Ferdinando Riccardi : « Le sens de l’Europe c’est la réconciliation »
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Depuis un demi-siècle, Ferdinando Riccardi, 77 ans, assiste aux premières loges à l’évolution d’une Union en pleine mutation. Cet Italien d'origine et bruxellois de coeur est l'éditorialiste du bulletin quotidien de l’Agence Europe.
Un grand bâtiment qui s’étire sous le soleil de Bruxelles, briques rouges et petit parc, imprimerie au rez de chaussé, des bureaux sur trois étages ensevelis sous des montagnes de papiers, caricatures et articles de journaux accrochés sur tous les murs. Le bulletin quotidien ‘Agence Europe’, véritable référence chez les professionnels des affaires européennes est traduit en trois langues et diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires dans le monde en version papier et électronique.
Ferdinando Riccardi, éditorialiste, achève sa réunion matinale, ‘j’arrive dans 5 minutes’ ! ‘C’est bon tu as bien reçu mon papier ?‘. Puis c’est la pause café : en route pour le brunch au café du coin. Grand et bel homme, cheveux gris aux yeux pétillants, Riccardi s’assoit au soleil, un grand café devant lui. Il commence à me raconter que c’est par le biais du sport qu’il a entamé une carrière de journaliste. Etudiant en lettres modernes, il s’engage d’abord comme reporter sportif pour financer ses études. « Ce n’était pas vraiment par passion, mais j’aimais bien aller voir les matchs de football et de tennis », justifie t-il.
En 1958, Riccardi s’installe à Bruxelles. A l'époque, Agence Europe, présente au Luxembourg, cherche un journaliste pour ouvrir une antenne en Belgique et suivre les premiers pas de la Communauté économique européenne et d’Euratom dont les institutions furent inaugurées à Bruxelles 'à titre provisoire'. Journaliste sportif basé à Paris, Riccardi accepte immédiatement le poste. Depuis, il n’a plus quitté les affaires européennes. « Il n’y a que le provisoire qui dure, » reprend mon interlocuteur, le sourire aux lèvres. « L’année prochaine, ce sera un demi-siècle de provisoire !»
Paix impérieuse
« Au départ, mon engagement n’est pas politique mais plutôt en faveur d’une Europe unie. Parce que tout ce que j’aime est européen... » C’est très jeune déjà que Ferdinando Riccardi comprend l’impérieuse nécessité de la paix. « Quand j’avais 14/15 ans, mon frère ainé s’est fait arrêter par les milices pour ‘anti-fascisme’ », se souvient t-il. « Il est mort à 16 ans dans un camp de concentration». Silence. C’était en 1945, les deux frères tapaient sur leurs petites machines à écrire des injonctions aux Italiens de ne pas répondre à l’appel aux armes lancé par Mussolini pour défendre l’Italie du Nord, après le débarquement des Alliés dans le Sud.
« J’aurais pu dévier vers la haine ou la rancune envers l’Allemagne, » reprend Riccardi, « mais je ne pouvais pas car j’adorais la culture allemande. Pour moi le sens de l’Europe, c’est la réconciliation. »
Après plus d’un demi-siècle, il travaille toujours pour le bulletin quotidien de l’Agence Europe. Une fidélité étonnante dans le métier. Je lui demande, au nom de tous les journalistes qui désespèrent sur leur rôle civique, s’il pense que ses éditos ont eu une influence sur les débats communautaires. « Peut-être », me répond-il, une flamme dans les yeux. « J’espère en tout cas que j’ai eu un impact pour une meilleure compréhension des enjeux des activités agricoles en Europe. »
La politique agricole commune a été malmenée selon lui. Elle ne doit pas être basée sur des objectifs purement commerciaux mais plutôt sur la sauvegarde de la nature, l’autonomie alimentaire et la lutte contre la faim dans le monde. Ce qui est certain, c’est que les discussions sont loin d’être finies.
Gourmand dans l’âme
Après ses longues années dans le saint des saints de l’Union, Ferdinando Riccardi entend pourtant se montrer pragmatique. Les 21 et 22 juin dernier, le Conseil européen est parvenu à un accord sur le futur traité dit « modificatif » qui remplacera le traité Constitutionnel. « Il s’agit d’un compromis, » pointe Riccardi.
« Il est donc normal qu’il attise les critiques, si tout le monde était content, ce ne serait plus un compromis… Ce qui compte, c’est qu’il permet à l’Europe d’avancer et surmonter le blocage institutionnel dans lequel les 'non' français et néerlandais l’avaient plongée en mai et juin 2005. » « L’essentiel du projet de traité constitutionnel sera maintenu, c’est le plus important, » ajoute t-il encore.
Néanmoins, il n’est pas interdit de rêver. Qu’est-ce que ce témoin privilégié de la construction européenne demanderait donc à la bonne fée Europa, cette créature aux longs cheveux enlevée par Zeus métamorphosé en taureau ? Drôle de question. Ferdinando Riccardi rit… puis après une minute de silence, me lance : « Pouvoir assister à la naissance de personnalités aussi brillantes que Praxitèle chez les grecs, Dante pour l’Italie, Bach pour les allemands, Shakespeare évidemment chez les Anglais ». La liste est longue, l’avenir grand ouvert.