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Femmes voilées, femmes d'action: qu'est ce que le féminisme islamique ?

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Bruxelles

Au cours des années 2000, on assiste à l’apparition d’un nouvel acteur dans le débat public, ou plutôt d’une nouvelle actrice, la religiosité musulmane féminine. Cette pensée aspire avant tout à l’émancipation féminine dans le langage de la religion, puis dans la société toute entière. Eclairages de la sociologue Malika Hamidi, co-auteur de l’ouvrage Féminismes Islamiques

Cette religiosité musulmane d’un nouveau genre émerge dans un contexte socio-politique tendu : suite aux attentats du 11 septembre se développe en effet un certain acharnement médiatique et politique contre l’islam et la question de la femme musulmane est prise en otage à la fois dans les débats politiques et dans le discours islamique.

À l’aune de ces crispations, de nouvelles formes de militantisme féminin se structurent face aux enjeux naissants au sein de leur propre communauté de foi et de la sphère publique. 

Islam et féminisme : amis ou ennemis ? 

Féminisme et islam sont-ils destinés à un rapport conflictuel ? À première vue, ils revendiquent chacun une vision de l’émancipation de la femme profondément contradictoire. Mais essayons de dépasser les stéréotypes dominants de part et d’autre. 

L’islam serait de prime abord l’antithèse des valeurs défendues par un certain courant féministe majoritaire en occident. Le foulard islamique soumettrait par exemple les femmes à une moralité normative imposée par la religion.

Pourtant le féminisme dit « islamique » s’enracine bel et bien dans un paradigme religieux. A ce titre, rappelons que de nombreuses femmes en terre d’islam ou en occident rejettent l’appellation de « féministes » à cause de sa connotation « colonialiste » et occidentale. En France, comme en Belgique, les féministes musulmanes reconfigurent la « cartographie des féminismes » par leurs revendications pour faire place à la diversité, mais toujours dans ce désir commun de libération des structures de domination.

Ces quinze dernières années, le rapport « islam et féminisme » a révélé ce débat passionné et conflictuel de femmes qui contestent l’idée selon laquelle le féminisme est singulier en soi.

Elles vont, d’une part, démontrer que les théories liées au genre peuvent très bien être élaborées dans l’épistémologie islamique : elles questionnent les rapports sociaux et dénoncent les inégalités entre les genres, dans les sociétés contemporaines, musulmanes ou non. Elles s’approprient ainsi les idéaux féministes et y puisent les outils conceptuels et méthodologiques pour créer les nécessaires conditions de liberté.  

D’autre part, en réquisitionnant la théologie musulmane, elles théorisent une pensée critique et une relecture du corpus religieux, à la lumière de l’esprit égalitaire du texte sacré. Elles créent donc le cadre théorique d’une théologie féministe musulmane.

Le pari du féminisme musulman en occident

Les tenantes de cette « rhétorique féministe musulmane » (expression de Miriam Cooke, auteure de l'article: Critique multiple, les stratégies rhétoriques féministes islamiques pour la revue L'Homme et la Société) travaillent à une véritable reconstruction identitaire. Elles fondent une identité hybride combinant féminisme et religiosité.

Ces figures déconstruisent les représentations sociales et les stéréotypes puisqu’elles mènent une double lutte. Elles combattent à la fois le « sexisme » au sein de leur propre communauté de foi et de la société civile, et également le « racisme » et les discriminations dont elles sont victimes dans les sociétés européennes. En se positionnant comme féministes musulmanes, elles sont considérées comme des subalternes politiques car elles refusent les frontières qui leur sont imposées.

En parlant de frontières, ces femmes d’action ne s’en accommodent pas. Par la recherche intellectuelle et herméneutique (approche interprétative et contextualisée des textes religieux) et par l’engagement militant, elles créent des liens de solidarités transnationaux. Elles portent leurs revendications au cœur d’une « sphère publique » et d’une société civile sans frontière liant entre eux tous les groupes engagés dans une réflexion sur ce projet du féminisme islamique.

Un combat qui ne se cantonne pas à la question du genre

Grâce à cette nouvelle visibilité, ces militantes politiques de confession musulmane questionnent la normativité du féminisme occidental. C’est, selon elles, à ce prix qu’il devient possible d’envisager un féminisme décolonisé et anti-impérialiste.

Nous sommes témoins aujourd’hui, en Europe francophone d’un renouvellement du système d’oppression des femmes. L’instrumentalisation politique de la question féministe à travers les « affaires de voile » a justifié des lois stigmatisantes et islamophobes qui marginalisent une génération de femmes pleinement européennes. Face à cela, le féminisme musulman choisi de mêler à son combat une revendication anti-raciste.

Enfin, en France et en Belgique, les femmes musulmanes sont aussi exclues du marché de l’emploi et donc fragilisées sur le plan économique parce qu’elles portent des signes religieux. Ce nouveau féminisme se veut alors inclusif, arborant également une dimension anti-capitaliste pour impulser des stratégies de résistance solidaires entre les femmes. 

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Le présent article est une contribution volontaire de Malika Hamidi pour CaféBabel Bruxelles. Docteure au CADIS (Centre d'analyse et d'intervention sociologiques), elle nous propose ici une version simplifiée de la thèse qu'elle a soutenue en 2015 à l'EHESS: "Féministes musulmanes dans le contexte postcolonial de l'Europe francophone: Stratégies identitiaires et mobilisations translocales"