas en arrière de plus dun siècle, un retour aux archaïsmes des relations internationales dominées par les rapports de force bruts. Si les Etats-Unis décidaient de se passer dune résolution du Conseil de sécurité pour faire la guerre à lIraq, ce serait condamner cette institution, et surtout aller à lencontre de mécanismes de sécurité collective à lefficacité certes imparfaite, mais qui demeurent un outil de pacification et de régulation des relations internationales par le droit dont la communauté internationale ne devrait pas se passer. Ce serait aller à lencontre même de la notion de Communauté internationale. Si la légitimité des résolutions est déjà contestée par la stigmatisation de la politique du « deux poids, deux mesures » au Proche-Orient, des frappes préventives, illégales au regard du droit international, et hors du cadre des résolutions du Conseil, seraient le coup de grâce du rôle de linstitution comme garante de la sécurité collective. En faisant éclater ce cadre, les Etats-Unis pourraient déstabiliser plus encore les relations internationales que lhypothétique menace que fait peser Saddam Hussein sur le monde.

Face à ce risque majeur, lEurope sest avérée incapable de parler dune seule voix, comme très souvent en matière de politique étrangère. Enfant de la guerre, elle devrait pourtant connaître le coût dun usage irraisonné de la force, lorsque celle-ci ne sert que les intérêts de celui qui en fait usage. Face à limplacable leçon de realpolitik, lEurope devrait être capable de faire front, pour dire son attachement au droit et à la paix, notions que depuis cinquante ans, elle a su faire progresser sur le continent. Plus que jamais, il faut que lEurope donne de la voix. Pour que les Etats-Unis ne soient plus les seuls à parler fort. Pour quils cessent de parler faux. Pour quils comprennent quil font fausse route, et surtout quils entraînent alliés et ennemis, avec eux.