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François Fillon : de l'Élysée au Monténégro 

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Politique

Droit dans ses bottes. Depuis la révélation par le Canard enchaîné de l'emploi, présumé fictif de son épouse, François Fillon persiste et signe. Désormais convoqué en vue d'une mise en examen, le candidat a assuré dans une conférence de presse qu'il ne se retirerait pas. Sûrement pour la dernière fois. Une attitude qui l'engage plus sur la route du Monténégro que sur celle de l'Élysée.

8 minutes. C'est le temps que François Fillon aura décidé de prendre en conférence presse pour marteler ce qui est fatalement devenu son slogan de campagne : « Je ne me retirerai pas ». Depuis son QG de campagne, le candidat des Républicains aux élections présidentielle s'est exprimé le mercredi 1er mars pour confirmer avoir été convoqué en vue d'une mise en examen, le 15 mars prochain. Dans cette même prise de parole, il a précisé qu'il maintenait sa candidature en dénonçant « un assassinat politique » et en appelant ses « électeurs à résister ».

Le 26 janvier dernier, le candidat avait pourtant affirmé qu'il se retiterait de la course à l'Élysée dans le cas où il serait mis en examen. Mais c'est dans un grand exercice d'obstination que François Fillon a décidé de poursuivre. Et peu importe si sa campagne ressemble désormais à un chemin de croix. Avant la conférence de presse, les derniers sondages éliminaient déjà l'ex-favori du scrutin lors du premier tour de la présidentielle au profit de Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Les parlementaires de sa famille politique reviennent plus alarmés que jamais de leurs circoncriptions. Chacun de ses déplacements s'organise dans le bruit de casseroles frappées par les manifestants qui protestent contre la corruption. Mais rien n'y fait.

Plus tôt, François Fillon dénonçait « un climat de quasi-guerre civile ». Le mois dernier, son équipe avait même concocté un tract, diffusé à 4 millions d'exemplaires et sobrement intitulé « Stop à la chasse à l'homme ! Trop c'est trop ! ». Mais est-ce vraiment « trop » ? Dans d'autres pays que la France, un responsable politique confronté à des accusations d'une bien moindre gravité aurait probablement, et depuis longtemps, été poussé vers la sortie. La tolérance – politique, médiatique, judiciaire et de l'opinion – face à la malhonnêteté supposée ou avérée du personnel politique diffère sensiblement d'un pays à l'autre.

Pour quelques degrés de plus

Les pays scandinaves font figure de modèles en matière de transparence de la vie publique. La Suède, notamment, se montre intraitable avec les écarts de conduite reprochés à ses responsables politiques. Ainsi Aida Hadzialic, jeune espoir du Parti social-démocrate et, jusqu'en août 2016, ministre de l'Enseignement secondaire et de la Formation en sait quelque chose. En traversant, au volant de sa voiture, le pont Öresond qui relie le Danemark à la Suède, la ministre a été contrôlée l'été dernier par les forces de police. Contrainte de passer un test d'alcoolémie, celui-ci a révélé un taux de 0,2 gramme d'alcool dans son sang, le niveau à partir duquel il est interdit de conduire en Suède – mais pas au Danemark, où la limite est fixée à 0,5 gramme. 

Ni une ni deux, la ministre a présenté sa démission. « C'est si grave que je tiens à assumer mes responsabilités », a-t-elle expliqué. Une exemplarité à mille lieues du sentiment d'impunité dont semblent drapés les femmes et les hommes politiques français. Il faut dire que la Suède se montre particulièrement intraitable avec ses dirigeants pris la main dans le pot de confiture. 

Déjà au milieu des années 1990, la ministre et numéro 2 du gouvernement, Mona Sahlin, avait été contrainte de démissionner parce qu'elle avait réglé quelques courses personnelles avec sa carte de crédit professionnelle. Quand bien même elle avait remboursé les barres de chocolat, elle n'a pu échapper au couperet. Pour le correspondant suédois à Paris, Magnus Falkehed, « en Suède, (François Fillon) aurait démissionné dans les trois jours, voire dans la demi-journée ! Et ça donnerait lieu à un grand nettoyage dans la foulée ». Et le journaliste d'enfoncer le clou dans une interview accordée à France info : « Il est clair que la France a un retard absolument dramatique au niveau de la transparence de la vie politique. (…) Ces affaires à répétition renvoient l'image d'une démocratie très imparfaite, qui est en train de nourrir un populisme dangereux ». 

Même son de cloche du côté d'un confrère suédois, Johan Tollgerd, qui s'avoue « surpris que (François Fillon) continue. Dans les pays scandinaves, il aurait arrêté il y a plus d'une semaine, à cause de la pression médiatique et de celle de son propre parti ». Autres pays, autres mœurs.  

Le Monténégro, royaume de l'impunité

S'il est un pays européen où l'intransigeance scandinave est loin d'être appliquée, c'est bien le Monténégro. Dirigé depuis 25 ans par un seul et même homme, Milo Djukanovic, le pays sombre peu à peu dans le crime organisé. Une mafia qui peut compter sur de puissants soutiens au sein même du gouvernement monténégrin. Milo Djukanovic, qui fut successivement président et premier ministre, a ainsi plusieurs fois fait l'objet de graves accusations.

En 2009, seule son immunité lui a évité une mise en examen par la justice italienne, qui enquêtait sur son implication dans un gigantesque trafic de cigarettes. Selon le magazine Forbes, cette contrebande sponsorisée par l'État aurait rapporté plus d'un milliard d'euros de bénéfices entre 1996 et 2002. En pleine crise financière post-subprimes, Milo Djukanovic a également trouvé le moyen d'accorder 44 millions d'euros à la Première Banque, accessoirement propriété de son frère et seule banque monténégrine à avoir reçu une aide de l'État durant la tourmente financière déclenchée en 2008. L'homme fort des Balkans aurait également été mouillé dans le scandale des télécoms monténégrins en 2005 : il aurait perçu, avec sa sœur, plusieurs dizaines de millions d'euros. 

Autant de scandales qui n'ont pourtant pas eu raison de la très prolifique carrière politique de Milo Djukanovic. Il est vrai que les médias nationaux sont muselés et que les journalistes font régulièrement l'objet de menaces et d'agressions – ceux qui s'intéressaient de trop près aux affaires du clan Djukanovic ont été retrouvés morts ou derrière des barreaux de prison. Hereusement, certains droits sont considérés comme acquis en France et François Fillon a décidé de respecter les institutions et de se rendre à la convocation des juges. Il n'empêche, jamais dans l'histoire de la République française de tels soupçons de corruption ont pesé sur la personne d'un candidat. Jamais.