Festin chez un chaman péruvien : grenouilles, cochons d’Inde et mariri
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Sabine OstarcevicLa cuisine péruvienne est considérée comme l’une des meilleures d’Amérique du Sud. Mais ses plats sont à réserver exclusivement aux gourmets aux nerfs d’acier, ou plutôt à ceux qui, frappés par une amnésie soudaine, sont incapables de penser ou de décider, dépourvus de toute conviction liée de près ou de loin avec Greenpeace.
En guise d’apéritif, un jus de grenouille très nutritif, le « jugo de rana ». Dans la cosmogonie inca, la grenouille était la seule divinité qui favorisait la venue de la pluie, une pluie bénie, propice à la vitalité sexuelle et intellectuelle masculine, assurant fidélité et fertilité. Le jus se compose tout au plus de deux grenouilles fraîches, auxquelles on tord le cou devant le client. La grenouille, une fois dépouillée et étripée, est placée dans une casserole. Une fois cuite (avec les os), on y incorpore un mélange de miel et d’épices locales. Enfin, la personne chargée d’élaborer ce nectar vérifie, à l’aide d’un fouet, que son instrument ne rencontre aucun os. L’apéritif est prêt.
Le premier plat est un délice local : le « Cui Picante ». Alors que la cuisine traditionnelle espagnole est caractérisée par le cochon de lait grillé, au Pérou ce sont les cochons d’Inde qui sont grillés entiers et présentés avec soin, un piment entre les dents. La saveur de ce plat est similaire à celle de la viande de veau ou de porc, et au Pérou, on lui octroie une valeur médicinale. Evidemment, certains pourront prétendre que les cochons d’Inde ne sont pas autre chose que des cochons (outre son nom en français, cet animal est appelé « cochon de Guinée » en anglais et « cochon de mer » en polonais). Pourtant, ils ressemblent davantage aux lapins pour ce qui est de la rapidité avec laquelle ils se reproduisent, ce qui explique leur popularité sur les tables péruviennes.
Si après l’avoir dégusté, le petit animal poilu nous donne du fil à retordre, il est toujours possible d’avoir recours à la consommation de l’extrait de mariri. Ce breuvage de cérémonie, dénommé ayahuasca en quechua, purifie le corps et l’esprit. La visite au chaman, qui se fait appeler Maître, ne nous purifie pas tout l’esprit, mais nous nettoie en profondeur l’estomac (recommandé pour les grenouilles et les cochons d’Inde bien riches) et le porte-monnaie.
En ce qui concerne l’estomac et le porte-monnaie, les faits sont certains, mais concernant l’esprit, cela vaut la peine d’ajouter quelques commentaires. Les habitants de l’Amazonie péruvienne utilisent principalement l’ayahuasca pour favoriser le contact avec le monde de leurs ancêtres et pour voyager dans leur subconscient. Malheureusement, ce qui est expérimenté lors de l’ingestion de la substance hallucinogène ne ressemble guère à une révélation prophétique. Cela a pourtant été une expérience surréaliste, en particulier quand je me suis revu dans le ventre de ma mère. Mais je n’ai eu aucune des visions du futur qui m’avaient été promises, ou en tout cas, pas cette fois…
Les autres participants à cette session ont connu des expériences différentes de la mienne. Tous ont été tourmentés par des scènes peuplées de sinistres habitants d’autres planètes, dont les cris fendaient leurs crânes en deux. Cela ne les avait pas aidé que le chaman leur souffle des indices quant aux scènes appropriées pour un tel évènement. Je me demande ce que dirait Freud à propos de vision d’accouplement avec des enfants… Pendant la session, un épisode très curieux du point de vue physique s'est également produit : il arrive que l’un des participants perd le contrôle de son corps, surtout si c’est un novice. Certains sont incapables de bouger la main ou ont les jambes engourdies ; d’autres, à l’inverse, se mettent à danser et à chanter. De temps à autre, le chaman verse du sang imaginaire sur nous et parfois, les participants à la session utilisent les bols préalablement distribués par le Maître. Le festin dans la maison du chaman touche à sa fin au bout d’environ cinq heures. En outre, dans notre groupe, un participant plus malchanceux que les autres a souffert de séquelles pendant cinq heures supplémentaires.
Pour résumer notre aventure dans la gastronomie péruvienne : un menu aussi complet assure une impression inoubliable par ses saveurs et son esthétique. Encore mieux, on peut manger et boire à volonté, sans se soucier des calories. L’ayahuasca est efficace même avec les cochons d’Inde les plus gras !
Photo : © Magdalena Panek-Magiera
Translated from Uczta u peruwiańskiego szamana - żaby, świnki morskie i bluszcz śmierci