France : 50 nuances de grèves
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Comme tous les ans quand il fait beau, la France est secouée par des mouvements de grève qui permettent, au moins en 2014, à l’info d’exister autrement qu'avec la Coupe du Monde. SNCF, intermittents, patrons de bar…autant de rebelles qui à chaque journée non-travaillée font naître deux questions : les Français font-ils plus la grève qu’avant ? Et la font-ils plus que leurs voisins ?
Si vous êtes à Paris depuis quelques jours, vous avez sûrement dû patienter un petit moment avant d’arriver à prendre votre train, beaucoup suer quand vous avez appris que votre festival préféré serait peut-être annulé et changer vos plans en apprenant que le bar en bas de chez vous ne célèbrerait pas la fête de la musique. Parce qu’il flotte comme un air de contestation sociale aux pays de Lumières, la grève risque bel et bien de devenir le vrai tube de l’été.
Deux fois plus que ce que vous pensiez
La SNCF (Syndicat national des chemins de fer) vient de reconduire la grève dans son dixième jour d’affilée, soit la plus longue depuis 2010. Les intermittents du spectacle comptent bien bouleverser l’organisation des principaux festivals estivaux et une cinquantaine de bars parisiens ont d’ores et déjà annoncé qu’ils boycotteraient la fête de la musique, le 21 juin prochain. Au-delà des revendications de chacun - trop diverses pour être mentionnées de manière exhaustive ici – et comme chaque année quand le thermomètre affiche plus de 20 degrés, la France se retrouve en proie à cette fameuse culture de la grève. Mais si la tradition subsiste, les questions persistent. Et très peu de (bonnes) réponses ont été apportées à des interrogations de plus en plus universelles : les Français font-ils plus la grève qu’avant ? La font-ils aussi plus que leurs voisins ?
Alors que les conflits collectifs du travail donnent toujours plus de grain à moudre aux médias nationaux comme étrangers, rares sont les mouvements sociaux qui témoignent d’une pauvreté statistique si béante. En France, même l’organisme censé produire et diffuser des données sur le sujet – la Dares (pour Direction de l’animation de la recherche des études statistiques) reconnaissait en 2008 dans un document intitulé « Mesurer les grèves dans les entreprises » que le dispositif de suivi des grèves « pose depuis longtemps problème » et que jusqu’aux années 2000 « la source administrative (en réalité, l’Inspection du Travail, ndlr) sous-estimait de plus de moitié le volume de journées non travaillées ». En gros, si vous pensiez que la France faisait souvent grève, elle le faisait deux fois plus.
Dans la brume statistique
Histoire de rectifier le tir de trois décennies de légère errance, la Dares utilise désormais une nouvelle méthodologie. Aujourd’hui, en matière de conflits collectifs du travail, le principal indicateur statistique devient le volume annuel de « journées individuelles non travaillées » (JINT). Mais il semble que l’exercice soit fastidieux : les derniers chiffres publiés sur le site de la Dares (par ailleurs injoignable, ndlr) datent de 2007 (mais sont colligés dans une étude de 2009, ndlr) et parlent de 128 JINT pour 1000 salariés. Aucune chance donc de situer ces données dans le temps puisque les études précédentes ne reposent pas sur la même méthodologie de calcul. Pour savoir si les Français faisaient plus grève qu’avant, rendez-vous en 2015, puisque c’est tous les 6 ans que la Dares mène son enquête sur les diverses formes de conflits du travail.
Pour inscrire ces statistiques dans l’espace, même combat. Beaucoup d’études ont déjà souligné l’absence de données standardisées à l’échelle européenne sur les conflits du travail. Seul l’Organisation mondiale du travail (OIT) produirait des statistiques comparatives fiables sur le dialogue social. Problème, la dernière étude sur le sujet remonte à 2005 et se consacre uniquement au collective bargaining (que l’on pourrait traduire par « négociation collective ») qui représentent le processus par lequel les syndicats et les organisations patronales parviennent à un compromis et dont la grève constitue un élément non-significatif. Autre alternative : la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail de Dublin (Eurofund). Par l’intermédiaire d’un organisme nommé EIRO, cette fondation a commis une étude en 2010 qui reprend enfin le même référentiel statistique que la Dares français (les JITN) et dévoile que, sur la période 2005-2009, le Danemark se retrouve champion d’Europe des journées non-travaillées (159,4), suivi de près par la France (132 mais calculées sur la période 2005-2008) puis, loin derrière, par la Belgique (78).
Une séance de tir aux buts
Depuis, rien. Pourtant, dans certains pays voisins, le nombre (récent) de jours de grèves est très simple à obtenir. En Allemagne, il suffit de se rendre sur le site de l’Agence fédérale pour l’emploi (Bundesagentur für Arbeit) qui centralise le nombre de préavis de grève recensés par chaque entreprise de plus de 10 salariés. En deux clics, vous apprendrez que les Allemands en ont connu 1384 en 2013. Même chose en Espagne, le site du Medef espagnol (CEOE) publie (sûrement de manière certes tronquée mais au moins régulière, ndlr) le nombre de grèves entre janvier et avril 2014 : 389.
Aujourd’hui en France, pour arriver à savoir si vos compatriotes font plus la grève qu’avant, vous aurez le temps de traverser le pays en train trois fois en plein mouvement SNCF. Et au cas où vous voudriez savoir si les Français en profitent plus que leurs voisins, souvenez-vous que cela revient à parier sur la victoire d’un pays avant une séance de tir aux buts.