Finlande : les Moumines, poupée de soi
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Si la France gouverne avec Babar et l'Allemagne câline son Diddl, les Finlandais chérissent des petites créatures étranges au nom doux et ronronnant. Les Moumines, ou l'histoire d'une utopie d'enfants et de doudou pour les grands.
Peu connus en Europe, les Moumines sont pourtant partout en Finlande : accrochés aux clefs de Volvo, collés aux vitrines de banques et de cafés, entassés sur les dressoirs des boutiques de souvenirs…. Silhouette blanche, regard tantôt mélancolique, tantôt rieur, le Moumine est la mascotte informelle du Finlandais. Pour les grands et les petits, il résiste vaille que vaille au débarquement de nouvelles figures animées, comme Angry Birds ou les personnages Disney.
Un symbole générationnel
Créée par la suédophone Tove Jansson pendant la Seconde Guerre Mondiale - véritable héroïne nationale pour son imagination et son univers - l'histoire des Moumines se veut inhabituelle mélancolique pour un public d'enfants : suite à une catastrophe naturelle, la famille Moumin et leurs amis sont contraints de vivre dans une vallée verdoyante et isolée. « Le Moumin est un symbole essentiel pour les Finnois, d'abord parce il leur ressemble », explique Ann-Karin Koskinen, la directrice marketing du Moominworld, un parc d'attraction dédié aux petites créatures. A travers leurs péripéties, la famille Moumin et leurs amis mettent en avant des qualités et un mode de vie profondément inscrits dans l'imaginaire collectif. Contrairement à certains personnages de fiction destinés à la jeunesse, le Moumin est un être complexe. Il peut « être attentif à ses amis, et consacre du temps à sa famille » mais apprécie également « la solitude, l'introspection, et l’isolement dans la nature ». Si les étrangers connaissent mieux l'univers grâce au dessin animé, les Finlandais ont appris à lire avec les livres de Tove Jansson. Ecrits en bon finnois et bourrés de jeux de mots à la fois subtils et drôles, ils se transmettent de génération en génération, soixante ans après leur publication.
Dès le début de leurs aventures, les Finlandais s’entichent de ses bouilles d’hippopotames. Le grand magasin Stockmann (l'équivalent des Galeries Lafayette) consacre dès les années 1960 un corner spécial Moumines. Depuis, ils sont déclinés sous toutes formes de supports, vendus à prix d'or : merchandising (vous pouvez relooker votre intérieur exclusivement avec les Moumines), films d'animation...jusqu'à la création du Moominworld, en 1992, attirant de nombreux touristes locaux et étrangers.
L’île aux enfants
Accéder au parc est une petite aventure en soi. Situé sur une île au large de la petite ville de Naantali, le point de départ est la place du marché de Türkü (extrême-sud de la Finlande, ndlr), une des plus grandes villes du pays. A bord d'un bus régional, la quinzaine de kilomètres à parcourir constitue le typique des abords des grandes villes européennes : des supermarchés discount, des stations-service à 1,5 euros le litre de diesel, des kebabs hors de prix. Après avoir marché le long de la route, peuplée de panneaux indicatifs Moumins, Naantali apparaît comme une jolie bourgade déserte aux faux airs de la Louisiane. À quelques mètres de la résidence d'été du président finlandais, et de son sauna de 60 d'âge, se situe donc le parc des Moumines.
En tous points, le Moominworld se distingue de Disneyland et autres Europark. Ici, pas de manèges type montagnes russes ou petit train, seulement quelques animations pour les enfants (spectacles, maquillage et Moumins grandeur nature) et une ouverture exclusivement estivale qui limite les retombées économiques à la Mickey Mouse. « Nous avons voulu reconstituer la vallée des Moumins, pas inventer un lieu de pur divertissement », explique Ann-Karin Koskinen. La maison de la famille Moumin, montée sur quatre étages et « inspirée de l'habitat traditionnel finnois » est un bonheur absolu pour les aficionados de l'univers, grands comme petits. Un des lieux les plus symboliques du dessin animé, le phare où part s'isoler Papa Moumin pour écrire ses mémoires, est l'endroit préféré de l'équipe du parc, et le plus souvent des quelque 400 000 visiteurs annuels.
Un business donc, mais avant tout familial. Toutes les décisions liées aux Moumines sont avalisées par Sophia Jansson, la nièce de l'illustratrice, à la tête de Moomin Character. De sa signature de mail à ses bureaux, situés dans des usines réhabilitées en brique rouge de Helsinki, tout est plongé dans l'univers Moumines jusqu'aux moindres détails. « Selon un dicton américain, explique Sophia Jansson pour résumer son parcours, il y a le créateur d'une entreprise, puis la deuxième génération qui la développe, et la troisième qui l'a détruit ou la vend. Je fais partie de la deuxième ! » Ce qui, d'après elle, créé l'attachement des Finlandais à ces créatures, c'est d'abord parce qu'ils leur ressemblent : « les Moumines ont un grand amour et respect pour la nature, ce qui est un trait particulièrement finnois. Ils partent en excursion dans la forêt ou à la mer, comme de nombreuses familles ici ».
Le meilleur ambassadeur de la Finlande
Fait étonnant, les Japonais, qui ont participé à la création du dessin animé Moumines au début des années 1990, sont un public tout aussi réceptif, grâce à une histoire semblable, « la Finlande et le Japon ont tous les deux été énormément détruits après la Seconde Guerre Mondiale, analyse Sophia Jansson. Cela a contribué à l'émergence d'une génération très créative dès les années 1950, dont faisait partie Tove Jansson ». La compagnie Moomin Character a constaté un regain d'intérêt pour les petites créatures suite au désastre de Fukushima, en mars 2011. « Déjà, parce les catastrophes naturelles sont intimement liées au destin des Moumines, mais tout simplement grâce à leur nature toujours optimiste. Quelque part, on aimerait tous vivre dans cette vallée utopique. »
A côté des paysages en Laponie, des groupes de death metal et du sauna, le Moumin est sans aucun doute le meilleur ambassadeur de la Finlande. Pas seulement grâce à ses qualités humanistes et son aura positive, mais parce il accompagne les Finnois tout au long de leurs vies qui gardent -précieusement - leur enfance attachée aux clefs de voiture.
Cet article fait partie de la série de reportages “EUtopia on the ground”, projet de Cafebabel.com soutenu par la Commission Européenne, en collaboration avec le Ministère des Affaires Etrangères français, la Fondation Hippocrène et la Fondation Charles Léopold Mayer.