Foot populaire : l'ébauche des fans
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Laurence Le MaireÉcoeurés par le business et la corruption qui règnent dans le football moderne, des fans de l'Europe toute entière ont décidé de prendre les choses en main. Des Unionistas espagnols à l'AKS Zly polonais, des Européens font la démonstration qu'un football différent est possible. Petit aperçu d'une révolution qui va droit au but.
À Varsovie, le quartier Szmulki, situé sur la rive droite de la Vistula (réputée pour être « la pire » des deux rives), a mauvaise réputation. Ici, la gentrification s'est arrêtée à mi-chemin : des artistes s'y sont déjà installés, mais les boutiques de luxe et les restaurants huppés peinent à subsister. Le stade de la rue Kaweczynska, juste à côté du terminus du tramway, s'étend à l'ombre d'un bâtiment abandonné, vestige d'un moulin à vapeur datant de l'avant-guerre. On ne pourrait rêver meilleur endroit pour Zly (« Méchant » en VO), un des rares clubs de sports alternatifs polonais.
Le nom, tiré d'un roman de Leopold Tyrmand - grand classique de la littérature polonaise racontant l'histoire d'un mystérieux crime ayant eu lieu lors d'un combat d'auto-défense - incite à la bravoure. « Nous sommes "les méchants" dans le sens où on n'entre pas dans le moule. On fait les choses différemment », explique Janek Wasinski, l'un des membres les plus actifs du club. En effet, l'AKS Zly ne ressemble en rien au stéréotype du club de football polonais. Dans les gradins, ni insultes ni fusées. Au lieu de cela, leurs fans, dont le profil est extrêmement varié, avec des gens de tout âge, acclament énergiquement un championnat qui d'ordinaire ne compte que peu de supporters.
« On n'observe jamais autant de ferveur dans les divisions inférieures. Parfois, même quand les familles des joueurs ne viennent pas voir nos adversaires, nous avons jusqu'à 200 ou 300 spectateurs », déclare Karolina Szumska, la présidente du club. Les deux équipes de Zly jouent au plus bas niveau : les hommes en Classe B (huitième division) et les femmes en quatrième ligue (cinquième division).
Un phénomène européen
L'AKS Zly est un cas unique en Pologne. Néanmoins, le club s'inscrit dans un phénomène plus large qui s'est répandu en Europe avec un mantra : les clubs de football populaire doivent porter un regard différent sur leurs fans. « Beaucoup de millionnaires étrangers achètent un club et s'en servent comme un jouet, sans le moindre égard pour les fans », explique Mario Gago, co-fondateur de Wanderers, un magazine en ligne publié en espagnol sur le football populaire. Selon eux, les exemples sont légion mais beaucoup commencent par citer le cas de Vincent Tan, cet homme d'affaires malaisien qui a carrément changé la couleur des maillots de l'équipe de Cardiff City deux ans après avoir racheté le club, en 2010. Les Bluebirds ( les « oiseaux bleus », surnom de l'équipe) sont alors devenus les Redbirds (les « oiseaux rouges »), non sans la stupéfaction des supporters.
Les clubs de football populaire n'ont pas tous été créés pour les mêmes raisons. Parfois, ces structures ont vu le jour après la dissolution d'un club historique, ou un rejet du conseil d'administration. Parfois, ce sont de tout nouveaux clubs. Mais tous présentent des caractéristiques communes, surtout en ce qui concerne leur organisation et leur philosophie : « C'est un modèle ouvert : les membres votent toutes les décisions importantes et le club porte une attention particulière au centre de formation, où les jeunes sont formés et éduqués. Ils prennent également en considération l'environnement proche du club, mènent des actions sociales et rejettent radicalement le foot business », explique Gago.
Tout commence en Angleterre. En 2005, quelques supporters de Manchester United expriment leur ras-le-bol de la famille Glazer, les propriétaires américains du club, et décident de créer le FC United of Manchester. Le phénomène perdure et commence à franchir les frontières. En France, le Ménilmontant FC 1871 sort du bois en 2014. Et en Espagne, on compte aujourd'hui pas moins de 15 clubs de football populaire - la plupart résultant d'une situation économique délicate. « Presque tous sont la conséquence de banqueroutes dues à la crise », selon Gago.
Quant aux Unionistas, le club officiel de Salamanque, ils sont nés après la dissolution de l'historique Union Deportiva Salamanca. « Nous sommes le fruit de ce qui peut arriver de pire à un supporter : la disparition de son équipe de football », déclare Nacho Sanchez, membre du conseil d'administration. Après avoir imaginé toutes les alternatives possibles, le club s'abandonne à la triste réalité : impossible de combler une dette qui pèse 23 millions d'euros. Au fond du trou, les fans décident de créer un autre club, comme un hommage. Dès lors, le nombre d'abonnés augmente plus que pour tout autre club qui joue dans la même division. « Selon nous, c'est sur le terrain qu'une équipe doit gagner, pas dans les journaux. Nous avons commencé dans le championnat régional, avec un stade plein à craquer. Il y avait presque 2 000 supporters », avance Sanchez.
Jusqu'où iront-ils ?
Pendant les trois premières années, les Unionistas n'ont cessé de grandir. Après avoir été promus deux années de suite, ils se sont qualifiés pour les barrages, mais ont perdu au deuxième tour. Néanmoins, leurs motivations ne se limitent pas à leurs performances sur le terrain. Ce qui compte pour le club, c'est que les supporters soient impliqués et qu'un lien fort existe avec les fans. Environ 40 personnes y travaillent bénévolement chaque jour. Selon Sanchez : « On ne devrait pas s'occuper du foot business. Si on laisse les décisions aux mains de nos membres, on peut continuer à grandir ».
Mais y a-t-il une limite pour ces clubs ? Un club populaire qui a gravi les divisions peut-il atteindre le plus haut niveau de la compétition ? C'est là que les choses se compliquent. Dans des pays comme l'Espagne, quand un club atteint un niveau professionnel, il change de structure et devient une Société Anonyme Sportive. Ces règles n'existent pas en Pologne, par exemple, où le modèle à but lucratif domine - avec tous ses avantages et ses pièges. « En Pologne, le modèle dominant est celui de la propriété. En général, le propriétaire est un homme d'affaires qui s'y connaît peu voire pas du tout en football. C'est la raison pour laquelle nous voulions nous écarter de ce modèle et adopter une approche du bas vers le haut. Nous voulions créer un club qui soit entièrement entre les mains de ses fans », explique Karolina Szumska.
Évidemment, une telle approche a ses inconvénients. AKS Zly est financé par les membres de l'association et par des actions ponctuelles de collectes de fonds, qui vont du crowdfunding à une édition limitée de bière artisanale. Malgré une relative popularité, les sponsors peinent toujours à se manifester, et le financement demeure une des grandes préoccupations des membres du club.
En Angleterre, ce n'est pas la structure qui pose problème, mais l'argent. Année après année, les clubs de Premier League génèrent de plus en plus d'argent grâce aux droits audiovisuels. L'équipe de Premier League ayant touché le moins d'argent pour la saison 2016-2017 était Sunderland avec 99,9 millions de livres sterling. Bref, les écarts se creusent et il devient de plus en plus difficile pour un petit club d'accéder aux divisions supérieures.
Pour certains clubs, atteindre le plus haut niveau est loin d'être une priorité. « Ils préféreraient rester à l'écart du football professionnel plutôt que de sceller un pacte avec le diable », explique Gago. Pour d'autres, plus réalistes, le problème ne se pose même pas pour l'instant. « Cette hypothèse ne nous semble pas réaliste à court terme, mais quand le moment viendra, nous consulterons les supporters », ajoute Sanchez. Le prochain défi qui attend les Unionistas est de tenter d'être promus en Deuxième Division B. S'ils y parviennent, ils auront atteint la même catégorie que l'Union Deportiva Salamanca. Juste avant qu'ils ne s'éteignent.
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Translated from Is popular football the way to go?