France : « les stages représentent un bizutage social »
Published on
Marthe est trésorière du syndicat étudiant français UNEF et étudiante en droit. Avec d’autres, elle a participé au Guide des droits des stagiaires qui a pour but de préciser l’arsenal juridique mis à leur disposition. Il s’agit, pour Marthe, de rééquilibrer le rapport de force entre patrons et stagiaires, qui jouent le rôle de bizuts depuis trop longtemps. Interview.
cafébabel : Il y a-t-il tant de stagiaires que ça qui ne connaissent pas leurs droits ?
Marthe Corpet : Il y en a énormément. Tous les étudiants n’ont pas accès à un code du travail et encore faut-il le déchiffrer. Il n’y pas non plus énormément d’outils à la disposition des étudiants dans les facultés. D’où notre objectif de les informer sur ce qu’ils ont le droit de faire mais aussi sur ce qui leur est dû. Ce guide, on y travaille depuis plusieurs années. Deux lois ont récemment été votées : une sur l’encadrement pédagogique du stage et une autre, centrée sur le droit de travail. Elles recouvrent un aspect positif puisqu’il s’agit d’augmenter l’indemnisation des stagiaires (relevée à 508 euros puis à 554 euros à partir du 1er septembre, ndlr) et de limiter la durée du stage à 6 mois. On voulait s’inscrire dans cette dynamique.
cafébabel : Donc une majorité de stagiaires ne savent pas à quelle hauteur ils sont indemnisés en gros ?
M.C. : Oui pour beaucoup, c’est le cas. S’ils n’en ont pas conscience, c’est aussi parce que la pression du marché du travail les conduit à se faire bizuter. Un grand nombre d’entreprises utilisent les stagiaires comme une main d’œuvre qualifiée à bas salaires, sur des postes de travail équivalents à ceux des salariés. Donc l’objectif, c’était de rééquilibrer le rapport de forces des stagiaires face à leurs employeurs. Un pauvre étudiant ne pèsera rien face à son employeur si le droit ne va pas dans le sens de la protection, d’autant plus s’ils ne le connaissent pas.
cafébabel : Éxistent-ils des abus particulièrement récurrents dans le cadre des stages en entreprise ?
M.C : On a des permanences dans les universités et toutes les semaines, des étudiants viennent nous raconter les déboires liés à leur stage. Exemple : « mon employeur a mis fin à mon stage sans raison », « je travaille jusqu’à minuit », « on me demande juste de m’asseoir dans un coin et d’observer »... C’est principalement ceux qui sont en fin de cursus qui se trouvent les plus démunis car il y a de plus en plus de stages obligatoires en master et aucun accompagnement de la part des universités. Mais ce qui revient le plus souvent lors de ces permanences, c’est la difficulté pour les étudiants d’identifier les recours qu’il faut avoir pour se défendre.
cafébabel : On a parfois l’impression que la peur de la confrontation l’emporte sur tout.
M.C : Un salarié peut avoir peur quand on ne respecte pas son droit du travail alors qu’il a des outils, des syndicats et du temps pour engager des procédures. Alors imaginez un étudiant qui est en situation de totale soumission par rapport à son employeur qui peut arrêter son stage à tout moment. Les stagiaires n’ont pas la protection des syndicats et préfèrent abandonner leur droit plutôt que de rentrer dans des procédures longues, qui ont en plus très peu de chances d’aboutir.
cafébabel : Donc les stagiaires se résignent à accepter les injustices ?
M.C : Ils ne se défendent pas assez. Ils sont constamment soumis à une énorme pression. Mais si le droit ne vient pas rééquilibrer les rapports avec leurs patrons, ça ne m’étonne pas qu’ils soient résignés. C’est la raison pour laquelle on milite depuis plusieurs années pour que la législation évolue.
cafébabel : Aujourd’hui, est-on forcément obligé de passer par un stage pour trouver un emploi ?
M.C : Malheureusement, les employeurs se servent souvent des stages comme d’un bizutage social dans l’accès à un premier emploi. Les étudiants doivent enchaîner un ou deux de stages pour accumuler assez d’expérience et devenir « employable ». Je ne comprends pas pourquoi, aujourd’hui, les qualifications d’un étudiant en fin de cursus ne permettent pas son employabilité. On fait partie de la génération qui n’a jamais été autant qualifiée. Donc c’est une forme d’abus de la part des entreprises de ne pas embaucher un jeune en CDI. Il faut arriver à évoluer dans la qualité de nos formations et avant tout, protéger le droit des étudiants pour qu’ils soient respectés. Tant que la loi ne viendra pas équilibrer les rapports de force, il y aura toujours un bizutage des jeunes sur le marché du travail.