France : quand le foot danse sur les filles
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C’est un événement mondial qui touche le sport le plus populaire du monde et pourtant tout le monde s’en fout, ou presque. Le Canada accueille depuis le 6 juin la Coupe du monde de football féminine et la France est l’une des équipes favorites de la compétition.
Le chant du coq aura vibré dans la soirée, mercredi 17 juin, au cours du troisième match des Bleues –avec un « e » – pour accéder aux huitièmes de finale de la Coupe du monde de football féminine qui se déroule depuis le 6 juin au Canada. Ayoub, Élodie et Cédric se sont donnés rendez-vous à la « Casa bleue », le QG des supporters de l’équipe de France qui, le temps de la compétition, a élu domicile au Great Canadian Pub à Paris. Venus en nombre pour défendre les couleurs de l’équipe de France, les supporters ont chanté la Marseillaise tout au long de la soirée pour répondre aux cinq buts qui ont marqué la victoire de la France face au Mexique. « On avait la rage », explique Ayoub dans son maillot bleu. « La désillusion face à la Colombie était trop grande, il fallait qu’on réagisse d’entrée et c’est ce qu’on a fait. Ça a été la bonne réaction », commente-t-il. Le soir de la fête de la musique, les Françaises réitèrent l’exploit avec un 3-0 contre la Corée du Sud en huitièmes de finale et accèdent aux quarts pour affronter vendredi 26 juin la meilleure équipe du monde, l’Allemagne.
« Elles sont dans le Panini ! »
Troisième au classement FIFA derrière l’Allemagne et les États-Unis, la France fait partie des favorites. Reconnues parmi les meilleures joueuses du monde, les Bleues doivent leur notoriété à leur parcours lors de la dernière Coupe du monde en 2011 en Allemagne. Elles s’étaient illustrées en atteignant les demi-finales alors que personne ne les attendait. Si elles ont finalement terminé au pied du podium, elles se sont faites remarquées pour devenir plus populaires auprès du public. « J’ai commencé à suivre l’équipe en 2011. Avant, je ne savais même pas qu’on avait une équipe féminine », confie Élodie. Dans le bar, le drapeau tricolore est élevé, tout est retapissé aux couleurs de l’équipe de France et on peut même boire des pintes dans des gobelets customisés avec les visages des joueuses… presque anonymes. Pourtant, Louisa Necib, Marie-Laure Delie, Eugénie Le Sommer, Wendy Renard ou encore Gaëtane Thiney sont quelques équivalents féminins français de Messi ou Zlatan.
Aujourd’hui, les Françaises sont davantage médiatisées. La chaîne Eurosport consacre par exemple une émission hebdomadaire exclusivement réservée au football féminin, « Femmes 2 foot ». « Elles sont dans le Panini surtout! », s’enthousiasme Ayoub qui avoue être un collectionneur. Dimanche soir, le match contre la Corée du Sud sur W9 a rassemblé 2,8 millions de téléspectateurs marquant le record historique de la chaîne et la meilleure audience pour un match de football sur la TNT avec un pic d’audience à 3,8 millions de téléspectateurs, selon la société de mesure d’audience Médiamétrie.
Bien qu’il gagne en popularité, le football féminin ne remplit pas encore les stades. « Il y a un côté familial, mais, c’est souvent le cimetière », rapporte Ayoub qui va régulièrement encourager les joueuses du PSG. Pour Pierre-Henri Bro, l’entraîneur adjoint du club de D1 d’Issy-les-Moulineaux, ce n’est pas une question de qualité de jeu. « Au niveau du jeu, ça va moins vite et c’est moins physique, mais tactiquement, en terme d’intelligence de jeu et de technique, elles n’ont rien à envier aux garçons », compare-t-il. S’il y a un manque d’intérêt pour le championnat national, c’est qu’il y a une trop grande différence de niveau. « Ça n’intéresse personne d’aller voir un 12-0 ! C’est un championnat à quatre vitesses ! Il y a le PSG et l’OL qui se bagarrent pour le titre, Juvisy, Montpellier et Guingamp qui se battent pour la troisième place, ensuite, il y a un championnat de ceux qui veulent le mieux se classer et, le reste qui se bagarre pour ne pas descendre » résume-t-il. Des équipes amateurs évoluent dans le même championnat que des équipes professionnelles. Des joueuses peuvent être en contrat professionnel et toucher des salaires à 3000 euros en moyenne tandis que d’autres travaillent à côté et touchent des indemnités de quelques centaines d’euros. « À Issy, on est à des années lumières de l’OL ! », témoigne l’entraîneur.
Le football féminin français se professionnalise
Les meilleurs clubs masculins structurent de plus en plus leur section féminine. L’OL qui a été le premier à miser sur les femmes est aujourd’hui l’une des meilleures équipes du monde. Le club lyonnais n’a pas hésité à aligner les billets pour acheter une joueuse de Guingamp, Griedge Mbock. Le montant du transfert, 100 000 euros, est le plus cher de l’histoire du Championnat de France féminin.
« Sans argent on ne peut pas évoluer donc c’est important, mais, ça peut nuire aux valeurs du sport qui peuvent se perdre dans les guerres financières entre les clubs », pèse Pierre-Henri Bro. « L’important c’est d’arriver à développer une vraie culture football. Il y a encore un manque de rigueur et de professionnalisme de la part des joueuses parce que beaucoup commencent tard », explique-t-il.
Aux États unis, pour qui le « soccer » est presque une discipline féminine en soi, les joueuses sont formées dans les lycées et évoluent dans des championnats universitaires de très haut niveau (NCAA). Le soccer y est très populaire et c’est toute une nation qui les suit. En France, le développement du football féminin a été tardif. Les femmes ont pour la première fois chaussé les crampons en 1917 à Paris après des initiatives éphémères dans les années 10. Considéré comme nocif pour leur fertilité, la discipline a été interdite aux femmes sous le régime de Vichy. Le championnat français ne naît véritablement que dans les années 70. La première Coupe du monde féminine n’a été organisée qu’en 1991. Depuis, la FIFA cherche à promouvoir le foot auprès des femmes qui représentent aujourd’hui 10% des licenciés dans le monde. Dans l’Hexagone, la Fédération française de football compte 80 000 licenciées, soit 20 000 de plus qu’il y a trois ans.
« Sans dénigrer les hommes, je suis féministe »
Suspendus à l’écran plasma ou perchés dans les gradins d’un stade, pour les trois supporters, assister à une rencontre féminine est le moyen de retrouver les valeurs d’un sport entaché par les scandales et la corruption. « Si on est là, c’est pour l’amour du jeu » lance Ayoub. « Pour elles, le foot c’est encore une passion, ce n'est pas un salaire », renchérie Élodie. « Elles n’ont pas la grosse tête, elles ont encore les pieds sur terre », explique Cédric. « Elles mouillent le maillot, elles méritent d’être reconnues», conclut Ayoub.
Aussi populaire soit-il, le football reste « un sport de mec ». Ex-joueuse du PSG, Nonna Debonne est restée dix ans au sein du club dont deux en tant que pro. Une consécration pour cette joueuse qui se souvient, à 6 ans, avoir dû convaincre sa maman de la laisser faire « ce sport de garçon ». Nonna Debonne se désole de trouver encore aujourd’hui des signes machos. « Le jour où jouait la France contre la Colombie, j’étais à un tournoi où des matchs de filles se disputaient. Je suis allée voir l’animateur qui tenait le micro pour lui suggérer de promouvoir le match de l’équipe de France sur W9. Ça lui aurait pris dix secondes mais il ne l’a pas fait. Et je l’entendais commenter les filles jouer "regardez-les, elles sont mignonnes, elles ont le sourire" », se désole-t-elle. À la Casa Bleue, Élodie ne cache pas qu’il ne s’agit pas uniquement de suivre le football. « Sans dénigrer les hommes, je suis féministe », dit-elle. Pour cette incollable du sport féminin, tout peut arriver dans cette Coupe du monde. Vendredi soir, les Bleues peuvent encore écrire l’Histoire. Le match des quarts contre l’Allemagne sera diffusé à 22h sur W9.